Billet Invité, à l’occasion de la journée de la francophonie
Le président Macron, à la suite de ses prédécesseurs, a affiché sa volonté de voir se développer l’usage du français dans le monde. Il est à craindre que ces fières déclarations ne connaissent le sort de celles qui les ont précédées depuis un quart de siècle: rester des « paroles verbales ». En effet le Quai d’Orsay, qui est censé les traduire en actes, est animé à ce sujet de sentiments ambivalents qui l’empêchent de fixer et suivre dans la durée une stratégie claire. Le résultat est que chaque année ou presque il est rattrapé par la patrouille de Bercy et qu’il s’enferme dans un cercle vicieux où la réduction des coûts est l’alpha et l’omega de sa politique et une vision au-delà de l’horizon budgétaire impossible. Autres dégâts collatéraux, la cacophonie des services concernés par cette politique publique et la faible considération accordée dans les ambassades aux agents chargés de la promotion du français. Le problème que l’on n’ose pas regarder en face pour en tirer les conséquences est que « l’attractivité de la France », la grande priorité de notre « politique d’influence » n’a pas vraiment besoin de la langue française, celle-ci serait plutôt un obstacle. « Choose France » se dit en anglais. Quant à la culture, suspecte de donner une image désuète et désinvolte, elle n’est tolérée que sous ses formes « jeune » et touristique.
Une colonisation désirée et niée
Comment d’ailleurs le front linguistique pourrait-il être dynamique quand l’arrière flanche? L’anglais, il suffit de sortir dans la rue en France ou d’y allumer la télévision pour le savoir, est la langue de tout ce qui se veut dynamique, jeune et moderne. Le grignotage du français, sa subversion de l’intérieur (la grammaire) par l’anglo-américain a été décrit par de nombreux auteurs tels que Claude Hagège1Claude Hagège, « Contre la Pensée unique », Odile Jacob 2012 jQuery("#footnote_plugin_tooltip_8153_1").tooltip({ tip: "#footnote_plugin_tooltip_text_8153_1", tipClass: "footnote_tooltip", effect: "fade", fadeOutSpeed: 100, predelay: 400, position: "top right", relative: true, offset: [10, 10] });, Claude Duneton2Claude Duneton, « La mort du français », Plon 1999 jQuery("#footnote_plugin_tooltip_8153_2").tooltip({ tip: "#footnote_plugin_tooltip_text_8153_2", tipClass: "footnote_tooltip", effect: "fade", fadeOutSpeed: 100, predelay: 400, position: "top right", relative: true, offset: [10, 10] });ou Alain Borer3Alain Borer, »De quel Amour blessée, Réflexions dur la langue française, Gallimard 2014 jQuery("#footnote_plugin_tooltip_8153_3").tooltip({ tip: "#footnote_plugin_tooltip_text_8153_3", tipClass: "footnote_tooltip", effect: "fade", fadeOutSpeed: 100, predelay: 400, position: "top right", relative: true, offset: [10, 10] });.
Il ne s’agit pas seulement de l’anglicisation du langage courant, d’un côté par le snobisme anglophone des élites et de l’autre par la créolisation de la langue populaire. Pas seulement de la substitution, par l’industrie du divertissement et la publicité, de l’imaginaire américain au corpus des traditions locales. Plus profondément, comme l’a montré entre autres Alain Supiot4Alain Supiot, « La Gouvernance par les Nombres » Fayard 2015 jQuery("#footnote_plugin_tooltip_8153_4").tooltip({ tip: "#footnote_plugin_tooltip_text_8153_4", tipClass: "footnote_tooltip", effect: "fade", fadeOutSpeed: 100, predelay: 400, position: "top right", relative: true, offset: [10, 10] }); et comme l’illustre la vague de puritanisme qui déferle d’outre-Atlantique, nous adhérons chaque jour davantage à un bloc de valeurs américaines, à un ordre juridique et moral utilitariste qui se disent et se pensent en anglais. Or, si l’on s’émeut de l’envahissement de nos écrans par les productions américaines, si on le combat parfois, il n’est pas question d’y reconnaître ce phénomène classique: le désir qu’éprouve le dominé de l’imaginaire du dominant.Lire la suite