Cohn, Bannon, Mnuchin… Trump au service de sa majesté Goldman Sachs

« Je les connais, les banquiers de Goldman Sachs ! Ils exercent un contrôle total sur Hillary Clinton ! » Donald Trump n’avait pas de mots assez durs, au printemps dernier, pour dénoncer à bon droit les liens étroits unissant la candidate démocrate aux dirigeants de la puissante banque d’affaires Goldman Sachs.
Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, le président élu doit composer un gouvernement, et sa priorité n’est plus aux vitupérations contre l’influence de Wall Street dans les couloirs de Washington. Il faut « rassurer les marchés », et autant dire que la victoire de Trump ne les a pas fait paniquer, loin de là. À la grande surprise de la majorité des analystes et des médias qui prédisaient une chute des cours sans précédent en cas d’élection du milliardaire, Wall Street vole de record en record depuis l’annonce des résultats du scrutin.
Les nominations de vétérans de Goldman Sachs à des postes régaliens du pouvoir politique états-unien ne sont pas étrangères à cette envolée spectaculaire des cours boursiers.

Gary Cohn, le successeur désigné de Blankfein placé à la tête du NEC

Avant sa nomination à la tête du NEC, Gary Cohn (à dr.), n°2 de Goldman Sachs était pressenti pour succéder à Lloyd Blankfein (à g.), actuellement PDG de la puissance banque d’affaires
Le 9 décembre, Trump a fait part de sa volonté de nommer Gary Cohn, 56 ans, actuel directeur général adjoint de Goldman Sachs, à la tête du Conseil Économique National (en anglais NEC pour National Economic Council). Cette institution, fondée sur une initiative de Bill Clinton en 1993, a pour fonction d’assurer la bonne coordination des différents organes économiques placés sous la responsabilité de l’exécutif, et de garantir la mise en place des mesures édictées dans ce domaine par la présidence. On peut donc mesurer l’écart séparant les promesses de campagne de Trump concernant l’émancipation du pouvoir politique de l’influence de Wall Street, à l’aune de la nomination du n°2 de Goldman Sachs à ce poste. Gary Cohn était pressenti pour succéder à Lloyd Blankfein à la tête de Goldman Sachs. Il semblerait qu’il se soit lassé des réticences de son patron à lui céder son poste. Il sera remplacé au sein de la Firme par David Solomon et Harvey Schwartz.

Le NEC, du sur-mesure pour Goldman Sachs depuis 1993

Membre du parti démocrate, Robert Rubin a été successivement coprésident de Goldman Sachs, Président du NEC, secrétaire au Trésor et président du CFR
Cette mainmise n’est pas une première, puisque dès la création du NEC, Clinton avait nommé Robert Rubin à ce poste, coprésident de Goldman Sachs de 1990 à 1992. Un portefeuille cousu sur mesure pour les hauts dirigeants de la firme, donc. Rubin avait quitté ce poste en 1995 pour occuper la fonction de secrétaire au Trésor jusqu’en 1999. Il est soupçonné de porter une responsabilité majeure dans la faillite de la banque Citigroup dont il a été nommé président par intérim en 2007. À cette date, il a également pris la présidence du Council on Foreign Relations. Il est aujourd’hui membre d’une fondation genevoise chargée de promouvoir le développement de l’Afrique, dirigée par l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan : Africa Progress Panel

Steven Mnuchin succède à son ancien patron Hank Paulson au Trésor

La principale mission de Steven Mnuchin, dont le père travaillait déjà pour Goldman Sachs, sera de détruire le peu d’initiatives de régulation financière mises en place par l’administration Obama
Steven Mnuchin, ancien donateur du parti démocrate, avait surpris son entourage en devenant directeur financier de la campagne de Trump. Le risque pris alors est aujourd’hui largement amorti, puisque cet ancien cadre de Goldman Sachs succédera le 20 janvier prochain à son ancien patron Henry Paulson, nommé jadis par G. W. Bush, ayant donc lui-même succédé à Robert Rubin à ce poste… On s’en souvient, Paulson avait été soupçonné de conflit d’intérêt pour avoir laissé couler le principal concurrent de Goldman Sachs, la banque Lehman Brothers, mais aussi pour avoir laissé Goldman Sachs passer du statut de banque d’investissement à celui de Holding. Ce qui lui avait permis de profiter des liquidités mises à disposition par la réserve fédérale et débloquées par Paulson en personne.

