C’est l’âge de la liberté d’expression (qui empoisonne la démocratie), par Zeynep Tufeckci

Source : Wired, Zeynep Tufeckci, 16-01-2018
Dans la plus grande partie de l’’histoire moderne, la façon la plus simple de bloquer la propagation d’une idée était de l’empêcher d’être disséminée mécaniquement. Fermez le journal, faites pression sur le chef de la radio, installez un censeur officiel à la maison d’édition. Ou, si ça commençait à barder, posez un pistolet chargé sur la tempe du présentateur.
C’est arrivé une fois en Turquie. C’était au printemps 1960, lorsqu’un groupe d’officiers de l’armée venant de prendre le contrôle du gouvernement et des médias nationaux, imposa un black-out d’information pour supprimer la coordination de toute menace contre leur coup d’État. Mais malheureusement pour les conspirateurs, un match de football très attendu entre la Turquie et l’Écosse devait avoir lieu dans la capitale deux semaines après leur prise de contrôle. Des matchs comme celui-ci ont été retransmis en direct sur les ondes de la radio nationale, présentateur commentant le match dans tous les détails. Les gens de toute la Turquie se serraient autour de leurs postes de télévision pour applaudir l’équipe nationale.
L’annulation du match était trop risquée pour la junte, car cela pourrait susciter une protestation. Et si l’annonceur disait quelque chose de politique en direct à la radio ? Une seule remarque pourrait faire basculer le pays dans le chaos. Les policiers ont donc trouvé la solution évidente : ils ont pointé plusieurs armes à feu sur l’annonceur pendant les 2 heures et 45 minutes de la diffusion en direct.
C’était quand même un risque, mais un risque géré. Après tout, il n’y avait qu’un seul présentateur à menacer : un seul goulot d’étranglement pour contrôler les ondes.Lire la suite

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