« Baise ton prochain » : quand les pires salauds sont les premiers de cordée du divin marché (Mandeville par Dany-Robert Dufour)

Cachez ce Mandeville qui avait tout dit de la profonde perversité du capitalisme : les pires salauds seront les premiers de cordée du divin marché

Cet essai résulte d'une sidération. Celle qui m'a saisi lorsque je suis tombé sur un écrit aujourd'hui oublié, Recherches sur l'origine de la vertu morale de Bernard de Mandeville. C'est en 1714, à l'aube de la première révolution industrielle, que Mandeville, philosophe et médecin, a publié ce libelle sulfureux, en complément de sa fameuse Fable des abeilles. Cet écrit est le logiciel caché du capitalisme car ses idées ont infusé toute la pensée économique libérale moderne, d'Adam Smith à Friedrich Hayek.
Fini l'amour du prochain ! Il faut confier le destin du monde aux “pires d'entre les hommes” (les pervers), ceux qui veulent toujours plus, quels que soient les moyens à employer. Eux seuls sauront faire en sorte que la richesse s'accroisse et ruisselle ensuite sur le reste des hommes. Et c'est là le véritable plan de Dieu dont il résultera un quasi-paradis sur terre. Pour ce faire, Mandeville a élaboré un art de gouverner – flatter les uns, stigmatiser les autres – qui se révélera bien plus retors et plus efficace que celui de Machiavel, parce que fondé sur l'instauration d'un nouveau régime, la libération des pulsions. On comprend pourquoi Mandeville fut de son vivant surnommé Man Devil (l'homme du Diable) et pourquoi son paradis ressemble à l'enfer.
Trois siècles plus tard, il s'avère qu'aucune autre idée n'a autant transformé le monde. Nous sommes globalement plus riches. À ceci près que le ruissellement aurait tendance à couler à l'envers (voir Comment Macron engraisse les ultra riches - Le ruissellement en marche arrière) : les 1 % d'individus les plus riches possèdent désormais autant que les 99 % restants. Mais on commence à comprendre le coût de ce pacte faustien : la destruction du monde. Peut-on encore obvier à ce devenir ? (Baise ton prochain - Une histoire souterraine du capitalisme, Dany-Robert Dufour, Actes Sud)

LIB TROPIQUES - "Le Man Devil code" : Baise to prochain - Dany-Robert Dufour - 8 déc. 2019 - 1h42 Entretien : Dany-Robert Dufour “L'éthique libérale, c'est Baise ton prochain !”

Dany-Robert Dufour vient de faire paraître le livre Baise ton prochain (Actes sud), dans lequel il passe au crible les présupposés philosophiques de l'idéologie libérale, à travers une analyse des travaux de Bernard de Mandeville. Dufour nous explique que le culte de l'enrichissement personnel n'a pu prendre son essor qu'à partir du moment où le cadre moral des sociétés traditionnelles s'est trouvé balayé au nom d'une idée apparemment étrange : les vices privés garantissent la vertu publique. Les comportements les plus vicieux favorisent en effet la croissance de la production et de la consommation. Autrement dit : ils font marcher le commerce ! En régime libéral, il n'est donc plus question de s'autolimiter, mais de laisser libre cours à la vie sauvage des pulsions...

Lire la suite de l'entretien : sur le site L'Inactuelle (7 novembre 2019) Dany-Robert Dufour est philosophe. Il a publié une vingtaine de livres, dont L'individu qui vient, La Cité perverse (Denoël, 2011 et 2009) et Le code Jupiter (Equateurs, 2018).
Accéder aux 10 premières pages du livre
Voir en ligne : https://www.agoravox.tv/IMG/jpg/baise-ton_prochain-dufour-mandeville.jpg

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