Coronavirus : « Si toute crise devient guerre, nous sommes condamnés à une guerre à perpétuité ! »

Source : Marianne, Nidal Taibi, 30-03-2020

Catherine Hass est docteure en anthropologie politique et auteure de l’ouvrage « Aujourd’hui la guerre. Penser la guerre. Clausewitz, Mao, Schmitt, Adm. Busch ». Elle y analyse les mésusages contemporains de la notion de « guerre ».

« Nous sommes en guerre ». Martelée à six reprises par le président de la République dans son dernier discours à l’Elysée, et réutilisée de nouveau dans son dernier discours du mercredi 25 mars à Mulhouse, l’expression ne pouvait manquer d’interpeller Catherine Hass, qui a consacré un remarquable ouvrage aux enjeux autour de cette formule.
Marianne : Dans sa dernière allocution télévisée depuis l’Elysée, le président de la République a martelé à six reprises la formule « nous sommes en guerre ». Il a réitéré l’utilisation de cette expression mercredi dernier à Mulhouse. Comment analysez-vous le recours au registre martial dans ce contexte de crise sanitaire ?
Catherine Hass : La déclaration de Macron m’a choqué, stupéfaite : je l’ai trouvée à la fois irresponsable et dangereuse. Stupéfaite parce que précisément nous sommes en paix, un point qu’il faut affirmer avec force puisque c’est parce que nous sommes en paix qu’il est possible de limiter une hécatombe pandémique en confinant strictement et durablement la majeure partie de la population et ce, non pas tant pour sauver sa propre peau mais, très largement, celle des plus vulnérables en essayant de ne pas faire exploser en vol les services hospitaliers d’urgence. Irresponsable car elle vise à faire paniquer les gens et à les mettre au garde à vous là où le contraire aurait dû s’imposer. Dangereuse enfin pour la vitesse avec laquelle le lexique de la politique intérieure s’est martialisé : les « alliés de guerre » de Castaner, les « défaitistes » de Pénicaud, « l’armée de l’ombre » du ministre de l’Agriculture, « le pont aérien » de Philippe pour parler d’avions devant ramener des masques de Chine comme s’il s’agissait de pièces d’artilleries, etc. Si Macron ne l’avait dit qu’une seule fois, nous serions restés dans le domaine de la métaphore, d’une dramaturgie de la crise. Mais dès lors qu’il martèle, avec une aisance impérieuse, six fois « Nous sommes en guerre », il s’agit d’autre chose : il dit une intention politique qui, si elle est n’a pas encore livré toutes ses conséquences, a déjà des effets – l’invraisemblable « état d’urgence sanitaire ». Ses effets nous éloignent donc la seule rhétorique martiale et perdureront sans doute après la période du confinement puisque sa fin ne marquera sans doute pas la fin de « la guerre ». Rappelons que l’état d’urgence décrété après le 13 novembre dura deux ans et que certaines de ses dispositions furent pérennisés dans la loi Colomb sur la sécurité intérieure d’octobre 2017.Lire la suite

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