Les lois Dodd-Franck et Glass-Steagall aux oubliettes

Bush avait placé l’ex patron de Mnuchin, Hank Paulson au Trésor. Goldman Sachs s’était refait une santé aux frais du contribuable états-unien.
La sénatrice Elisabeth Warren s’est battue pour que la loi Dodd-Franck soit appliquée. Elle a fait part de son indignation quant à la nomination de Mnuchin
La nomination de Mnuchin nous informe sur ce à quoi ressembleront les pratiques de la finance durant les années Trump. Il est fort probable que l’administration Trump fasse tout son possible pour détricoter le peu de régulation financière instaurée durant l’ère Obama avec le vote de la loi Dodd-Franck. Il est fort peu probable en revanche, que Trump tienne sa promesse de restaurer la loi Glass-Steagall qui avait servi au pouvoir politique après la crise de 1929, à imposer la stricte séparation entre banque de détail et banque d’investissement. Rappelons que c’est Bill Clinton qui avait mis fin à la régulation relative que permettait d’imposer la loi Glass-Steagall… sous la pression de son secrétaire au Trésor Robert Rubin.
La sénatrice démocrate Elizabeth Warren, menant la fronde contre Wall Street, un temps pressentie pour être la « caution de gauche » d’Hillary Clinton en tant que vice-présidente éventuelle, s’est exprimée en ces termes en apprenant la nomination de Mnuchin :

« Steve Mnuchin est le Forrest Gump de la crise financière ; il a participé aux pires pratiques de Wall Street […] Il a passé deux décennies chez Goldman Sachs à l’aider à vendre le même type de crédits immobiliers qui ont fait sauter l’économie et pompé des milliards de dollars des poches du contribuable au titre de son sauvetage, avant de gérer une banque qui s’est bâtie une triste renommée en saisissant d’une manière agressive les familles ».

Stephen Bannon, la « dissidence » U.S. version Goldman Sachs… et Israël

Sous ses airs de rebelle inclassable, celui qu’Andrew Breitbart appelait le Leni Riefenstahl du Tea Party a lui aussi longtemps roulé pour Goldman Sachs
Mi-novembre, Stephen Bannon était nommé « haut conseiller et chef de la stratégie » de l’administration Trump. Si l’homme fait trembler les journalistes du magazine Bloomberg Business Week, l’ayant décrit en octobre dernier comme « l’homme politique en activité le plus dangereux des États-Unis », il ne fait pas frémir Wall Street, et surtout pas Goldman Sachs. Normal, puisque Bannon est de la famille.
En 1983, après un passage par la Navy et la prestigieuse Harvard Business School, Bannon intègre Goldman Sachs en tant que banquier spécialisé dans les investissements au département des fusions-acquisitions. En 1990, c’est avec l’appui de ses petits camardes de Goldman Sachs qu’il fonde son propre fonds d’investissement, sobrement baptisé Bannon & Co. Il se spécialise alors dans l’investissement média, s’engageant notamment dans la production de longs-métrages tels The Indian Runner de Sean Penn (1992) et Titus de Julie Taymor (1999). Il a revendu Bannon & Co. à la Société Générale en 1998.

L’ « alternative » de Bannon : Reagan et Palin, contre Occupy Wall Street

The Undefeated, 2011, film à la gloire de Sarah Palin
Occupy Unmasked, 2012, s’emploie par tous les moyens à discréditer Occupy Walls Street. Quoi de plus normal de la part d’un ex de Goldman Sachs ?
C’est sa spécialisation dans le secteur divertissement-media qui l’amène à s’engager dans la réalisation du documentaire In the face of Evil (2004), ode à la gloire de la lutte de Ronald Reagan (dont Trump lui-même était proche) contre le communisme et l’empire soviétique. À cette occasion, il fait la connaissance du journaliste Andrew Breitbart, fondateur du site d’information Breitbart News. L’admiration de Breitbart est telle qu’il n’hésite pas à qualifier Bannon de « Leni Riefenstahl du mouvement Tea Party ». Et c’est un compliment dans sa bouche… En 2010, Bannon réalise un film sur l’émergence d’un nouveau type de militantes conservatrices au sein du Tea Party, inspiré par la figure de Sarah Palin, à la gloire de laquelle il consacre un documentaire entier l’année suivante : The Undefeated. En 2012, il réalise Occupy Unmasked, un documentaire orienté vers l’unique perspective de discréditer le mouvement Occupy Wall Street. Pour un ex-banquier de Goldman Sachs, quoi de plus naturel ?
C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de ses réseaux chez Goldman Sachs qu’il acquiert une compagnie de jeu en ligne, Internet Gaming Entertainment, et la rebaptise Affinity Media. Il en sera PDG de 2007 à 2011.

