L’ancien Premier ministre libanais Saad Al-Hariri
Quels que soient les sentiments qu’on éprouve pour le général AOUN, on doit reconnaître que son élection la veille de la Toussaint de l’année dernière a permis de remettre les institutions du Liban en marche et de débloquer les clivages qui avaient empêché depuis longtemps l’élection d’un successeur au général Michel SLEYMAN arrivé en fin de mandat le 25 mai 2014. La vacance du pouvoir au sommet de l’état durait depuis trop longtemps avec sa suite de blocages dans les nominations importantes de l’administration et d’absences de décisions dans tous les domaines, économiques, financiers, administratifs et politiques.
Ses partisans comme ses détracteurs reconnaissent qu’il est désormais un personnage historique, du fait de son parcours politique depuis 1988, lorsque le vide produit par la fin de mandat d’Amine Gemayel sans consensus des députés pour lui élire un successeur, l’a porté au pouvoir « de facto » en tant que chef des Armées du Liban. Après une carrière militaire brillante il entrait dans une carrière politique forcée qui connaîtra de nombreuses péripéties. Mais ses combats militaires contre les Forces Libanaises de Samir GEAGEA, puis contre la Syrie lui valurent l’estime de nombreux Libanais qui reconnaissaient son patriotisme, en dépit d’erreurs qui le menèrent dans un long exil en France où il eut le temps de réfléchir à la situation de son pays et comprit que le Hezbollah, représentant la population la plus nombreuse du Liban, et auréolé de sa victorieuse résistance à l’occupation israélienne, était incontournable sur l’échiquier libanais et désireux d’une entente avec les chrétiens du Courant Patriotique Libre (CPL) qu’il avait créé à son retour au Liban. D’ailleurs, il est dans l’histoire moderne du Liban que les chiites, communauté musulmane minoritaire dans l’islam mais majoritaire au Liban, ont toujours jugé que leur intérêt était dans une alliance avec les chrétiens, quels qu’ils soient. Cette alliance du Hezbollah et du CPL fut donc scellée mais les forces qui lui étaient opposées, le Courant du Futur (CF) soutenu principalement par les sunnites, dirigé par Saad Hariri après l’assassinat de son père en 2005, et les Forces Libanaises essentiellement maronites de Samir Geagea, avaient les moyens d’empêcher son élection grâce à une loi électorale qui n’avait pas pu être modifiée et des soutiens puissants à l’extérieur dirigés par l’Arabie Séoudite, avec comme toujours en arrière-plan les Etats-Unis et Israël.
Mais fin 2015, après une longue période d’incertitudes, sous les pressions des citoyens sur leurs chefs politiques, lassés de cette vacance du pouvoir, et après de nombreux conciliabules de « diwans », d’alcôves et de couloirs, un consensus se réalisa peu à peu sur Souleiman FRANGIE qui semblait faire, sinon la majorité du moins l’unanimité des députés. Alors que l’affaire semblait bouclée pour élire Souleiman FRANGIE, pourtant lui aussi en bons termes avec le Hezbollah, à la surprise de nombreux observateurs, les FL et le CF annoncèrent alors qu’ils étaient opposés à Frangié et apportaient leur soutien au général AOUN qu’ils combattaient jusqu’alors.
Ce ralliement avait pour but de briser le consensus sur Frangié et était évidemment commandité de l’étranger, c’est-à-dire de Riyad dont la phobie a toujours été de voir le Hezbollah chiite participer au gouvernement et entretenir avec l’Iran des relations amicales, mais qui n’avait sans doute pas prévu qu’un nouveau consensus se réaliserait sur AOUN dont la politique d’amitié avec l’Iran et la Syrie ne pouvait pas leur convenir.
