[Ukraine] Une Histoire faussée ne crée pas d’amis, par Andreas Umland

Bon, ça reste du Foreign Policy très mainstream USA, mais il y a des choses très intéressantes dans ce billet de l’historien allemand Andreas Umland…
Ce billet fait suite à la présentation du révisionniste Volodymyr Viatrovich

Source : Foreign Policy, Andreas Umland, 25-10-2016
La glorification des nationalistes ukrainiens de guerre de Kiev menace de détourner ses alliés Occidentaux – juste quand il a le plus besoin d’eux.

Une marche nationaliste à Lviv, Ukraine, le 1er janvier 2016 alors qu’ils célèbrent le 107ème anniversaire de Stepan Bandera

Arriver à un terme avec le passé est toujours un travail compliqué. Mais dans très peu de pays le débat sur l’histoire est aussi chargé – et aussi significatif – qu’en Ukraine.
Cela a trait avec l’histoire complexe d’une nation qui a été prise en étau, durant une grande partie du XXe siècle, entre deux puissances totalitaires qui cherchaient sa destruction. Le fait que la succession d’une de ces puissances – la Russie agressive et chauvine de Vladimir Poutine – exploite cyniquement l’un des éléments les plus controversés de l’histoire ukrainienne dans sa guerre contre Kiev n’aide pas. De plus en plus, cependant, la responsabilité en incombe à Kiev elle-même.
Il y a en particulier la problématique de l’interprétation historique d’un parti nationaliste qui a cherché à créer une Ukraine indépendante aux alentours de la seconde guerre mondiale – l’irréductible « faction Bandera » de l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens (OUN-B). Le dilemme est que, alors que plusieurs des chefs de l’OUN-B et membres ordinaires ont donné leur vie durant le combat pour l’indépendance ukrainienne, la plupart d’entre eux étaient aussi de virulents nationalistes, définitivement xénophobes. Certains ont même été complices de l’Holocauste et d’autres crimes de masse contre des civils. Du coup, alors que le groupe bénéficie d’une popularité considérable au sein de la classe dirigeante de l’Ukraine et d’une large part l’élite intellectuelle, il est très controversé chez la population du pays proche de la culture russe, les juifs, l’intelligentsia libérale, et ses partenaires étrangers.
La question de savoir comment les Ukrainiens devraient interpréter cette Histoire en temps de guerre nécessite de la nuance et de la retenue.
Par conséquent, il est surprenant que les leaders politiques ukrainiens aient décidé en 2014 de laisser les rênes de l’Institut Ukrainien pour la Mémoire Nationale (UINP en Ukrainien) – le principal organe gouvernemental responsable de la mémoire historique – à un groupe de jeunes activistes aux compétences scientifiques inconnues.
Sous son nouveau directeur, Volodymyr Viatrovych, l’institut a poussé une version expurgée de l’idéologie de l’OUN-B et de ses action durant la guerre. Par le biais de ses différentes publications populaires, apparitions dans les médias, de projets internet et autres initiatives, l’UINP présente les leaders du groupe, Stepan Bandera, Roman Shukhevych et Yaroslav Stetsko en héros nationaux d’une noblesse incontestable.

Complément Les-crises :

Stetsko donne du pain et du sel aux envahisseurs allemands – Lire ici

En aout 1941, le même Stetsko écrivit dans son autobiographie : « Bien que je considère que c’est Moscou, qui en fait tient l’Ukraine en captivité, et non pas les Juifs, comme l’ennemi principal et décisif, je considère tout de même pleinement le rôle indéniablement nuisible et hostile des Juifs, qui aident Moscou à asservir Ukraine. Je soutiens donc la destruction des Juifs et la pertinence de l’apport des méthodes allemandes d’extermination des Juifs en Ukraine, plutôt que de tenter de les assimiler. »
(Source : L’infrastructure européenne pour la recherche sur la Shoah (EHRI), voir aussi ici)