Breitbart, un site d’information « résolument pro-israélien »

Dès 2007, Breitbart et Bannon cofondent Breitbart News. Dans un article publié directement sur Breitbart News le 17 Novembre 2015, savoureusement intitulé Breitbart News, né aux USA, conçu en Israël, Larry Solov, actuel directeur du site, y évoque les motivations principales de sa création en ces termes :

Beaucoup de gens ne le réalisent pas, mais Breitbart News a réellement débuté à Jérusalem. C’était en été 2007, et Andrew avait été invité à visiter Israël lors d’un voyage organisé pour les médias, aux frais de la princesse. J’ai accepté de le suivre en tant qu’avocat et meilleur ami. Ce qu’aucun de nous ne savait à ce moment-là, c’était que ce voyage allait changer nos vies et nous donner l’inspiration nécessaire à la création de Breitbart News […] Une chose dont nous avons particulièrement discuté cette nuit-là, était notre désir de créer un site qui serait catégoriquement pro-liberté et pro-Israël. Nous ne supportions plus le biais anti-israélien des médias grand public et de J Street [lobby prônant une action états-unienne pour une résolution pacifique du conflit israélo-palestinien, contestant la légitimité de l’AIPAC à représenter l’ensemble des Juifs des États-Unis, NDT].
« Breitbart News, né aux USA, conçu en Israël », Larry Solov, Breitbart News, 17 novembre 2015

Andrew Breitbart (à g., chemise jaune) et certains fondateurs de Breitbart News en compagnie de Benyamin Netanyahou. Image postée par Larry Solov lui-même en illustration de sont article « Breitbart News, né aux USA, conçu en Israël », le 17 Novembre 2015
Lorsque les médias traditionnels présentent essentiellement Breitbart News comme un repère de « néonazis », ils omettent d’expliciter les conditions de sa création et biaisent la perception que les lecteurs peuvent en avoir. Certes, Breitbart News émet des propos racistes, islamophobes, sexistes et antisémites. Mais aucun des journaux recopiant ces épithètes à longueur d’articles n’a jamais interrogé les motivations premières de la création de cet organe de propagande.

À quoi jouent les médias de masse avec Bannon et Breitbart News ?

Aucun de ces médias condamnant les outrages de Breitbart News n’a jamais pris la peine de se demander pourquoi un certain nombre de représentants influents du sionisme états-unien, (notamment au sein la Coalition Juive Républicaine et de l’Organisation Sioniste d’Amérique) ont déployé tant d’efforts à disculper Steve Bannon de tout soupçon d’antisémitisme. Peut-être les provocations de l’ancien employé de Goldman Sachs font-elles le jeu de ceux qui font les louanges de « l’amitié et de la bienveillance manifestées par Bannon et Breitbart envers Israël et le peuple juif ».
Selon Julia Jones qui a travaillé avec Bannon lorsqu’il investissait à Hollywood, il est

« l’arbre qui cache la forêt. Il s’est servi des nationalistes pour avoir le pouvoir, jouer sur les peurs et détruire les élites libérales… ».

Mais une question demeure. Si Bannon s’est servi des nationalistes pour parvenir au pouvoir, qui se sert de Steve Bannon pour le conserver ?
Robert Mackey, auteur pour The Intercept, le site d’information des journalistes Laura Poitras et Glenn Greenwald qui soutinrent Edward Snowden dans l’expérience d’une dissidence véritable, a composé un article pouvant fournir des réponses à ceux qui en cherchent. Son titre ?

Steve Bannon a fait de Breitbart un espace pour les auteurs pro-Israël et pour les lecteurs antisémites

En le vendant comme leur parfaite antithèse, les médias de masse ont hissé Breitbart News au rang d’organe d’information subversif. En prétendant combattre de toutes leurs forces Trump, Breitbart et Bannon, et donc en les mettant sur le devant de la scène, ils s’en sont fait les meilleurs impresarios. La ficelle est usée et la stratégie maladroite. À force, on finirait presque par croire que c’est volontaire…
Galil Agar
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