Donald Trump sur les traces des Gracques, par Thomas Flichy de la Neuville

À propos de l’auteur : Membre du Centre Roland Mousnier de l’Université Paris IV – Sorbonne, Thomas Flichy de La Neuville est spécialiste de l’Iran. Ancien élève en persan de l’INALCO, agrégé d’histoire et docteur en droit, ses derniers travaux portent sur l’avènement de l’État islamique. Thomas Flichy de la Neuville est sur le point de publier « La chute de Babel : du choc des élections américaines à l’hiver de la mondialisation », un essai dont est issu l’extrait suivant.

La campagne présidentielle américaine, qui prend fin aujourd’hui, n’est pas sans rappeler un célèbre épisode de la république romaine : celui de l’élection de Tiberius Gracchus au tribunat de la Plèbe. Issu de la noblesse plébéienne, Tiberius Gracchus se caractérisa en effet par la radicalité de ses réformes. Selon Valère-Maxime, « il avait l’habitude de répéter devant tout le monde qu’une fois le Sénat liquidé, tout le pouvoir devrait aller à la plèbe » (1). Mettant en cause la perpétuelle infidélité comme l’inutilité militaire des esclaves, il se heurta aux grands propriétaires et osa entreprendre quelque chose d’énorme nous narre Florus (2). Sa loi agraire prévoyait en effet une redistribution de terres d’une telle ampleur qu’elle affaiblirait définitivement l’autorité du Sénat.
Tiberius Gracchus eut contre lui les principaux faiseurs d’opinion, notamment le grand prêtre Scipio Nasica, qui fomenta une émeute à son encontre en 133 av. J.-C. Or les présages étaient défavorables à Tiberius : « Au petit matin chez lui, il prit les auspices. Leur réponse fut tout à fait sinistre. Sortant de chez lui il se blessa le pied au point de se fracturer un doigt. Ensuite trois corbeaux firent entendre un chant de mauvais augure à son encontre » (3).
Mais mystérieusement, quelques signes visibles l’engagèrent à poursuivre, notamment les graffiti lisibles dans les portiques et sur les murs des maisons (4). Bannie des enceintes officielles, notamment du Sénat, la parole populaire, gravée sur les murs, l’encourageait à ne pas céder. Sa campagne fut haute en couleurs puisqu’il mélangea le sublime à la bassesse (5). Il lutta constamment contre les manipulations de ses paroles : quelque temps avant son assassinat, il leva la main à la hauteur de la tête pour signifier que sa vie était en danger.
Mais ses opposants se précipitèrent au Sénat prétendant que Tiberius réclamait une couronne puisqu’il avait fait ce geste (6). Afin de contrer le populisme des Gracques, le Sénat acheta l’autre tribun de la plèbe, Octavius puis donna tout pouvoir aux citoyens d’assassiner Tibère. Cet fin tragique n’empêcha pas l’épisode des Gracques d’agir comme un catalyseur sur l’effondrement de la république et surtout d’enclencher le cycle des guerres civiles. Certes, l’Amérique de 2016 n’est pas la république du IIe siècle avant J.-C., une chose est certaine toutefois : quel que soit le résultat des élections présidentielles, la campagne politique de Trump ébranlera durablement la vie politique et aura des répercussions immédiates sur les élections à venir en Europe.
Thomas Flichy de la Neuville

Notes :
(1) Valère-Maxime, III, 2, 17.
(2) Florus, III, XV
(3) Valère-Maxime, I, IV, 2
(4) Plut. Tib. Gracc. 8.
(5) Velleius Paterculus, II, II
(6) Plutarque, Tiberius Gracchus, 19.2
(710)
Cet article Donald Trump sur les traces des Gracques, par Thomas Flichy de la Neuville est apparu en premier sur Cercle des Volontaires.