Charlie ? Non merci ! Une approche historique de l’islamophobie et de l’islamophilie en France

François Ier, Roi de France et Soliman le Magnifique, Sultan des Ottomans
Note de la rédaction : Le texte qui suit est un extrait du livre compilé par le Dr. Kevin Barrett, « We Are Not Charlie Hebdo! », à la suite des attentats ayant visé les bureaux du magazine Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015 à Paris. Il est publié ici dans sa traduction française avec l’accord exclusif de l’auteur, en avance de sa parution prochaine en langue française. L’extrait qui suit est la contribution de John Andrew Morrow à cet ouvrage, réunion des réactions de divers libre-penseurs éminents du monde occidental et oriental aux attentats parisiens ; il replace la longue et complexe relation existant entre la France et l’Islam dans une perspective historique.
Dans le contexte actuel en France et en Occident en général, il nous a semblé judicieux de le reproduire ici, dans l’attente de sa disponibilité sur les rayonnages des libraires et sur Internet, en français. En vous en souhaitant bonne lecture. Lawrence Desforges
Introduction
« Si vous insultez ma mère, » a dit le Pape François, « Je vais vous mettre mon poing dans la figure. » Peut-être le Pape était-il allé trop loin, mais son argument était poignant. Selon la loi de réciprocité, si quiconque insulte votre père, vous insultez sa mère. C’est le fameux « œil pour œil ». Vous combattez la liberté d’expression avec la liberté d’expression. Vous luttez contre des mots avec des mots, contre des images avec des images. Cependant, comme l’avait relevé Gandhi, le problème de cette philosophie est clairement fragrant : « œil pour œil ne fera que rendre le monde entier aveugle. » Jugeant du cirque cinématique entourant l’affaire de Charlie Hebdo, il apparaît que le monde entier soit effectivement aveugle ou, plus exactement, aveuglé. La question est, bien entendu, aveuglé par qui et pourquoi ?
Éclaircissements Historiques
Afin de comprendre le présent, nous avons besoin de comprendre le passé ; en l’occurrence, les Français et leur attitude envers l’Islam. Aussi difficile à comprendre que cela puisse être pour des Musulmans, les Français n’ont pas toujours été des ennemis. Oui, ils se sont défendus face aux envahisseurs musulmans au 8ème siècle, persuadés qu’ils étaient des infidèles idolâtres et malfaisants. S’ils avaient su, comme les Juifs et les Chrétiens d’Espagne, que les Musulmans représentaient une force libératrice, fer de lance d’une révolution culturelle et scientifique, ils eussent peut-être réagi différemment. La propagande, toutefois, continua pendant des siècles sans entraves. Ils ne savaient que ce qui leur était raconté : des histoires horribles sur le règne islamique ; des contes infamants et scandaleux sur le Faux Prophète et Anti-Christ, ainsi que ses disciples fanatiques. Pour ceux qui sont familiers de la littérature médiévale française, ce n’est pas une surprise que le Français, le misérable ifranj de la littérature arabe, ait joué un rôle de premier plan dans les Croisades, jusqu’au début du 16ème siècle.
La haine historique des Français envers l’Islam et les Musulmans a subi un soudain changement au milieu du 16ème siècle quand le Roi François Ier (r. 1515-1547) et le Sultan turc, Soliman le Magnifique (r. 1520-1566), ont conclu l’Alliance Franco-Ottomane en 1536. Cette alliance n’était pas seulement stratégique et tactique, elle était aussi commerciale et culturelle. En outre, François 1er était enthousiaste à l’idée de garantir la protection des Chrétiens vivant au sein de l’Empire Ottoman, à l’instar de Soliman le Magnifique qui s’inquiétait du bien-être des Musulmans vivant en France.
Décrite par ses adversaires comme « l’alliance impie » et « l’union sacrilège de la Fleur-de-Lys et du Croissant », cette alliance diplomatique entre les Catholiques et les Musulmans ; entre les Européens, les Turcs et les Arabes a scandalisé le monde occidental qui était ivre de sentiments anti-islamiques. Quoi qu’il en soit, l’alliance perdura de la première moitié du 16ème siècle au 19ème siècle, précisément jusqu’à la campagne d’Égypte quand les troupes napoléoniennes envahirent le territoire ottoman, rompant traîtreusement le traité en 1798-1801. Si l’alliance a duré si longtemps c’est parce qu’elle était bénéfique aux deux parties, ce qui prouve que les Chrétiens d’Occident et les Musulmans d’Orient peuvent coexister pacifiquement lorsque les bonnes politiques sont en place.