Mohammed Bin Salman, prince héritier d’Arabie saoudite et vice-Premier ministre
A la grande déconvenue des Séoudiens, le général AOUN fut élu Président le 31 octobre 2016 et mena une politique équilibrée de rassemblement national, bénéficiant d’une aura de sympathie internationale, et tout en maintenant ses affinités pour la Syrie et l’Iran. L’Arabie Séoudite, qui depuis la prise de pouvoir du jeune (32 ans) Prince devenu Héritier Mohammed Bin Salman s’est lancé dans une politique de réformes mais surtout de guerres contre ce qu’il appelle un arc chiite menaçant le royaume allant de l’Iran au Liban en passant par la Syrie et en y ajoutant le Yémen, a jugé qu’il fallait en finir avec un Liban stable et, en outre, entretenant des relations diplomatiques et de coopération avec ses ennemis l’Iran et la Syrie.
Le lendemain de la visite d’un haut émissaire iranien à Beyrouth, Ali Akbar Velayati, rencontré par le Premier Ministre Saad HARIRI, ce dernier fut convoqué à Ryad et annonça sa démission en jetant l’invective sur l’Iran et le Hezbollah. Nul n’est besoin d’être expert en géopolitique pour comprendre cette annonce surprise puisqu’elle est signée d’Arabie Séoudite : le royaume veut « faire le ménage » au Liban, y compris en arrêtant le Prince Al Walid Bin Talal connu pour ses sympathies libanaises et ses investissements dans le pays et accentuer sa lutte contre l’Iran dans laquelle il est appuyé par Israël et les Etats-Unis.
Le Liban risque donc d’entrer à nouveau dans une période d’incertitudes sinon de troubles, à moins que l’union nationale ne puisse se faire autour d’un nouveau Premier Ministre nécessairement sunnite du fait de la Constitution, car les Libanais de toutes confessions sont las des disputes de leurs responsables et aspirent à un état fort qui puisse soutenir les forces de sécurité nationale, Armée et Police, qui dépassent, elles, les clivages confessionnels pour montrer une grande capacité opérationnelle sur un terrain difficile avec les djihadistes de Syrie à ses frontières- et sans doute aussi à l’intérieur- et les deux millions de réfugiés syriens qu’il accueille généreusement sur son petit territoire, en plus des centaines de milliers de Palestiniens qui ont dû fuir leur pays au fur et à mesure des guerres successives d’Israël.
Il semble clair que l’Arabie veuille monter d’un cran dans sa lutte contre l’Iran et y inciter ses alliés. Mais au Moyen-Orient désormais les Etats-Unis ne dirigent plus les opérations et ont échoué dans leurs tentatives en Syrie et en Irak, notamment avec l’échec du referendum kurde ; la diplomatie russe a su prendre le temps de placer ses atouts un peu partout et est sans doute en mesure d’empêcher une guerre que souhaiteraient l’Arabie et Israël, en offrant une porte de sortie honorable à l’Amérique qui n’aurait rien à gagner dans l’ouverture d’un front militaire, de même que les autres protagonistes. La politique vindicative de l’Arabie Séoudite pourrait être contreproductive pour les Etats-Unis et les états de la région, y compris même au sein du royaume dont certains piliers sont chancelants. Contrairement à ce que pense le gouvernement du Likoud à Tel Aviv, Israël ne peut pas rayer l’Iran de la carte et ferait mieux, dans son propre intérêt, d’adopter une politique plus sage et retenue vis-à-vis de son environnement proche comme éloigné.
Alain Corvez (5 novembre 2017)
Pour aller plus loin :
« Liban – Démission d’Hariri – Première salve de la guerre saoudienne contre le Hezbollah » (Moon Of Alabama / comite-valmy.org)
« Voyage au Pays de Bachar »
Dans ce documentaire, le journaliste Raphaël Berland revient longuement sur l’assassinat de Rafic Hariri (le père de Saad Hariri) en 2005. Déjà à l’époque, c’est le Hezbollah qui est visé.
« Une ‘purge sans précédent’ en Arabie saoudite » (7sur7.be)
« BREAKING: Saudi regime orders arrest of so-called ‘Syrian opposition leaders’ » (theduran.com)
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