L'Islande a mis en prison ses banquiers. Nos reporters sont retournés en Islande, dix ans après la crise qui a ébranlé le pays lors de l'effondrement de son système bancaire. En quelques années, les Islandais ont tout remis en cause : structures financières, vie politique et organisation de la société. L'économie a rebondi de façon spectaculaire, tandis que la vie politique s'est profondément réformée et que les femmes ont pris une place grandissante dans la société. Un taux de chômage à 1 %, une croissance flirtant avec les 5 % du PIB, des salaires qui ont retrouvé leurs niveaux d'avant-crise et des investissements en hausse de 8,8 %... En Islande, le bilan économique de l'année 2017 a de quoi faire pâlir d'envie les Européens. Reykjavik, la capitale de l'île nordique, reflète ce dynamisme exceptionnel. Des grues s'activent sur le front de mer et de gigantesques projets architecturaux sortent de terre : salle de concert, centre de conventions, logements, commerces ou encore hôtels de luxe… C'est notamment l'explosion du tourisme au pays des volcans et des geysers qui a permis d'investir des centaines de millions d'euros dans la capitale. Mais pas seulement. Société civile hyperactive Après la grave crise financière de 2008 et l'effondrement du système bancaire, l'Islande a renoué avec la croissance en seulement quelques années. Si l'île aux 350 000 habitants a dû subir une cure d'austérité, elle a cependant pris le contre-pied de la plupart des mesures adoptées dans les autres pays frappés par la crise. Pendant près de dix ans, contrôles des changes et des capitaux ont été imposés. La petite île nordique n'a pas renfloué ses banques : elle les a nationalisées et a mis ses banquiers en prison ! Les six derniers procès de la crise de 2008 sont toujours en cours, instruits par un procureur spécial qui a enquêté sur plus de 200 cas. Olafur Hauksson est un peu le héros des temps modernes de l'Islande, le procureur sans peur et sans reproche qui a contribué à purger le système financier de son pays. Désormais, les Islandais surveillent leurs dirigeants de près, qu'ils appartiennent au monde de la finance ou à celui de la politique. C'est l'un des héritages majeurs de 2008 en Islande. L'électrochoc de la crise a conduit les Islandais à reprendre leur sort en mains, par méfiance envers les élites, mais surtout avec la volonté farouche d'avoir droit au chapitre. La société civile est devenue hyperactive et cherche à inventer de nouvelles formes de participation citoyenne. Des Islandais tirés au sort ont ainsi planché sur une nouvelle constitution. En 2016, le Parti Pirate, formation antisystème, a connu une impressionnante poussée électorale et, après les révélations des Panama Papers, des activistes ont réuni près de 10 % de la population du pays devant le Parlement pour crier leur colère. Ils ont obtenu la démission de leur Premier ministre, cité dans le scandale. Déferlante féministe Ce sont des femmes qui se trouvent à la tête de tous ces mouvements et qui ont été en pointe dans la conduite du changement. Au lendemain de la crise, des femmes ont été placées à la tête des deux banques les plus touchées par le crash, le Premier ministre démissionnaire a été remplacé par une femme, Jóhanna Sigurðardóttir, tandis que le pays tout entier s'interrogeait sur la nécessité de rééquilibrer les rapports entre les sexes. La déferlante féministe a ainsi touché tous les pans de la société : la politique, l'économie – les conseils d'administration comptent désormais au moins 40 % de femmes –, et même la religion – une jeune mère, Agnes Sigurðardóttir, a été nommée évêque en 2012, une première. Katrin Jakobsdottir, l'actuelle Première ministre du pays, et Sara Oskarson députée du Parti Pirate, sont devenues le visage de l'Islande d'aujourd'hui. En janvier 2018, le pays est allé jusqu'à imposer l'égalité des salaires dans les entreprises, avec obligation d'obtenir une certification, sous peine d'amende. Depuis plusieurs années, et même si les inégalités persistent, l'Islande caracole en tête du classement sur l'égalité des genres établi par le Forum économique mondial. Le pays du miracle économique pourrait bien devenir aussi un modèle sociétale inspirant pour les Européens. Un reportage de Séverine Bardon. Images Félix Vigné. Montage Olivier Marzin.
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