Le Sultan qui pava la route de la paix entre les Français catholiques et les Ottomans musulmans fut Sélim 1er (r. 1512-1520), qui réussit à unifier le Moyen-Orient entre 1516 et 1517 en opérant la conquête du Sultanat des Mamelouks qui embrassait la Syrie, l’Arabie et l’Égypte. Après que son successeur Soliman le Magnifique ait conclu une alliance avec François Ier, les Ottomans et les Français ont opéré à un échange d’ambassadeurs. Ils ont signé des accords religieux, militaires et financiers. Ils ont même mené des campagnes militaires ensemble. Les Ottomans et les Français attaquèrent Gènes et les Milanais en 1534-35. Ils combattirent ensemble au cours de la Guerre de Huit Ans en 1537-1538 ; de la Neuvième Guerre d’Italie (1542-1546) ; de la Campagne de Hongrie en 1543, et de la Dixième et de la Onzième Guerre d’Italie (1551-1559). En 1547, les Français soutinrent même les Ottomans dans leur guerre contre les Safavides. Imaginez : les Français et les Musulmans en paix ; amis pendant trois siècles, sous François Ier, Charles IX, Henri III et Louis XIV. Ce qui est important, du point de vue islamique, c’est que l’alliance que Soliman contracta avec les Français catholiques ne fut jamais considérée comme un moyen de contester sa sincérité, en tant que Musulman. La tolérance et la coexistence avec les membres d’autres fois n’était pas anormale en Islam : c’était la norme.
Les Capitulations des Ottomans n’allaient pas que dans un sens. Les Français ont retourné les faveurs des Ottomans. Si les Turcs fournissaient des églises aux Chrétiens, les Français fournissaient des mosquées aux Musulmans. En fait, quand Barberousse passa l’hiver 1543-1544 à Toulon, en France, le Roi François Ier convertit la cathédrale de la ville en mosquée. Si l’influence française faisait les potins à Istanbul, l’influence turque était tout autant à la mode à Paris où la consommation de café, de vêtements ottomans, y compris le turban et le caftan, dans le confort des coussins et des tapis persans étaient tous en vogue.
Il est par conséquent ironique que le gouvernement français insiste actuellement sur l’interdiction du voile quand les Français catholiques les plus huppés portaient le turban et que les femmes françaises portaient le caftan et le hijab. Louise de Savoie, la mère de François Ier, s’habillait à la mode musulmane, tout comme une femme musulmane traditionnelle. Même Madame de Pompadour a porté le foulard sur sa tête ! L’ambassadeur français Charles Gravier de Vergennes se vêtait de tenues ottomanes. L’officier français Claude Alexandre de Bonneval, qui aida à moderniser l’armée ottomane, avait l’habitude d’arborer le turban. Il ressemblait à un cheikh ! Comme il peut être constaté, la situation a certainement changé. J’adorerais voir un Président français porter le turban, une première dame de France porter le hijab, et les politiciens français s’habiller comme des ayatollahs.
Lors des premiers jours de l’Alliance Franco-Ottomane, un événement d’une importance historique majeure a eu lieu ; c’est à dire, la publication du Testamentum et pactiones initiae inter Mohammedem et Christianae fidei cultores en 1630. Connu en arabe comme al-‘Ahd wa al-shurut allati sharataba Muhammad rasul Allah li ahl al-millah al-nasraniyyah ou L’Alliance du Prophète Mohammed avec les Chrétiens du Monde, ce document fut découvert au Levant par le Père Pacifique Scaliger de Provins, un moine capucin. Le contenu de l’Alliance du Prophète était parfaitement en accord avec les Capitulations Ottomanes. Dedans, le Messager d’Allah appelait les Musulmans à défendre leurs alliés chrétiens ; leur accordait la liberté de croyance et de pratique religieuse ; protégeait leurs vies et leurs biens ; et exonérait de l’impôt les moines comme les prêtres. Les Chrétiens, en retour, devaient être loyaux envers leurs alliés musulmans, même en cas de conflit avec leurs coreligionnaires. En bref, le Messager d’Allah ordonnait que les Musulmans et les Chrétiens se respectent et se défendent mutuellement.
