Tawhidi, l'imam australien des médias occidentaux : traitement médiatique d'une singularité

Tawhidi, l'imam australien des médias occidentaux : traitement médiatique d'une singularité Présenté comme « l'imam de la paix », un titre qu'il s'auto-attribue, Mohammed Tawhidi est fréquemment interrogé dans les MSM australiens, anglo-saxons et mêmes francophones, qu'ils soient islamo-critiques ou non. Le cas de ce prédicateur iconoclaste est intéressant à analyser. Brève présentation de l'islam en Australie Seulement 80 000 au début des années 80, il y a désormais environ 600 000 musulmans (2,6% de la population totale). Cette croissance, la plus forte parmi les minorités, est liée, selon les démographes, aux deux facteurs habituels : taux de natalité élevé et immigration. L'islam, devenue la deuxième religion en Australie, reste très loin derrière le christianisme (plus de 60% de la population) mais avec une forte dynamique. A l'instar des autres pays non-musulmans (France, Pays-Bas, Suède, etc.), les adeptes de cette religion se concentrent dans les grands centres urbains que sont Sydney, Melbourne et Perth (plus de 80% des effectifs). Leur origine est extrêmement variée : 36% seulement ont des « origines australiennes » (ce qu'il faudrait objectiver mais ce n'est pas le sujet), 10% libanaises, 8% turques. Les autres origines (Albanie, Bosnie, Afghanistan, Pakistan, Iran, Bangladesh, Indonésie, Iran) représentent autour de 2-3% pour chacune et 20% viennent d'autres pays, avec, tout confondu, environ 130 pays d'origine. Et comme dans de nombreux pays, plusieurs études démontrent que leur niveau d'étude, le taux de propriétaires, le taux de population vivant das la pauvreté, etc. sont très différents du reste de la population. C'est également une population très jeune (40% avaient moins de 20 ans en 2011). Des études encore plus nombreuses (il suffit de faire un tour sur Google scholar) démontrent également qu'il existe une discrimination importante vis-à-vis de cette population. Et comme partout en occident (entre autres), le débat publique s'est ouvert avec l'apparition des problématiques récurrentes et inhérentes à l'islam : fondamentalisme, discours misogyne et paternaliste, antisémitisme, influence saoudienne, terrorisme, etc, débat qui s'est exacerbé post 11 septembre 2001 (dont la responsabilité de ben Laden a été remise en question par le mufti dont il est question pus loin), avec les attentats de Bali dont les plus de 200 victimes étaient principalement australiennes, ceux en Indonésie visant l'ambassade australienne (2004) ainsi que plusieurs autres commis sur le sol australien (Sydney (2014), Melbourne (2014), Melbourne (2017)). Certains phénomènes, là encore récurrents en islam, accentuent les débats : par exemple les prières de rue à Sydney en 2013, le port du voile intégral, les difficultés d'intégration, etc. D'autres faits divers peu connus des francophones expliquent que les tensions ethnico-raciales en Australie (qui a une longue histoire en la matière) ont propulsé la question migratoire et religieuse dans l'opinion en dépit du faible pourcentage de musulmans dans la population totale : c'est le cas d'une série de viols d'Aussies (australiennes blanches d'origine anglaise) à Sydney par un gang de musulmans d'origine libanaise en 2000. Ce fût également le cas en 2005 quand suite à un viol et une agression de sauveteurs bénévoles de surfeurs, les émeutes de Cronulla éclatèrent entre le groupe « aussie » et les « lebs » (expression péjorative pour désigner les jeunes australiens d'origine libanaise et moyen-orientale en général). Les environs de la mosquée que l'on voit dans la vidéo précédente (Lakemba Mosque), centre de la vie communautaire musulmane de Sydney, a bien faillie être le théâtre de violences tandis que l'église d'Auburn fut brûlée et les fidèles chrétiens menacés. Bref, ces émeutes ont rappelé que les tensions raciales et religieuses étaient en partie imbriquées (on peut faire un parallèle avec celles de la même année en France à deux énormes bémols près : il n'y a pas eu de ratonnades organisées par des Blancs et la mort des deux jeunes était un accident). Voici un reportage en anglais pour comprendre