Bombardement américain en Syrie : en route vers une 3ème guerre mondiale ?

La diplomatie américaine au proche-orient vient de connaître, en une semaine seulement, deux revirements spectaculaires, majeurs, vis-à-vis de la Syrie. Retour sur les événements très inquiétants de ces derniers jours.

Jeudi 30 mars 2017 : « Le départ de Bachar Al-Assad n’est plus une priorité »

Alors que l’Amérique d’Obama présentait le départ de Bachar Al-Assad comme un élément non négociable d’une solution politique pour sortir du conflit en Syrie, l’administration Trump a quant-à-elle annoncé le jeudi 30 mars, par l’intermédiaire de Nikki Haley, ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’ONU, que « le départ de Bachar Al-Assad n’était plus une priorité ». Auparavant, ce point était probablement le point névralgique du désaccord entre la Russie et les États-Unis dans la recherche d’une solution politique au conflit en Syrie, la Russie refusant d’abandonner son allié Bachar Al-Assad.
Certains observateurs (dont moi, je l’avoue) ont alors pu penser que ce revirement américain était enfin le prélude à une issue au conflit en Syrie. Malheureusement, leurs espoirs ont été de courte durée. La terrible déception est venue en deux temps.

Mardi 4 avril 2017 : des syriens sont victimes de gaz chimiques ; l’occident accuse Bachar Al-Assad

Tout d’abord, tôt dans la matinée du mardi 4 avril, un raid aérien syrien frappe la localité de Khan Cheikhoun, dans le nord du pays. Plus de 80 civils décèdent d’émanation de gaz chimique. L’occident, et en premier lieu les Etats-Unis et la France, accusent immédiatement l’armée syrienne d’avoir employé des armes chimiques interdites lors de leur raid aérien. La Syrie et la Russie démentent, expliquant de leur côté que ce bombardement était « conventionnel », et qu’il aurait accidentellement touché un stock d’armes chimiques détenu par les rebelles, provoquant ainsi les émanations de gaz mortel.

Vendredi 7 avril 2017 : Trump ordonne le bombardement d’une base aérienne de l’armée syrienne

En représailles à l’attaque chimique présumée, le président américain ordonne le lancement d’une soixantaine de missiles Tomahawk pour détruire la base aérienne d’où seraient partis les avions syriens. Ce bombardement américain a tué six soldats syrien selon l’armée syrienne. Les Etats-Unis ont expliqué avoir prévenu à la dernière minute la Russie, afin que les soldats russes présents puissent évacuer le site à temps. On peut imaginer que les russes en aient fait autant vis-à-vis de leurs homologues syriens.

Qui a raison ? Qui a tort ?

Qui est à l’origine de ces morts par inhalation de gaz chimiques ? De France, il est bien difficile de pouvoir trancher avec certitude. Mais il est tout de même nécessaire de faire un petit retour en arrière, afin d’avoir une meilleure vue d’ensemble du tableau.
Et une première précision : c’est en août 2013 que Barack Obama trace la fameuse ligne rouge concernant l’utilisation d’armes chimiques, ligne rouge que Bachar Al-Assad ne doit pas franchir, sous peine de subir une intervention militaire américaine.

21 août 2013 : L’attaque chimique de la Ghouta

Un précédent incident meurtrier avait failli servir de motif ou de prétexte au lancement d’une offensive militaire occidentale contre la Syrie. Il s’agit du massacre de la Ghouta : un bombardement à l’arme chimique au gaz sarin qui s’est produit le 21 août 2013 et qui a frappé la banlieue de Damas, dans l’ancienne oasis de la Ghouta, tenue par l’Armée syrienne libre.
L’Occident, et en premier lieu le journal Le Monde, avait immédiatement accusé Bachar Al-Assad d’être à l’origine de cette attaque chimique, mais comme le relate le journal Le Point, un rapport du MIT (Massachusetts Institute of Technology) aboutie à des conclusions contraires, après enquête scientifique donc.

Octobre 2013 : la Syrie démantèle ses armes chimiques, sous contrôle onusien

En septembre 2013, l’ONU annonce avoir reçu la demande d’adhésion de la Syrie à la convention internationale sur la armes chimiques. En octobre 2013, la Syrie procède au démantèlement de ses armes chimiques sous supervision onusienne. Des membres de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) viennent en Syrie pour observer et contrôler ce démantèlement.

Premières conclusions sur l’utilisation d’armes chimiques à Khan Cheikhoun

Est-il raisonnable de penser que Bachar Al-Assad aurait caché une partie de ces stocks, pour ensuite les utiliser quatre ans plus tard, et ce une semaine seulement après l’annonce selon laquelle les Etat-Unis (et la France) ne demandaient plus son départ du pouvoir ? Sur un plan strictement militaire, l’avantage à utiliser en l’occurrence des armes chimiques est minime, voire contestable ; sur le diplomatique en revanche, c’est tout-à-fait suicidaire…
L’ancien ambassadeur du Royaume-Uni en Syrie, Peter Ford, a estimé dans une interview accordée à Sky News qu’il était « hautement improbable que la Syrie ou la Russie soient derrière cette attaque chimique ».

Et ensuite ?

Actuellement, le monde est extrêmement polarisé, entre d’un côté des gouvernements comme celui de François Hollande, ou celui de Benjamin Netanyahou, qui soutiennent Donald Trump, et de l’autre des gouvernements comme celui de Vladimir Poutine qui considèrent que ce bombardement américain constitue une « agression contre un Etat souverain ». Une réunion de crise internationale se déroule actuellement à l’ONU à New-York.
Une question est aujourd’hui dans toutes les têtes : « Et maintenant ? Que compte faire Donald Trump ? ». Sa stratégie actuelle est tout sauf claire. La coopération russo-américaine dans la lutte contre DAECH est interrompue. L’armée russe ne signale plus ses plans de vols à l’armée américaine. Les diplomates russes semblent désemparés (ce qui est très rare), voire désespérés face à l’attitude de l’actuelle administration américaine.
Le monde semble très proche d’un conflit mondial, dans un contexte de tensions très vives entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, mais aussi entre l’administration Trump (encore elle) et l’Iran, le candidat ayant expliqué avant son élection qu’il souhaite « déchirer l’accord sur le nucléaire iranien ».
On peut remarquer qu’Israël a testé le 17 mars dernier et avec un certain succès, son système de défense sol-air « Dôme de Fer », à la suite d’un bombardement aérien réalisé par son armée en territoire syrien.
Les deux grandes questions qui demeurent en suspens sont : jusqu’où va aller Donald Trump dans son escalade vers une 3ème guerre mondiale (1), et comment vont réagir la Chine et la Russie ? Vont-elles encore une fois devoir manger leur chapeau, comme pour le désastre libyen, et ainsi assister impuissants à la mort définitive de toute notion de « Droit international », ou bien vont-elles résister aux ambitions guerrières des Etats-Unis et de leurs alliés, comme elles l’ont fait pour la Syrie depuis le début du conflit, au risque de constituer un deuxième camp dans cette 3ème guerre mondiale qu’à l’évidence elles ne veulent pas ?
Raphaël Berland

(1) : À noter qu’il ne s’agit pas uniquement de la 3ème guerre mondiale de Donald Trump, mais également de Georges W. Bush, de Benjamin Nenatyahou, de Nicolas Sarkozy, et de plusieurs autres présidents. Ce contexte de « Choc des Civilisations » imposé au monde arabo-musulman, avec l’aide de gouvernements complices comme ceux du Qatar, de l’Arabie Saoudite et la Turquie, a été largement documenté, et fera l’objet d’un article ultérieur.
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