La découverte de ce document a suscité énormément de débats académiques, pendant des siècles. Certains chercheurs l’ont mis en doute. Tel fut le cas de Grotius, Voëtius, Hoornbeek, Hottinger, Bespier, Prideaux, Bayle, Mosheim, Döllinger, Jacques, Gieseler ; et Guillaume. Le Père Pacifique, pourtant, était sûr de son authenticité. Ce fut également l’avis de Sionita, Hotman, Salmasius, Saumaise, Nagy de Harsany, Ricaut, Hinckelmann, Marana, Renaudot, Basnage de Beauval, Twiss, Madrazo, La Société d’Amis de la Religion et de la Patrie, Grassi (Alfio), Miltitz, Addison et Van Dyke, parmi beaucoup d’autres.
Cette attitude favorable envers l’Alliance du Prophète ne dura que peu de temps après l’établissement de la République Française. En 1795, le Comité pour l’Éducation Publique décida que le gouvernement allait imprimer L’Alliance du Prophète Mohammed avec les Chrétiens du Monde en arabe et en français pour le distribuer aux consuls de la République au Levant, afin qu’il circule à travers tout l’Empire Ottoman. Au cours de la réunion il fut décidé que des copies de l’Alliance du Prophète seraient envoyées à toutes les bibliothèques de la République et à toutes les écoles du Levant. De plus, des copies seraient envoyées à d’éminents chercheurs à travers l’Europe.
Toutefois, brutalement tout changea. Le projet de traduction et de publication fut annulé. L’attitude du gouvernement français devint soudain inexplicablement hostile envers l’Islam et les Musulmans. Si le gouvernement français avait considéré l’Alliance du Prophète comme authentique, dorénavant il la moquait et la dénigrait. Que s’était-il passé ? La Révolution Française. L’exécution de Louis XVI. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le commencement de la laïcité. L’invasion de l’Égypte par Napoléon en 1798. Le début de l’impérialisme français dans le monde musulman. L’invasion de l’Algérie en 1830 ; celle de la Tunisie en 1831. La partition de l’Afrique entre nations européennes à la Conférence de Berlin en 1884. La conquête du Sahara Occidental en 1890. L’occupation française du Maroc en 1904.
Après la Révolution Française, le silence total a prévalu. La traduction de l’Alliance du Prophète, qui était sensée avoir une publication internationale, fut annulée et dut être publiée indépendamment, à un tout petit tirage, par le traducteur lui-même. Une seule copie en a survécu. Les copies de l’Alliance du Prophète éditées par Sionita, Fabricius, Nissel, Harsany et Hinckelmann ont disparu. C’est un miracle que quelques exemplaires nous soient parvenus. Les Alliances du Prophète, qui se trouvaient en maints endroits à travers le Moyen-Orient, ont commencé à disparaître. Elles ont été cachées. Elles ont été saisies. Elles ont été détruites. Ni les Chrétiens ni les Musulmans ne voulaient entendre parler des Alliances du Prophète. Pourquoi ? C’est parce que ni l’une ni l’autre des parties ne voulait les respecter. Éventuellement, elles furent complètement oubliées jusqu’à ce qu’elles soient redécouvertes au cours de la première décennie du troisième millénaire.
Au bout d’un demi-siècle, l’Empire Français allait s’effondrer. Bien que la colonisation française ait été de courte durée, les dommages qu’elle fit aux pays musulmans [qu’elle occupa] fut dévastateur. Plutôt que d’accepter leur défaite avec humilité, les Français restèrent aigris, redirigeant leur animosité contre les immigrants musulmans nord-africains qui étaient contraints à l’immigration en France à cause de la destruction de leurs pays d’origine. Bien que les Français n’aient plus d’Empire, ils ont conservé leur mentalité impérialiste ; c’est à dire, leur sentiment de supériorité vis-à-vis des autres. Plutôt que d’essayer d’intégrer les immigrés, ils les ont marginalisés à la fois géographiquement et culturellement. Peu importe combien ils se sont assimilés, perdant leur langue, leur culture et même leur religion, ils ont continué à être traités comme des citoyens de seconde zone. Aussi absurde qu’il y paraisse, des enfants français, nés en France de parents français, et qui ont des grands-parents français, continuent de souffrir de discrimination sur la base de l’origine de leurs ancêtres. Il semblerait qu’à moins de tracer ses racines généalogiques jusqu’aux Francs, il soit impossible d’être réellement français. Les personnes originaires d’Afrique du Nord, par exemple, sont par conséquent exclues de l’intégration et de la participation sociales. La situation des Musulmans en France est donc comparable au traitement historique qu’ont reçu les Afro-Américains aux États-Unis.
