Interview de Ghassan Kanafani, dirigeant du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP, d'inspiration marxiste-léniniste) assassiné par Israël le 8 juillet 1972. Cette interview a été réalisée à Beyrouth par le journaliste australien Richard Carleton, entre septembre et décembre 1970. Source : english.pflp.ps, 17 octobre 2016 Traduction : lecridespeuples.fr
Une interview classique en anglais d'un leader du Front populaire pour la libération de la Palestine, le fondateur et éditeur du journal du FPLP Al-Hadaf, écrivain, romancier et artiste palestinien de renom, penseur créatif de la révolution palestinienne, le camarade Ghassan Kanafani, a refait surface ces derniers jours. La vidéo ci-dessous, une interview entre le journaliste australien Richard Carleton et Kanafani, filmée à Beyrouth, a récemment été découverte par le fils du journaliste, James Carlton, et diffusée sur Facebook. La vidéo a été largement partagée et distribuée. Le camarade Kanafani a été assassiné en 1972 par une bombe placée dans sa voiture par le Mossad à Beyrouth. Il était âgé de 36 ans, et a été tué avec sa nièce Lamis âgée de 17 ans. Une transcription complète de la vidéo est fournie ci-dessous.
Transcription : Introduction du commentateur Beyrouth est la plus occidentalisée de toutes les capitales arabes. Les traces de la période coloniale française y sont est aussi frappantes qu'au Québec. Au temps des Français, Beyrouth était le paradis touristique méditerranéen [pour les Occidentaux]. Pourtant, il reste des traces de cette splendeur passée qui disparaît lentement. Mais aussi sûrement que la tourmente au Moyen-Orient éloigne les touristes, elle éloigne aussi les affaires, surtout le secteur bancaire qui a fait de Beyrouth la capitale financière du Moyen-Orient. Désormais, des chars et des voitures blindées de l'armée libanaise stationnent en permanence sur les sentiers à l'extérieur de tous les bâtiments bancaires de la capitale. A la place du timide dirigeant d'entreprise à Beyrouth, une nouvelle entreprise s'est développée : la révolution. La révolution palestinienne. Les guérilleros palestiniens à Beyrouth ne sont pas comme le Vietcong. Ici, ils ne sont en aucun cas illicites. Ils sont totalement légitimes. Dans la rue principale de Beyrouth, le plus grand mouvement de guérilla a un immeuble de bureaux de trois étages avec toutes les commodités. Il est aussi moderne que n'importe quel bureau à Sydney. Mais les guérilleros armés de mitrailleuses qui montaient la garde à l'extérieur m'ont dit « aucune photo », et il n'était pas question de négocier. Des onze mouvements de guérilla palestiniens (existants), le plus radical de tous est le Front populaire de libération de la Palestine, le FPLP. Le Front populaire est maintenant si bien organisé qu'il a même son propre journal quotidien avec un tirage de 23 000 exemplaires. C'est le Front populaire qui a détourné et fait exploser trois avions [après en avoir évacué les passagers] à l'aéroport de Revolution, dans le désert jordanien. Et c'est le Front populaire qui a dynamité le jumbo panaméricain au Caire [après en avoir évacué les passagers]. Le chef (de l'antenne) du Front populaire à Beyrouth est Ghassan Kanafani. Il est né en Palestine mais a fui en 1948, comme il le dit, face au « terrorisme sioniste ». Depuis lors, il œuvre à la destruction des sionistes et des (dirigeants) Arabes réactionnaires. Interview Kanafani : Ce que je sais vraiment, c'est que l'histoire du monde est toujours l'histoire de gens faibles qui combattent des gens forts. Des personnes faibles qui ont une cause juste combattant des personnes fortes qui utilisent leur force pour exploiter les faibles. Journaliste : Passons aux combats qui se déroulent en Jordanie ces dernières semaines [répression sanglante des Palestiniens de l'OLP par le roi Hussein, ou « Septembre Noir » ]. Votre organisation, qui s'est rangée d'un côté de la lutte (le FPLP a combattu aux côtés de l'OLP), qu'a-t-elle réalisé ? Kanafani : Une chose : (nous avons prouvé que) nous avons une cause (juste) pour laquelle nous luttons. C'est beaucoup. Ce peuple, le peuple palestinien, préfère mourir debout que de perdre sa cause. Nous avons réussi à prouver que le roi (de Jordanie) a tort. Nous avons réussi à prouver que cette nation va continuer à se battre jusqu'à la victoire. Nous avons réalisé (la démonstration) que notre peuple ne peut jamais être vaincu. Nous avons réussi à enseigner à chaque personne dans ce monde que nous sommes une petite nation courageuse qui va se battre jusqu'à la dernière goutte de sang pour obtenir justice, après