la dynamique de ces émeutes (les rumeurs qui les ont déclenché notamment de part et d'autre) et le lien avec la religion. Et toujours les mêmes débats en occident s'agissant de l'islam... : Il y a 7 ans, le « burqa ban » était âprement discuté. Ce sujet donne lieu à une opposition frontale entre ceux qui proposent son interdiction pour raisons de sécurité nationale (avec, en toile de fond, une problématique identitaire) et les défenseurs des droits individuels, et il perdure. Autre problématique liée, le fondamentalisme : des manuels où il était promu la condamnation à mort des homosexuels et apostats ainsi que la haine des juifs et des chrétiens ont été découverts à l'université Victoria. En Australie, plusieurs librairies musulmanes qui vendent les mêmes livres appelant à la haine des non-musulmans, ont été fermées. Qu'ont fait les autorité australiennes face à la question islamique ? Face au même problème qu'ailleurs, celui de la représentativité des musulmans, ils ont fait la même chose que nos inconscients (complices ?) dirigeants : Suite aux attentats de Londres (2005), le premier ministre John Howard a crée le « Muslim Community Reference Group » afin de faciliter les relations avec cette communauté morcelée et désorganisée. A tous ces problèmes, il faudrait également rajouter celui du financement par les pays du golfe (Arabie Saoudite notamment), cette même guerre de chapelles... mais cette misen perspective est suffisante. L'imam Tawhidi : un cas à part Dans l'extrait qui va suivre comme dans de nombreuses interventions, on découvrira la rhétorique de l'imam Tawhidi (un iranien arrivé en Australie quand il avait 12 ans) : il y pointe, entre autres, l'absence de fermeté des grands muftis australiens dans leur condamnation du terrorisme. Il faut comprendre que ceux qui ont occupé cette fonction ont tous tenu des propos inquiétants et qui ont fait polémique. Le sinistre Sheik Taj el-Din al-Hilali (mufti de 1992-2007) a notamment affirmé : « les juifs essayent de contrôler le monde avec le sexe, puis la perversion sexuelle, puis la promotion de l'espionnage, de la traîtrise et l'usure ». Il a également affirmé que « chrétiens et juifs étaient les pires créations de Dieu ». Mais commençons par l'écouter avec cette vidéo sous-titrée : D'abord on peut dire que, selon cet imam, la situation en Australie est exactement la même que partout ailleurs : les musulmans dits modérés se taisent vis-à-vis des comportements de leurs coreligionnaires extrémistes. Ensuite et de son propre aveu, cet imam a une audience toute relative (nous allons y revenir). C'est un chiite qui est peu écouté dans sa propre communauté. Il est simplement THE imam que mettent en avant certains médias australiens et occidentaux en général. En l'écoutant dans les nombreuses entrevues qu'il accorde, on peut remarquer que si Tawhidi est opposé à la construction de mosquées, il est favorable à celle de centres communautaires. Ce qu'il regrette en réalité, ce sont les symboles, tous ces sujets charriés par l'islam lui-même et qui font que cette idéologie est perçue comme hors-sol (ce qu'elle est en Occident) et hostile vis-à-vis des non-pratiquants. Bref, c'est le caractère repoussoir et le fait que « trop d'islam visible tue l'islam » qui dérange notre imam hyper-connecté . Derrière l'humour et sa communication bien rodée et son omniprésence sur les réseaux sociaux, derrière le discours assimilationniste (rejet de la charia, dénonciation ferme du terrorisme, éradication des signes trop visibles d'islamité, etc) nous retrouvons des points communs avec la stratégie frériste (s'immiscer dans les sociétés non musulmanes mais en douceur) et un même discours victimaire. Il dénonce les mêmes problématiques qu'ailleurs, comme le fait que nombre de leaders musulmans australiens ne parleraient même pas anglais. Sa stratégie ? Pour l'avoir bien écouté, elle est limpide : Focaliser l'attention sur une condamnation sévère de l'EI et plus généralement sur certaines sources capitales du sunnisme (Sahih Boukhary) pour véhiculer dans l'opinion l'idée que le seul problème avec l'islam serait le fondamentalisme islamique. Son originalité est simplement d'étendre la problématique au