Si 99,9% des Français ignorent le fait que le Royaume Catholique de France avait été l’ami et l’allié du Califat Ottoman, un nombre égal de Musulmans ignore le fait qu’ils ont jadis coexisté en paix et dans la prospérité avec les Chrétiens d’Occident, et même mené des guerres conjointement contre des ennemis communs. Si les Français conservent un état d’esprit impérialiste, les Musulmans entretiennent une mentalité de victime. Cette dichotomie maître-esclave ne peut que mener à des affrontements. La maître cherche à garder l’esclave à sa place. L’esclave profite de chaque opportunité pour s’en prendre à son maître. Peu de gens, voire personne, se souviennent de l’époque où les Chrétiens français et les Musulmans turcs ou arabes n’étaient pas des adversaires mais plutôt des amis, des alliés et des partenaires. Si nous n’avons pas une compréhension générale de l’histoire française et nord-africaine, les médias de masse peuvent tirer profit de cette myopie pour manipuler l’opinion publique, comme nous le voyons dans le cas de Charlie Hebdo.
Charlie Hebdo et l’hypocrisie française
En dépit d’efforts concertés pour présenter Charlie Hebdo comme l’emblème de la liberté d’expression contre le fanatisme religieux et l’obscurantisme, les gens qui ne sont pas des marionnettes tressautant aux gestes de leurs maîtres manipulateurs le voient comme un symbole d’hypocrisie et de « deux poids, deux mesures ». La publication satyrique n’est pas étrangère à la controverse. Anciennement connue sous le nom de Hara-Kiri, elle fut brièvement interdite en 1961 puis encore en 1966, pour une durée de six mois. Après avoir moqué la mort de Charles de Gaulle en 1970, le journal fut interdit définitivement, obligeant ses éditeurs à se reformer et à le renommer Charlie Hebdo. Le journal cessa ensuite toute publication entre 1981 et 1991 où il réapparut, revanchard. Bien qu’il affirme soutenir la liberté d’expression, Charlie Hebdo a viré Mona Chollet en 2000 après qu’elle se soit opposée à un article de Philippe Val qui disait des Palestiniens qu’ils n’étaient « pas civilisés ». En 2008, le magazine mit fin au contrat du dessinateur politique vétéran Maurice Sinet, alias « Siné », pour avoir suggéré que Jean Sarkozy projetait de se convertir au Judaïsme. Le journal ne croit à la liberté d’expression que lorsqu’elle sert des intérêts laïcistes et athées.
Essayant de faire passer les Musulmans pour des imbéciles irrationnels, les médias de masse ont insisté qu’ils étaient outragés que le Prophète Mohammed ait été représenté par une image – une chose prétendument interdite par la Charia. Le fait que le Prophète ait depuis belle lurette été représenté en images ne fait pas partie de leur équation. Les médias font paraître que les Musulmans ne sont enragés que parce qu’on a osé dessiner Mohammed. Parfois, une image du « Prophète » avec une bombe dans le turban est montrée comme exemple. Bien que je lise des journaux du monde entier, et sois bien informé, je ne suis jamais tombé sur un article qui parle honnêtement de la réelle nature des dessins scandaleux : nommément, des images du « Prophète » nu, ses couilles pendantes, et son anus en l’air disant « une étoile est née » ; des dessins du « Prophète » se faisant filmer son postérieur en demandant : « Vous aimez mon cul ? » Mauvais goût ? Oui, en effet, tout comme les images de Jésus sodomisant Dieu le Père pendant que le Christ a le Saint Esprit inséré dans son rectum. Oh, vous autres Chrétiens aviez manqué celle-là ? Et celle du Pape brandissant une capote et s’en servant comme Eucharistie ? Ou encore la raillerie blasphématoire du Christ et de la Vierge Marie décrite dans La Vraie Histoire du Petit Jésus de Charlie Hebdo ? Est-ce que ça a aussi échappé aux Chrétiens ? Assurément, quelques Chrétiens ont fait attention et ont protesté, mais en général les Chrétiens contemporains sont devenus blasés des descriptions blasphématoires du Christ et de la Vierge dans les médias de masse – en partie parce que que ces médias ne rendent le plus souvent pas compte des manifestations d’indignation chrétiennes. Et les satyres anti-musulmanes de Charlie Hebdo ont évidemment été beaucoup plus commentées que celles qui sont anti-chrétiennes.
