[RussEurope-en-Exil] L’économie Post-Keynésienne : Positionnements, par Jacques Sapir

(Ce texte est la première partie d’une recension plus globale de l’ouvrage)
L’ouvrage collectif consacré à l’économie postkeynésienne, publié sous la direction de mes confrères Virginie Monvoisin, Eric Berr et Jean-François Ponsot est un livre important[1]. Il fera date. Ce que l’on appelle l’économie postkeynésienne recouvre un large courant d’idées, des économistes venant d’horizons très divers (certains du marxisme, d’autres marqués par divers auteurs, de Kalecki à Kaldor, de Shackle à Schumpeter) et qui tous se donnent pour objectifs d’approfondir la pensée de Keynes, de la retirer de la gangue néoclassiques dans laquelle l’ont enfermé Hicks et Hansen. Cette idée de retrouver ce que la pensée keynésienne pouvait avoir de radical, mais aussi actuelle, a été le moteur de ce courant.
Ce courant est né simultanément en Grande-Bretagne, où des membres de l’équipe de Keynes ont cherché à prolonger son œuvre et à lutter contre la récupération par l’économie dominante, et en particulier la grande Joan Robinson qualifiée par Pasinetti dans sa notice pour le New Palgrave Dictionary of Economics[2] de « plus connue récipiendaire du prix Nobel à ne jamais l’avoir obtenu »[3], ainsi qu’aux Etats-Unis, à travers les travaux d’Hyman Minsky et de Paul Davidson et Sidney Weintraub[4]. La réception des travaux de ce courant dans la communauté scientifique française a été longtemps discrète. Une raison évidente a été le discrédit des idées de la « synthèse » entre Keynes et les néoclassiques à partir du début des années 1970. Ce discrédit n’aurait dû toucher que cette synthèse. Mais, elle affecta la forme d’un discrédit général des idées de Keynes. Une seconde raison a certainement été la prégnance du marxisme, et souvent d’une interprétation très sectaire et dogmatique du marxisme issue du Parti communiste, dans les courants qui auraient dû être sensible au courant post-keynésien. Une troisième raison, qui découle – en réaction – de la deuxième, est qu’en France se développait un courant original dont les axes de recherches recoupaient en partie ceux du courant post-keynésien, on veut parler ici de l’Ecole française de la Régulation et plus spécifiquement des thèses développées dans le courant des années 1970 par des chercheurs du CEPREMAP[5]. Bien sûr, il y eut toujours des chercheurs en France pour s’intéresser à ce courant. Ces chercheurs ont maintenu vivant l’intérêt pour le courant post-keynésien. Mais, ce n’est que relativement récemment que ce courant a acquis une réputation certaine en France. L’impact de la crise de 2007-2008 a beaucoup joué. Rappelons que cette crise fut qualifiée par des revues américaines de « moment Minsky »[6]. Plus généralement, cette crise a provoqué un regain d’intérêt notable pour Keynes, et en général pour le courant post-keynésien, ou pourrait-on dire le canal authentique de la pensée keynésienne. Ce livre vient à point, à la fois parce qu’il fait un bilan des apports de ce courant, parce qu’il tente de le situer au sein de la galaxie des économistes hétérodoxe, mais aussi parce qu’il permettra à de jeunes économistes de se familiariser avec des penseurs dont l’influence se fait sentir sur de multiples terrains.
C’est donc dans ce contexte qu’il faut situer ce livre. On peut, et l’on doit, espérer qu’il contribue à la réception des idées postkeynésienne dans la communauté des économistes français. C’est d’ailleurs son ambition.
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