[RussEurope-en-Exil] Le 80ème anniversaire du Pacte Germano-Soviétique, par Jacques Sapir

Ce jour du 23 août 2019 marque le 80e anniversaire de la signature du pacte Germano-Soviétique, dit aussi pacte Molotov-Ribbentrop. La signature de ce pacte faisait sauter la dernière des sécurités avant le début de la Seconde Guerre Mondiale. L’agression de l’Allemagne Nazie contre la Pologne n’est plus qu’une question de jours ; elle surviendra le 1er septembre. Les déclarations de guerre à l’Allemagne de la Grande-Bretagne et de la France surviendront dès le 3 septembre 1939.
Ce Pacte a été considéré comme « hors nature » par les uns ou au contraire comme parfaitement naturel, par les autres. La construction d’une équivalence idéologique entre le nazisme et le stalinisme jouant ici le rôle d’un « deus ex-machina » censé « expliquer » le Pacte. Pourtant, cette équivalence a été désormais, depuis la fin de la guerre froide et l’ouverture des archives soviétiques[1], rejetée[2]. Il est aussi vrai que le Pacte fait partie des argumentaires dans l’hystérie « anti-Poutine » en antirusse qui sévit actuellement en France[3]. Il reste cependant un point sensible tant en Russie qu’ailleurs[4].
La réalité est en fait bien plus tortueuse. Depuis 1990, l’ouverture des archives soviétiques permet d’éclairer, au moins en partie, les raisons et les processus qui on conduit à ce Pacte[5]. Le Pacte, qui est officiellement un accord de non-agression mais qui contient aussi un protocole dit secret, est le résultat de contraintes de sécurité pesant sur l’URSS, mais aussi de raisons économiques et territoriales.

La sécurité collective et l’URSS

L’Union soviétique s’est sentie rapidement menacée par l’arrivée au pouvoir d’Hitler et a vu, dans le régime nazi, un ennemi dangereux. De ce point de vue, il est inexact de dater de 1934 l’abandon de la fameuse ligne « classe contre classe » qui était celle du Komintern et de la direction soviétique, et qui avait abouti à l’isolement relatif de l’URSS. Le Pacte d’Amitié, de Neutralité et de non-Agression signé avec l’Italie en septembre 1933, tout en étant aussi déterminé par des raisons économiques et industrielles, en particulier dans les constructions navales[6], avait pour but de se chercher des alliés contre Hitler[7]. Il faut noter que, depuis le sauvetage de Umberto Nobile par le brise-glaces soviétique Krasin, les relations entre l’Italie mussolinienne et l’URSS s’étaient de beaucoup réchauffées[8]. Les dirigeants soviétiques, ayant tiré un bilan négatif de leur politique d’isolement, vont chercher systématiquement à réintégrer le « concert des Nations » pour tenter de se prémunir contre une alliance générale des pays capitalistes contre l’URSS. Cette politique, qui les conduit à intégrer la SDN le 18 septembre 1934 et qui s’incarne dans le responsable des affaires étrangères Maxime Litvinov, n’est pas non plus dépourvue de dimensions militaires. Il en ira ainsi avec la France, avec l’échange d’officiers à partir de 1934 ainsi que des achats de licence (pour des moteurs d’avions)[9], et avec la Tchécoslovaquie[10]. Cette politique de rapprochement avec les puissances « capitalistes » occidentales, vue avec une méfiance certaine depuis la Grande-Bretagne[11], connaîtra son apogée en 1937-38. La crise des Sudètes, qui commence dès la fin de 1937, et les accords de Munich (29 septembre 1938)[12], dont l’URSS est exclue (tout comme le gouvernement tchèque) sera une très grande déception pour les dirigeants soviétiques et la cause d’une inquiétude grandissante.Lire la suite

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