Qu’est-ce que la liberté d’expression ? La liberté d’expression est le droit d’exprimer ses opinions religieuses et politiques sans crainte de rétribution politique ou judiciaire. L’intention derrière la liberté d’expression est d’empêcher la coercition. Ce n’est pas une licence pour diffamer, ou calomnier. Avec chaque droit vient une responsabilité. Comme l’explique la Déclaration sur la Liberté Religieuse : « Dans la jouissance de toute liberté les gens doivent respecter le principe moral de la responsabilité personnelle et sociale : dans l’exercice de leurs droits les individus et les groupes sociaux sont liés par la loi morale d’avoir des égards pour les droits des autres et pour le bien commun de tous. Tout le monde doit être traité avec justice et humanité. » (no. 7) Chaque nation qui défend la liberté d’expression y place des limites. Des pays qui permettent la pornographie interdisent la pédopornographie. Des nations qui autorisent la liberté d’expression prohibent la propagande de haine et l’incitation à la violence.
Stéphane Charbonnier n’est pas mort pour la liberté d’expression. Il est mort à cause de sa propre banale stupidité. Si un homme entre dans la cage aux lions, il va forcément se faire dévorer. Le lion n’est pas à blâmer. Il y a une distinction légale entre une agression et une agression avec circonstances aggravantes. La loi fait la distinction entre l’homicide volontaire et l’homicide involontaire. Charlie Hebdo n’était pas innocent. Le journal a fait des efforts délibérés pour insulter les croyants musulmans et chrétiens. Toutefois, de façon révélatrice, le journal n’a jamais provoqué les Juifs. En France, par exemple, il est illégal d’inciter à la haine à l’encontre d’une nation, d’une race ou d’une religion si cela encourage à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence envers un groupe spécifique. L’État Français témoigne d’une tolérance zéro contre quiconque remettant en cause l’Holocauste Juif ou Arménien. Il agit rapidement et de manière décisive contre tout ce qu’il perçoit comme une expression d’antisémitisme.
Par contre, quand il s’agit de l’Islam et des Musulmans, l’hypocrisie des Français est hideuse. Les Français sont prêts à interdire Hara-Kiri pour avoir moqué Charles de Gaulle ; cependant, ils soutiennent la publication quand elle humilie le Prophète Mohammed. Ils accusent les auteurs et comédiens français d’incitation à la haine quand ils critiquent Israël ; mais les instigateurs de haine qui diffament l’Islam ont les coudées franches. Malgré des poursuites judiciaires répétées contre Charlie Hebdo, le journal a choisi en toute conscience de continuer sa campagne de propagande anti-islamique, insultant délibérément ce que les Musulmans tiennent comme étant le plus sacré. Le journal a plaidé qu’il ne moquait pas le Prophète ; qu’il moquait plutôt les islamistes. La majorité écrasante des Musulmans n’a rien contre quelques piques en direction des psychopathes et des terroristes pseudo-musulmans. Ils le font tous les jours à la radio, à la télévision et dans la presse écrite. Charlie Hebdo n’a pas choisi de dépeindre Oussama ben Laden ou Khalid Cheikh Mohamed dans des poses provocatrices. Au contraire, ils ont ciblé le Prophète Mohammed, le chef adoré d’un milliard et demi de Musulmans. Ce faisant, ils ont pris pour cible toute une communauté.
