1er épisode des Extraits Stupéfiants : quand l'écrivain Jean-Paul Dubois explique sa méthode "pas si folle" pour écrire des livres et s'acheter du temps pour réussir sa vie...
Sommaire Le principe (des Extraits Stupéfiants)
Le média (le support des Extraits)
Contexte
Protagonistes
L'Extrait / les Extraits
Commentaire & prolongement
Post Scriptum
Bonus (facultatif) Le principe (des Extraits Stupéfiants) Trouver un extrait dans un des nombreux supports à notre disposition (un livre, un article, une vidéo...) ayant comme premier mérite d'avoir attiré notre attention. Ensuite, au-delà de sa signification première, chercher les interrogations stupéfiantes que cet extrait pourrait cacher. Le média (le support des Extraits) Une vidéo mise en ligne sur la chaîne YouTube La Grande Librairie, le 16 septembre 2016. Contexte Au cours de l'émission La Grande Libraire, diffusée sur france 5, Jean-Paul Dubois présente son dernier livre : La Succession. (voir l'émission dans son intégralité) Protagonistes François Busnel (FB) : animateur de l'émission La Grande Librairie (également journaliste, critique littéraire, producteur... ) Jean-Paul Dubois (JPD) : écrivain ("Kennedy et moi", 1996 ; "Une vie française", 2004, "La succession", 2016...) ancien journaliste et grand reporter. L'Extrait / les Extraits "Jean-Paul Dubois nous présente son dernier livre : La succession" (durée 16:28) JPD (11:55) : La seule chose qui m'intéresse c'est de vivre... FB : C'est un métier ça. JPD : Ah c'est un vrai métier ! C'est le pire des métiers, c'est le meilleur des métiers... ça demande un temps... C'est d'acheter du temps ! Je suis fait pour acheter du temps. Pour être propriétaire de mon temps... par tous les subterfuges ; essayer de ne pas gagner ma vie, mais de faire de la rapine en permanence... FB (12:29) : Vous écrivez toujours, Jean-Paul, vos livres, en un mois ? Vous m'aviez dit ça un jour, ça m'avait frappé. Un livre tous les quatre ans, mais en un mois... JPD : Si vous voulez que je vous réponde, il faut que je vous explique. FB : Ah beh, allez-y ! JPD (12:41) : C'est une méthode ; ça tient à ce que je vous expliquais auparavant. J'ai besoin de coercition pour écrire. Ecrire n'est pas naturel. Ecrire, pour moi est facile, parce que ça fait quarante ans que j'écris, donc je n'ai pas de problème d'écriture. Ce dont j'ai besoin, c'est de m'emprisonner à me dire : tu dois faire ça entre le 1er et le 31 mars. J'ai fait tous mes livres entre le 1er et le 31 mars (sauf Une vie française, où il m'en a fallu deux, j'ai travaillé en avril). Je travaille de 10h00 du matin à 3-4h00 du matin, tous les jours, avec l'obligation de faire a minima 8 pages. Et je ne me lève pas tant que je ne les ai pas écrites. 3 fois 8 = 24 ; 30 fois 8 ça fait 240 pages, et je garde le dernier jour, au cas où... voilà ! Et, depuis, j'ai fait vingt et quelques livres... Moi, c'est ma méthode. C'est lié à ce que disait Lionel Duroy : la pratique sportive et la pratique de l'écriture, pour moi sont exactement identiques. C'est-à-dire que si vous ne vous forcez pas à faire... Vous forcez votre esprit exactement comme vous forcez votre corps. FB (13:50) : Mais c'est un plaisir ? Pardonnez-moi... c'est un plaisir quand même ? JPD : C'est pas un plaisir ; c'est un travail qui doit être fait. Et qui doit être fait avec toutes les capacités que l'on a au meilleur moment, et que vous mobilisez par cette méthode. Parce que avec cette méthode vous avez un esprit qui pendant 30 jours est aiguisé comme une lame. Je ne veux pas dire que vous êtes malin à ce moment-là, mais vous vous donnez toutes les capacités de travailler. C'est comme si je vous racontais une histoire pendant 30 jours. Vous vous asseyez, et si vous avez la patience, c'est ma voix off qui pendant 