René Girard : le rôle de la violence dans la culture humaine

Historien, philosophe et anthropologue français, René Girard est l'auteur de l'ouvrage La violence et le Sacré au sein duquel il explique l'origine des religions primitives à partir de la violence inhérente à l'Homme. Ainsi, René Girard au travers de cette thèse de la violence propre à la Nature Humaine pourfend le postulat de Jean-Jacques Rousseau selon lequel l'Homme serait "bon par nature" mais perverti à cause de la société (postulat qui constitue en quelque sorte la base de nos sociétés modernes au-travers du Contrat Social). "Je voudrais qu'on choisît tellement les sociétés d'un jeune homme, qu'il pensât bien de ceux qui vivent avec lui ; et qu'on lui apprît à si bien connaître le monde, qu'il pensât mal de tout ce qui s'y fait. Qu'il sache que l'homme est naturellement bon, qu'il le sente, qu'il juge de son prochain par lui-même ; mais qu'il voie comment la société déprave et pervertit les hommes ; qu'il trouve dans leurs préjugés la source de tous leurs vices ; qu'il soit porté à estimer chaque individu, mais qu'il méprise la multitude ; qu'il voie que tous les hommes portent à peu près le même masque, mais qu'il sache aussi qu'il y a des visages plus beaux que le masque qui les couvre” (Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes. JJ Rousseau) Pour étayer sa démonstration, René Girard a développé deux concepts majeurs que sont : 1) Le désir mimétique qui postule que tout désir de l'homme se fonde non pas sur un choix qui lui est propre mais sur ce que désire son semblable entraînant une rivalité entre deux êtres qui désirent le même objet et conduisant ainsi à la violence entre eux à cause de cette rivalité mimétique. "Seul l'être qui nous empêche de satisfaire un désir qu'il nous a lui-même suggéré est vraiment objet de haine. Celui qui hait se hait d'abord lui-même en raison de l'admiration secrète que recèle sa haine. Afin de cacher aux autres, et de se cacher à lui-même, cette admiration éperdue, il ne veut plus voir qu'un obstacle dans son médiateur. Le rôle secondaire de ce médiateur passe donc au premier plan et dissimule le rôle primordial de modèle religieusement imité. Dans la querelle qui l'oppose à son rival, le sujet intervertit l'ordre logique et chronologique des désirs afin de dissimuler son imitation. Il affirme que son propre désir est antérieur à celui de son rival ; ce n'est donc jamais lui, à l'entendre, qui est responsable de la rivalité : c'est le médiateur." (René Girard) René Girard justifie ce mimétisme au-travers des travaux des neurosciences effectués sur nos fameux "neurones miroirs" qui s'activeraient de la même manière chez un homme en train de réaliser une action que chez un autre homme en train d'observer l'action réalisée par le premier. 2) Le bouc émissaire ou l'élément de cohésion d'une communauté Suite à ce constat de violence engendrée par ce désir mimétique, la question que l'on se pose est de savoir comment gérer cette violence au sein des communautés humaines ? C'est là que René Girard a développé cette thèse originale du "bouc émissaire' dont le sacrifice n'avait pas pour objet de se concilier les divinités mais de mettre fin à la violence au sein d'une communauté. Ainsi, en choisissant l'être le plus haï au sein d'une collectivité, (parce que plus laid, plus handicapé ou authentiquement criminel), celle-ci en le sacrifiant permettait de ressouder ses membres en évitant alors la violence généralisée. Mais afin que cette cohésion perdure, il a fallu ensuite ritualiser ces sacrifices. Girard précise par ailleurs qu'on retrouve ce thème dans la plupart des mythes antiques (cas du mythe d'Oedipe). En d'autres termes, le sacrifice d'un seul être haï sert d'exutoire en libérant l'agressivité d'un groupe mais le paradoxe, poursuit Girard, c'est que ce même être haï est en même "sacralisé" par le groupe car il représente un facteur de cohésion. 3) Le sacrifice de Jésus Christ ou le dévoilement de la violence humaine René Girard prétend donc que ce rite sacrificiel du bouc émissaire vecteur de cohésion était présent dans l'ensemble des communautés primitives et cite tout particulièrement l'exemple du judaïsme. Il y a d'ailleurs un passage essentiel dans les évangiles relatant un propos du grand prêtre Caïphe qui justifie le sacrifice nécessaire de Jésus auprès des membres du Sanhédrin dubitatifs face à ce personnage : "Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là, leur dit : « Vous n'y comprenez rien ;
vous ne voyez pas quel est votre intérêt : il vaut mieux qu'un seul homme meure pour le peuple, et que l'ensemble de la nation ne périsse pas. » (
Ev Jean 11, 50) Cette phrase paraît essentielle, car elle résume le fondement de toute société humaine désireuse de perdurer. Et René Girard explique que la nouveauté du christianisme n'est pas tant le fondement d'une nouvelle religion que d'avoir mis en pleine lumière "la mystification du bouc émissaire coupable" en ce sens que Jésus, d'après les textes, était totalement innocent. Ainsi, un bouc émissaire n'est jamais sacrifié parce qu'il est coupable mais parce qu'il faut un coupable à une société ! René Girard, disparu en 2015, n'a pas eu suffisamment l'attention ou la notoriété que ses travaux méritaient et c'est peut-être là l'occasion de les (re)découvrir.
Voir en ligne : https://www.agoravox.tv/IMG/jpg/rene-girard-role-violence.jpg

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