Suis-je du côté des tueurs en série salafistes ? Absolument pas ! Ai-je de la sympathie pour Charlie Hebdo ? Jamais. En tant que Musulman, je ne suis certainement pas Charlie car au contraire de Charlie, je respecte Dieu ; je respecte Ses Prophètes et Messagers ; je respecte la religion ; et je respecte les sentiments de mes congénères humains. Charlie Hebdo n’est pas composé de défenseurs de la liberté d’expression : ce sont des pornographes et des agents provocateurs au service du fondamentalisme athée et laïciste. Le grand défilé qui a eu lieu après les malheureuses, mais presque inévitables fusillades était parodique. Là, côte à côte, marchaient quelques-uns des plus grands pourfendeurs des droits humains au monde, s’identifiant avec Charlie. La position de l’État Français vis-à-vis des sentiments musulmans fut limpidement explicitée, quand il accorda presque 1 million d’Euros d’aide au magazine. Le Fonds pour l’Innovation Numérique de la Presse, en partie financé par Google, fit une donation de 250 000 Euros en soutien à l’hebdomadaire qui furent égalés par l’association française Presse et Pluralisme. Le Guardian Media Group s’avança aussi avec un don de 100 000 Livres. Tant il est louable de défendre la liberté d’expression, il faut savoir le faire avec modération.
La France, comme la majeure partie du monde occidental, s’est clairement positionnée dans la dar al-kufr ou « Demeure de l’Incroyance » et en tant que kuffar al-harbi, des infidèles en guerre contre l’Islam. Pourtant, pendant des siècles les Français ont en fait appartenu à la dar al-‘ahd, la « Demeure de l’Alliance » et, plutôt que kuffar al-harbi, ils étaient classés parmi le ahl al-kitah et le ahl al-dhimmah, le « Peuple du Livre », et le « Peuple de la Protection ». Une telle coexistence entre Chrétiens et Musulmans fut rendue possible par les Alliances du Prophète Mohammed, qui représentent la fondation des droits en Islam. Les principes énoncés dans les Alliances protégeaient tous les citoyens, quelle que soit leur religion. Ils diffèrent de l’entendement moderne des « droits de l’homme » et de « laïcité » dans le sens où la souveraineté de Dieu règne, suprême. C’est Dieu qui accorde ces droits ; pas l’Homme. Ce système reposant sur l’Alliance offrait les mêmes bénéfices sociaux que la laïcité par le biais d’un système enraciné dans la religion et décrété par Dieu. Les Alliances du Prophète hissent les droits humains au niveau des Droits Divins.
Si les Musulmans et les Chrétiens étaient des amis et des alliés dans le passé, c’est parce qu’ils croyaient tous deux au monothéisme et respectaient leurs traditions et sensibilités religieuses respectives. Aussi choquant que cela puisse sembler pour beaucoup, la Révolution Française fut un fiasco qui éroda et finalement éradiqua les valeurs et l’éthique chrétiennes. Pour être franc, les Français étaient de meilleurs êtres humains quand ils étaient catholiques. Ayant quasiment réussi à exterminer le Christianisme aux dépens, et pour le déclin moral de la France, les athées français cherchent à laïciser tout ce qui leur passe sous la main. Tandis que l’Islam est l’ombre de ce qu’il a été, et que la tradition musulmane est dans le coma et sous perfusion, c’est la seule force socio-politique et spirituelle qui continue à résister au laïcisme, au matérialisme et à l’hédonisme jusqu’à son dernier souffle. Par conséquent, il faut faire croire que l’Islam est l’ennemi public numéro un, et une menace existentielle pour la civilisation occidentale. Pour les gens qui professent de suivre la religion des Lumières, ce n’est pas un progrès. Loin de l’évolution, c’est une dévolution. C’est un retour à l’ignorance, à l’hostilité et à l’animosité ; au temps où les Francs étaient en guerre contre les Sarrasins, en opposition à celui où les Catholiques et les Musulmans coexistaient sous les Alliances du Prophète. Si les gens sont aveuglés, c’est pour les empêcher de voir cette réalité.
Conclusion
Pour finir, il est résolument clair que tuer quelqu’un pour une calomnie ou une diffamation n’est pas un acte juste et équitable. L’affaire de Charlie Hebdo appelait au djihad de la plume, et pas au djihad de l’épée. Par voie de conséquence, je condamne, en des termes résolument fermes, ceux qui abusent du Prophète de la même manière que je condamne ceux qui tuent ses abuseurs. Bien que les deux parties méritent le blâme – c’est à dire, ceux qui abusent de la liberté d’expression pour offenser et provoquer les Musulmans, et ces psychopathes réactionnaires qui commettent des crimes au nom de l’Islam, l’impression de dessins blasphématoires n’est que peccadilles en comparaison du meurtre de masse prémédité. Pareillement, si les Juifs avaient assassiné quelques néo-Nazis allemands impliqués dans la diffusion de caricatures anti-juives, cela n’aurait été ni moralement défendable ni sage. Mais c’eut certainement été compréhensible.