que le monde a échoué à nous rendre justice. Voilà (tout) ce que nous avons réalisé. Journaliste : Il semble que la guerre, la guerre civile (en Jordanie) a été assez stérile... Kanafani (interrompant le journaliste) : Ce n'est pas une guerre civile. C'est un peuple qui se défend contre un gouvernement fasciste que vous défendez simplement parce que le roi Hussein (de Jordanie) a un passeport arabe [et qu'il pourrait donc tuer des Palestiniens, considérés simplement comme d'autres Arabes sans identité propre]. Ce n'est pas une guerre civile. Journaliste : Ou un conflit... Kanafani (interrompant encore le journaliste) : Ce n'est pas un conflit. C'est un mouvement de libération qui lutte pour la justice. Journaliste : Eh bien, quoi qu'il en soit... Kanafani (interrompant encore le journaliste) : Ne dites pas « quoi qu'il en soit ». Parce que c'est là que le problème commence. Parce que c'est ce qui vous fait poser toutes vos questions [biaisées]. C'est exactement là que le problème commence. C'est un peuple victime de discrimination qui se bat pour ses droits. Voilà toute l'histoire. Si vous dites que c'est une guerre civile, alors vos questions seraient justifiées. S'il s'agit d'un conflit, il est bien sûr surprenant de savoir (vraiment) ce qui se passe. » Journaliste : Pourquoi votre organisation n'engage-t-elle pas des pourparlers de paix avec les Israéliens ? Kanafani : Vous ne voulez pas dire exactement « pourparlers de paix ». Vous voulez dire capituler. Abandonner. Journaliste : Pourquoi ne pas simplement parler ? Kanafani : Parler à qui ? Journaliste : Parler aux dirigeants israéliens. Kanafani : Vous voulez dire le genre de conversation entre l'épée et la nuque ? Journaliste : Eh bien, s'il n'y a ni épées ni armes à feu dans la pièce, vous pourriez quand même parler. Kanafani : Non. Je n'ai jamais vu de dialogue entre une cause colonialiste et un mouvement de libération nationale. Journaliste : Mais malgré cela, pourquoi ne pas parler ? Kanafani : Parler de quoi ? Journaliste : Parler de la possibilité de ne pas vous battre. Kanafani : Ne pas se battre pour quoi ? Journaliste : Ne pas se battre tout court. Peu importe pour quoi. Kanafani : Les gens se battent généralement pour quelque chose. Et ils arrêtent de se battre pour quelque chose. Vous ne pouvez donc même pas me dire pour quelle raison nous devrions parler... Journaliste : Pour arrêter de vous battre. Kanafani : ...ni de quoi nous devrions parler. Pourquoi devrions-nous parler d'arrêter de combattre ? Journaliste : Parlez pour arrêter de vous battre, pour arrêter la mort et la misère, la destruction et la douleur. Kanafani : La misère, la destruction, la douleur et la mort de qui ? Journaliste : Des Palestiniens. Des Israéliens. Des Arabes. Kanafani : Du peuple palestinien déraciné, jeté dans des camps, vivant dans la famine, tué depuis vingt ans et se voyant interdire d'utiliser même le nom de « Palestiniens » ? Journaliste : Mais il vaut mieux (subir) ça que d'être morts. Kanafani : Peut-être pour vous. Mais pour nous, ce n'est pas le cas. Pour nous, libérer notre pays, avoir de la dignité, du respect, avoir nos simples droits de l'homme est quelque chose d'aussi essentiel que la vie elle-même. Journaliste : Vous qualifiez le roi Hussein de fasciste. À qui d'autre parmi les dirigeants arabes vous opposez-vous totalement ? Kanafani : Nous considérons que les gouvernements arabes sont de deux types. Il y a ceux que nous appelons les réactionnaires, qui sont complètement liés aux impérialistes, comme le gouvernement du roi Hussein (de Jordanie), comme le gouvernement d'Arabie saoudite, comme le gouvernement marocain, le gouvernement tunisien. Et puis nous avons d'autres gouvernements arabes que nous appelons les gouvernements militaires de la petite bourgeoisie. Comme la Syrie, l'Irak, l'Égypte, l'Algérie et ainsi de suite. Journaliste : Pour terminer, permettez-moi de revenir sur le détournement de l'avion. Après réflexion, est-ce que vous le considérez maintenant comme une erreur ? Kanafani : Nous n'avons pas commis d'erreur en détournant l'avion dans ce contexte. Nous avons fait l'une des choses les plus correctes que nous ayons jamais faites. Voir également la réaction hilarante d'Ho Chi Minh face au langage absurde et biaisé des journalistes : Pour ne manquer aucune publication et soutenir ce travail censuré en permanence, partagez cet article et abonnez-vous à la Newsletter. Vous pouvez aussi nous suivre sur Facebook et Twitter.
Voir en ligne : https://www.agoravox.tv/IMG/jpg/Kanafani-Copy.jpg
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