Quelle est la cause première de l'individualisme ? Pourquoi notre monde moderne occidental s'est-il affranchi de la religion en tant que phénomène organisateur des sociétés ? A ces questions, deux intellectuels entrevoient une seule et même cause : le christianisme. Alain de Benoist, philosophe et figure emblématique de la mouvance appelée "la nouvelle droite" à la fin des années 60, proche des courants néo-païens, explique de manière assez convaincante que l'individualisme prendrait ses racines dans le christianisme. Il rappelle à ce titre que le mouvement chrétien issu des évangiles marque une rupture nette avec les religions antiques en ce sens que le christianisme est la religion du "Salut individuel" et non plus collectif. Ce faisant, le Dieu de Jésus marque ainsi une rupture avec l'organisation politico-religieuse des sociétés antiques en "individualisant" le rapport à la divinité. De Benoist confirme en quelque sorte que la "laïcité", soit la séparation du politique et du religieux, ou pour le dire différemment : "du temporel et du spirituel" est bien d'essence chrétienne. En complément de l'approche de De Benoist, voici une analyse également très approfondie d'une autre grande (et très rare) figure intellectuelle française, le philosophe Marcel Gauchet, sur le phénomène de la "sortie de la religion" due au christianisme et des conséquences que cela a engendré tout particulièrement à partir du XVIè siècle. Ou comment la civilisation européenne est passée d'une "structuration de type hétéronome", avec une hiérarchisation marquée des rapports entre les individus au sein d'une même communauté ainsi qu'une organisation de" type holiste (ou collectiviste), à une "structuration de type autonome" où l'individu prend le pas sur la collectivité. Avec pour corollaire d'une part une violence consécutive provenant d'autres religions comme l'islam qui, refusant l'individualisation des rapports humains, vient en quelque sorte se "cogner" à la civilisation européenne moderne et d'autre part avec une mondialisation de cette "sortie du religieux". Bref, Alain De Benoist comme Marcel Gauchet ont tous deux très bien perçu la spécificité du christianisme avec cet individualisme et cette "sortie du religieux" qui lui sont consubstantiels, pour le meilleur comme pour le pire... Voici notamment ce qu'écrit Marcel Gauchet sur l'importance du phénomène religieux inhérent à l'homme et qui échappe à toute explication de type rationnaliste. "Même si l'on repousse l'idée d'une nature religieuse de l'homme, ou d'une disposition naturelle à la métaphysique, il faut bien qu'il y ait quelque chose comme un substrat anthropologique à partir duquel l'expérience humaine est susceptible de s'instituer et de se définir sous le signe de la religion. Aucune logique politique et sociale ne peut rendre compte de ce avec quoi va se déployer la religion, à savoir l'investissement humain sur l'invisible. Qu'est-ce qui dans l'homme donne sens à ce détour par l'autre ? C'est en cela que réside le phénomène cardinal : il réside dans ces dimensions d'invisibilité et d'altérité qui nous habitent constitutivement. L'homme est un être qui, en tout état de cause, est tourné vers l'invisible ou requis par l'altérité. Ce sont des axes dont il a originairement et irréductiblement l'expérience. Il n'y est pas aminé par le besoin de connaissance ou de compréhension rationnelle des phénomènes de la nature, comme le voulait une certaine explication éclairée de la religion. Ce n'est pas l'effet de la recherche en causalité qui engagerait l'esprit à remonter vers des causes premières au-delà des causes visibles. C'est une « donnée » immédiate de la conscience, si j'ose dire. L'homme parle, et il rencontre l'invisible dans ses mots. Il s'éprouve lui même sous le signe de l'invisible. Il ne peut pas ne pas penser qu'il y a autre chose en lui que ce qu'il voit, touche et sent. Il imagine et d'emblée sa pensée se projette au-delà de ce qui lui est accessible et se présente à elle. Qui plus est, il se rapporte à lui-même et c'est pour découvrir qu'il peut disposer de lui-même en vue d'autre chose que lui-même. C'est avec ce matériau primordial que s'édifient les religions. Elles n'en sortent pas de façon automatique et linéaire. Il faut tout autre chose pour les définir. Mais ce matériau les rend possible. Il y a, autrement dit, une structure anthropologique qui fait que l'homme peut-être un être de religion. Il ne l'est pas nécessairement. Il a pu l'être historiquement sur la longue durée de son parcours. Il peut cesser de l'être, mais même en pareil cas, ce potentiel de religiosité est destiné à demeurer. Ce qui veut dire en pratique qu'il y a aura toujours plus ou moins d'esprits pour se reconnaître dans le passé religieux de l'humanité ». Marcel Gauchet, Le religieux après la religion, entretien avec Luc Ferry, Ed. Grasset, 2004.
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