Dans le système juridique actuellement en vigueur en France, les gens peuvent avoir le droit d’insulter la Vierge Marie, Jésus, et Mohammed ; par contre, cela n’entend pas qu’ils aient le droit moral de le faire. On a aussi le droit de dormir avec des prostitué(e)s transsexuel(le)s toxicomanes porteurs/porteuses de MST ; cela ne veut pas dire que ce soit la chose éthique à faire. La loi établit les limites du comportement permis. En d’autres termes, elle établit le standard minimum. La morale et l’éthique, par contre, nous montrent comment nous devrions aspirer à nous comporter. Les dessins publiés par Charlie Hebdo étaient peut-être juridiquement légitimes ; cependant, cela ne change rien au fait qu’ils étaient blasphématoires, immoraux et sans éthique.
Pour ce qui est des terroristes impliqués dans les attaques parisiennes, ils sont loin d’être le produit de l’Islam. En réalité, ils sont le produit de la société occidentale ; pour être précis : ils sont le produit des ghettos français. De façon orwellienne, les Français comme les Britanniques, les Américains et les Israéliens soutiennent et s’opposent simultanément à ce qu’ils appellent « l’Islam radical ». Les services secrets français, par exemple, ont été reliés au GIA, ou Groupe Islamique Armé, le culte mortifère qui a servi à discréditer le mouvement musulman en Algérie. Le gouvernement français a également été l’un des plus fervents soutiens de l’opposition syrienne. Ils soutiennent les terroristes takfiristes à l’étranger et ensuite se plaignent quand des terroristes takfiristes se retournent contre eux sur leur territoire. Comme l’État Islamique, ou dirons-nous Satanique, a été créé par les puissances occidentales, beaucoup d’analystes trouvent hautement suspect qu’ils s’en prennent à des cibles dans le monde occidental. Aucun Musulman de bon aloi ne tuerait intentionnellement des non-combattants, ou s’engagerait dans des actes de terrorisme. Un tel massacre souille l’image de l’Islam dans le monde et résulte en un retour de bâton brutal pour les Musulmans vivant en Occident.
Les terroristes islamistes ne combattent pas pour l’Islam. Ils sont une armée par procuration, une cinquième colonne au service du Nouvel Ordre Mondial laïque. Les fondamentalistes laïcistes utilisent les extrémistes religieux pour détruire la religion et discréditer l’option islamique. Les terroristes takfiristes servent de prétexte à l’intervention militaire, à la guerre et à l’occupation. L’enjeu final n’est pas le changement de régime, la démocratie, les droits humains et la liberté d’expression. L’objectif stratégique est l’acquisition et le contrôle de ressources naturelles. La guerre n’est pas morale : elle est matérielle. Qui, dans ce cas, est ce « Prophète » que ces forces pseudo-islamiques prétendent avoir vengé ? S’il s’agit du Prophète Mohammed, ils n’ont fait qu’insulter son nom et son héritage de miséricorde et de compassion. Ainsi que Dalil Boubakeur l’Imam de Paris l’a dit clairement, les terroristes takfiristes/wahhabites ne peuvent en aucun cas parler du Prophète historique Mohammed, car le seul « Prophète » qu’ils suivent est Satan. Quand à l’affaire de Charlie Hebdo, je ne peux que la décrire comme un blasphème orchestré contre l’Islam, similaire aux actes d’ISIS, servant à provoquer les Musulmans ; à exciter l’animosité à leur encontre ; à fournir un prétexte pour l’instauration d’un état sécuritaire sous surveillance ; et à justifier des actions impérialistes à l’étranger.
John Andrew Morrow est professeur de langues étrangères à l’Ivy Tech Community College aux USA, et l’auteur de plusieurs ouvrages dont une étude sur L’Alliance du Prophète Mohammed avec les Chrétiens du Monde, acclamée par les critiques.

Traduction : Lawrence Desforges
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