De l’utilité des mathématiques pour comprendre la dynamique des épidémies – par Laurent Lafforgue

Laurent Lafforgue est un mathématicien français (Institut des Hautes Études Scientifiques), membre de l’Académie des Sciences de Paris. Il a notamment reçu la médaille Fields en 2002 (l’équivalent du prix Nobel pour les mathématiques) pour avoir démontré une partie des conjectures de Langlands

L’épidémie de Covid a vu les pays occidentaux réagir bien moins vite que les pays d’Extrême-Orient comme le Vietnam, Taïwan, la Corée du Sud ou même la Chine alors que, contrairement aux autres pays, celle-ci a été surprise puisque frappée en premier. Or la rapidité de réaction est un facteur encore plus important que les capacités de test et de traçage pour contenir une épidémie et limiter le nombre final des victimes.
Il semble que les décideurs et la population aient eu un plus grand sentiment d’urgence en Extrême-Orient qu’en Occident grâce à une meilleure compréhension de la dynamique d’une épidémie fondée sur des mathématiques de base : la notion de proportionnalité (ce que l’on appelait autrefois la « règle de trois »), l’idée que le nombre de nouvelles contaminations est grosso modo proportionnel à celui des personnes contagieuses, sa conséquence qui est que ces nombres croissent « géométriquement », la compréhension que ce qui importe dans une progression géométrique n’est pas ses premières valeurs mais leur coefficient d’expansion.
Ce coefficient dépend du fameux R0, le nombre moyen de personnes que chaque personne infectée contamine à son tour, mais aussi du temps moyen entre deux contaminations. Il est plus important que le R0. Il pouvait être estimé dès la fin janvier par les statistiques publiques chinoises, avant d’être confirmées par celles de l’Italie puis des autres pays occidentaux à partir de la fin février. La nature « géométrique » de la progression d’une épidémie signifie que chaque intervalle de temps de retard dans la réaction multiplie le nombre final des victimes par ce coefficient.
L’explication que je donne ici n’est pas un argument d’autorité émanant d’un « sachant ». Elle est fondée sur un raisonnement et des mathématiques de base compréhensibles au plus grand nombre. Les mathématiques qui sont (ou devraient) être enseignées au collège et au lycée ne sont pas seulement ni d’abord un moyen d’obtenir de bonnes notes. Elles permettent d’analyser des aspects essentiels de la réalité et peuvent par exemple sauver d’innombrables vies en situation d’épidémie.Lire la suite

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