caractère ostentatoire et inhérent à l'islam mais non parce qu'il en condamne les manifestations mais parce que, stratégiquement, c'est une mauvaise approche (d'où mon parallèle avec les frérots). Il dénonce le fait qu'il y ait 500 imams en Australie mais que seulement 50 condamneraient le terrorisme mais enfermé dans sa foi, il ne semble répondre à la question qui fâche « comment se fait-il qu'il y ait si peu de remise en question en islam ? » que parce qu'on lui pose (voir après). Dans la vidéo suivante, le présentateur évoque le fait que, dans le coran, il est explicitement écrit que le mari peut frapper sa femme. Son début de réponse est classique : le contexte. La tribu des Qorayches et plus généralement la population de l'Arabie pré-islamique aurait été ignorante (ce que plusieurs historiens nuancent fortement depuis quelques décennies mais c'est un autre débat)... et dans le même temps l'imam admet qu'il faudrait une refonte complète*. Que si le coran dit « frappez-les » c'est parce qu'avant la prétendue révélation « les tribus arabes avaient coutume de les enterrer vivantes. Le coran dit « ne tuez pas vos femmes et vos filles » mais donnez-leur une tape sur les mains ». En réalité le Coran et la plupart des exégètes ne disent pas cela mais passons... Le présentateur enchaîne « Mais pourquoi y-a-t-il si peu de voix pour dire qu'il faut une réforme dans l'islam ? » ce à quoi notre imam 2.0 répond parce que « premièrement ils ne peuvent trahir ce qu'il leur a été appris », ce qui, au passage, montre bien pour ceux qui en douteraient encore que l'enseignement du coran n'a pas pour but de développer l'esprit critique mais la soumission des adeptes à l'autorité. Puis il enchaîne son explication sur une mise en accusation de la compilation des hadith de Boukhary, son grand argument (qui est vrai du reste)... mais pas question de toucher au coran... jamais ! Le coran est parfait puisqu'il est la parole de Dieu lui-même. Un imam légitime ? C'est l'éternelle question en islam, les différents courants passant leur temps à dénoncer la supposée illégitimité des autres. Impossible pour un non-musulman d'y répondre et du reste cela n'est pas notre affaire. Dans la vidéo qui suit, la personne remet carrément en cause le fait que Tawhidi aurait été ordonné imam puisque, selon lui, il n'a reçu qu'une formation dans les grandes lignes mais rien de plus. Il aurait même abandonné par manque de travail malgré les avertissements et notifications qu'il aurait reçu. L'Université Al Mustafa dont cet imam se réclame ne recommanderait même pas cet individu arguant qu'il « n'a aucune compétence pour avoir une activité religieuse ou pour faire des prêches ». Évidemment le reste de la vidéo et la thèse du youtubeur prétendant que Sadiq Hussaini Shirazi (le mentor de Tawhidi) ne serait pas représentatif de l'islam chiite est plus que contestable. On ne va pas ici s'amuser à rentrer dans les détails mais pour lui, les Shirazi sont « dans le mauvais chemin » et iront en enfer, rien de très original en somme. Il (le youtubeur) explique que tout au long de l'histoire de l'islam, des « corrupteurs » l'ont infiltré mais, lui non plus, ne se pose jamais la question fatidique : si le coran est si parfait, pourquoi autant d'individus « dans l'erreur » ? La réponse paranoïaque habituelle : parce que les ennemis de l'islam pur (comprendre le sien) ont pullulé durant des siècles avec la ferme volonté de le détruire. Pour lui, la seule voie juste est celle de Khomeiny et tous ceux qui critiquent celle-ci sont nécessairement des ennemis, voire ne sont pas des musulmans. Encore une fois, c'est du classique. Tawhidi a fait l'objet de nombreuses accusations allant dans ce sens et il s'en défend. Mais on peut trancher définitivement cette question par l'enquête du gouvernement australien qui a décrété après vérification qu'il est bien qualifié pour être imam. Ne nous étendons pas davantage sur un youtubeur adepte de celui qui a condamné à mort un homme, Salman Rushdie, pour blasphème mais notons juste que ce youtubeur reproche les fatwas de Shirazi tout en ne pipant mot sur celles de son dieu Khomeiny. Cette vidéo est intéressante - à partir de la 5ième minute pour ce qui