Du coup, alors même que l’Ukraine essaie de s’intégrer à l’Occident, son célèbre mouvement ultra-nationaliste du temps de la guerre a bénéficié d’une reconnaissance officielle en tant que pinacle du patriotisme ukrainien. Mais – à part quelqu’autres répercutions à l’intérieur du pays – cette approche risque de saboter tout partenariat important de Kiev avec ses partenaires occidentaux.
En particulier, la campagne de l’institut pour honorer un mouvement nationaliste extrême est totalement contraire aux principes d’intégration Européenne. Contrairement à ce que pensent quelques Ukrainiens, l’union de l’Europe qui a débuté dans les années 1950, n’était pas en premier lieu un projet anti-Moscou. Au contraire, c’était une réponse au défi du nationalisme radical, qui a engendré deux guerres mondiales en tout juste un demi-siècle. C’est pourquoi la passion de l’UINP pour les ultranationalistes de l’OUN-B pose autant de problèmes. Il honore précisément ces aspects de l’Histoire européenne que le continent a essayé de dépasser depuis 1945.
Un des problèmes dans l’histoire de l’OUN-B, c’est son antisémitisme. Pour être sûr, la haine des juifs n’était pas aussi proéminente de la xénophobie du groupe que de celle des nazis allemands. Mais c’était néanmoins suffisamment important pour motiver un nombre considérable de ses membres à participer à l’Holocauste, soit comme collaborateurs des Allemands, soit en tant que chasseurs “indépendants” de juifs.
Pas la peine de préciser que l’UNIP et d’autres pseudo-historiens ukrainiens préfèrent passer ces événements sous silence, mettant l’accent sur de nombreux cas réels d’Ukrainiens (et même quelques nationalistes) qui ont sauvé des juifs durant la guerre. Mais cette approche ne laisse que peu de place à la reconnaissance des crimes commis par l’OUN-B. Du fait des communiqués et des publications trompeurs de l’UINP, la plupart des ukrainiens savent très peu de choses sur le fait que certaines milices du groupe ont participé à des pogroms anti-juifs durant la guerre, même si c’est maintenant largement documenté  autant par des historiens ukrainiens que des historiens occidentaux.
Face à la continuité du discours Occidental sur l’Holocauste, ces développements auront un effet corrosif sur les relations de l’Ukraine avec l’étranger, son image à l’international, et sa diplomatie culturelle (sans mentionner ses relations avec Israël.)
Les contradictions ne feront que grossir alors que les recherches les plus récentes sur la participation de l’OUN-B à des crimes de guerre se répandent depuis la communauté académique aux livres d’histoires occidentaux, l’éducation sur l’Holocauste et les mass-médias.
Graduellement, le fait que l’Ukraine mette la pédale douce sur les crimes commis par l’OUN-B deviendront de moins en moins acceptables. (Le fait que personne dans la nouvelle équipe de l’UINP ne semble avoir de profil académique à proprement parler, et que son directeur est devenu célèbre dans la communauté des historiens pour son approche sélective de l’Histoire, rend peu probable le fait qu’une narrative positive au sujet de l’OUN-B fasse son chemin en Occident.)
Le plus gros problème immédiat qui apparaît avec cette narrative officielle de Kiev au sujet de la seconde guerre mondiale est qu’elle est inacceptable pour les membres de l’Union Européenne et de l’OTAN, comme la Pologne ou l’Allemagne, qui sont très pointilleuses sur la façon dont cette période de l’histoire européenne est interprétée. La Pologne n’acceptera rien de moins que la reconnaissance complète et une mémoire décente des massacres de dizaines de milliers de civils polonais par l’Armée Ukrainienne Insurgée, qui était sous le commandement de l’OUN-B.
Pour ce qui est de l’Allemagne, toute suggestion qui pourrait honorer des collaborateurs nazis, telle que le leader de l’OUN Roman Choukhevytch– un officier de la Wehrmacht et d’un célèbre bataillon de police auxiliaire – est absolument hors de question.
Mise à part les États-Unis et le Canada, la Pologne et l’Allemagne sont les partenaires occidentaux les plus importants de l’Ukraine. Berlin a joué un rôle crucial dans l’imposition et l’extension des sanctions de l’UE contre la Russie, et l’Allemagne est l’un des principaux donateurs occidentaux de l’Ukraine (et potentiellement un prochain partenaire d’affaires.) Et bien que la Pologne soit moins forte que l’Allemagne, elle pourrait être un partenaire encore plus important pour Kiev, puisque son niveau de connaissance et d’intérêt pour l’Ukraine dépasse celui de n’importe quel autre pays membre de l’Union.
Étant donné sa compréhension aiguë de la menace russe, la Pologne est souvent l’avocat pro-ukrainien le plus insistant dans les organisations occidentales, particulièrement lorsque l’on parle de sécurité. Varsovie reste aussi le principal allié de Kiev dans la région, puisque l’Ukraine ne peut espérer rejoindre ni l’OTAN, ni l’UE dans un proche avenir.
Mais la glorification continue par Kiev de Bandera et de son mouvement risque d’écarter Varsovie de la cause ukrainienne.
Le pire dans tout cela, c’est que la passion de l’Ukraine pour l’OUN rend encore plus facile aux propagandistes russes de présenter Kiev comme un repaire de fascistes. Bien sûr, l’assaut violent  de Poutine sur l’état ukrainien depuis 2014 a été l’une des principales raisons pour lesquelles le pays s’est rapproché de ses héros nationalistes en premier lieu. Malgré tout, plus l’historiographie officielle de Kiev déviera de ce qui est communément accepté en Occident, plus il sera facile à Poutine de faire planer le doute au sein des amis de Kiev.
Les conséquences de l’inaptitude de l’Ukraine à étudier correctement, accepter et à enseigner les côtés les plus sombres de son passé commencent à se faire sentir. En réalité, elles semblent causer des scandales internationaux de plus en plus régulièrement. L’UINP et d’autres activistes sont en train d’aliéner les partenaires internationaux de l’Ukraine les plus importants alors que l’Ukraine a plus que jamais besoin de leur aide.
Pour cette et d’autres raisons, l’Ukraine devrait suivre une approche plus académique, et moins évasive de son histoire en temps de guerre – comme la plupart des pays occidentaux l’ont déjà fait.
Source : Foreign Policy, Andreas Umland, 25-10-2016
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Volodymyr Viatrovich nomme ici pour un magazine les cinq “personnalités exceptionnelles qui, selon lui, ont changé le cours de l’Histoire”. Il cite Gutenberg, Churchill, Havel, Elon Musk et… Roman Choukhevytch :

Sa fiche Wikipedia est éloquente : c’est un nationaliste ukrainien, engagé sous l’uniforme nazi et un génocidaire :

Brute largement dénoncée par le centre Simon Wiesenthal :

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