concerne notre imam – et plus généralement pour comprendre une chose : le monde islamique est une guerre permanente de chapelles et les défenseurs des unes ou des autres se haïssent autant qu'ils haïssent ceux qui osent critiquer leur religion. Alors pourquoi présenter Tawhidi comme un interlocuteur légitime ? Il aurait 300 000 suiveurs sur les réseaux sociaux mais ce succès est à relativiser en comparaison de certains autres prédicateurs qui en ont plusieurs dizaines de million et de plus il faut toujours ôter parmi ces suiveurs ceux qui suivent sans partager, par curiosité, simple intérêt ou autre. Alors pourquoi un homme qui admet lui-même n'être que très peu écouté par ses collègues imams et les fidèles de sa communauté est-il si présent dans les médias ? Il y a deux cas de figure. Tout d'abord celui des MSM islamo-complices et dans ce cas probablement s'agit-il d'un mélange entre ignorance (ce qui est le cas de nombres de MSM occidentaux incapables de répondre aux affirmations de ces imams), de naïveté et d'espérance. Parce que pour certains MSM qui nous vendent l'islam comme une religion de paix et de tolérance, cet imam est présentable et sa rhétorique assimilationniste et pacifique cadre à merveille avec le discours qu'ils veulent entendre et diffusent depuis des décennies. Le fait qu'il soit représentatif de la communauté musulmane australienne est relégué derrière le fait que son discours aille dans le sens d'une société multi-culturelle où un islam des lumières fantasmé aurait tout sa place. L'autre cas est celui des MSM occidentaux islamo-critiques (en France, Valeurs Actuelles en fait une intense promotion) : sans doute estiment-ils qu'il est un bon ambassadeur de la critique de l'islam de l'intérieur : ses positions pro-israéliennes, pro-Trump, très critiques vis-à-vis des gauchistes/leftists, favorables à la défense de la souveraineté des nations (protection des frontières) sont assez rares dans le monde musulman en général, ce qui en fait un bon client. Et puis rares sont les représentants (légitimes ou non) qui remettent en cause ouvertement leurs coreligionnaires, leurs pratiques et même certains textes. Et puis il a le costume qu'il faut, l'humour et le discours que tous, islamo-critiques ou non, veulent entendre. Alors ils l'invitent et ça tombe bien, ce personnage est comme aimanté par les projecteurs et discute avec tout le monde, y compris avec l'aile populiste-nationaliste (ici australienne), sans doute avec l'idée que ce sont les principaux à convaincre puisque la critique la plus virulente de l'islam vient d'eux : Une des questions de la vidéo précédente porte sur le fait que la sénatrice Pauline Hanson (Fondatrice du parti One Nation, équivalent du FN, AfD, SD, Liga, etc.) se soit livrée à un happening politico-médiatique au Sénat en s'y rendant avec une burqa et en demandant si cet accoutrement allait enfin être interdit. La réponse de l'imam consiste à lui dire qu'elle a bien fait parce que c'est en effet un accoutrement reconnu par une partie des musulmans MAIS qu'il s'agit d'une minorités d'eux (ce qui est vrai). La réponse de George Brandis très... télévisuelle à Hanson fût alors « non » et s'accompagna d'un vif conseil de prudence quant à son comportement susceptible d'offenser les fidèles musulmans. Il l'accuse d'avoir eu la volonté de ridiculiser ces citoyens australiens. C'est une séquence typique des débats que nous avons aussi chez nous : Maintenant tous ces gens qui accueillent bras ouverts cet imam ont-ils bien conscience de la stratégie de com de Tawhidi ? Ce dernier vend en réalité sa salade chiite dans le souk el fellah qu'est l'islam et ses innombrables échoppes. Son islam à lui contre celui des autres est comparable à la guerre commerciale entre pepsi et coca. L'entente non pas commerciale mais idéologique entre prétendus modérés et radicaux peut bien prend les atours d'un affrontement fut-il frontal pourvu qu'à la caisse on retrouve bien, dans le caddie du consommateur, une bouteille de coran. * Un autre article suivra sur tous ces prétendus réformateurs
Voir en ligne : https://www.agoravox.tv/IMG/jpg/Tawhidi-imam-australien.jpg

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