30 jours va vous raconter une histoire, sans arrêt. Et même en dormant, je dors très peu, je me remets au boulot le matin, il n'y a pas de... Volià... Je ne sais faire que ça ; ce n'est pas une pause, mais je sais pas faire autrement. Si je m'arrête, le livre s'arrête. Voilà, c'est comme l'oiseau qui doit absolument remuer des ailes pour avancer ; moi je dois ne pas m'arrêter. Et le type qui s'arrête de pédaler tombe... [...] JPD (14:45) : Voilà, je suis désolé.. FB : Soyez surtout pas désolé, moi je trouve ça formidable d'avoir comme ça une explication de l'écriture, qui nous semble mais alors tellement puissante et tellement forte... Franchement. JPD : Vous pouvez même, grâce à ce travail, comprendre pourquoi vous avez fait ce livre et pas un autre ; le déconstruire ensuite. C'est exactement comme un meccano ; l'esprit s'éduque à ça, et je suis persuadé que c'est pas si fou, je vous assure. C'est pas universel... FB : Ah non, ça c'est pas universel du tout ! C'est même très très très singulier... Et pourquoi une fois tous les 4 ou 5 ans ? Y a pas des moments où vous avez envie d'écrire ? JPD : Nécessité fait loi... Mais si, il y a des moments où j'ai envie d'écrire, mais la vie vous pousse à autre chose... La vie vous transporte, ou vous paralyse. Et on ne peut écrire que quand vous avez un esprit qui est totalement mobilisé par votre travail et non pas par des chagrins ou du bonheur, qui sont des parasites fondamentaux pour l'écriture. [...] Oui, vous ne pouvez pas, quand vous êtes fondamentalement heureux, vous ne pouvez pas écrire... ni quand vous êtes fondamentalement malheureux... Les deux sont trop importants pour se consacrer à l'écriture... (15:56) Commentaire & prolongement Dans cet extrait stupéfiant, Jean-Paul Dubois répond à deux interrogations imbriquées : 1) Comment écrit-il ses livres ? Tous les 4 ou 5 ans, il écrit un livre pendant 1 mois, du 1er au 31 mars ; commençant chaque matin à partir de 10h00, jusqu'à 3h00 ou 4h00 du matin. A minima, 8 pages doivent être écrites chaque jour. 2) Pourquoi utilise-t-il cette méthode "très très très singulière" ? Pour se gagner du temps. Pour ne pas donner trop de son temps à un employeur. Pour avoir le temps de vivre. Pour être propriétaire de son temps... Il prolonge son explication dans cet extrait d'une interview donnée sur France Inter (1er septembre 2016 - durée 1:27) : « La seule chose pour laquelle j'ai travaillé dans la vie, c'est pour gagner du temps et revendiquer le droit à la paresse. Obtenir du temps pour vivre... le gaspiller, en faire quoi que ce soit, mais être propriétaire de son temps, et ne pas trop devoir de temps à ses employeurs. [...] J'ai réussi ma vie en gagnant du temps. Et l'écriture fait partie de ce processus... » Si Jean-Paul Dubois estime avoir réussi sa vie, en employant sa méthode si singulière, qu'en est-il de ses livres ? Eh bien je ne jugerai pas ici de la qualité des livres de Jean-Paul Dubois, pour n'en avoir lu aucun jusqu'à présent (ce sera fait bientôt ; mea culpa)... On peut toutefois écouter un extrait de son livre La Succession dans cette vidéo de L'Actu Littéraire (5 octobre 2016 - durée 3:09) : Post-Scriptum Voilà, c'était le premier épisode des Extraits Stupéfiants ! Où s'entrecroisent un projet littéraire (comment écrire des livres, selon Jean-Paul Dubois) et un projet de vie (comment bien vivre, comment disposer au mieux de son temps... toujours selon Jean-Paul Dubois), qui interrogent non seulement la fonction d'écrire, mais surtout la fonction de vivre. Et ceci concerne chacun de nous : nos vies sont-elles réussies ? Nos vies sont-elles bien vécues ? (interrogations stupéfiantes, qui devraient nous occuper pour une vie entière, voire plusieurs...)
Voir en ligne : https://www.agoravox.tv/IMG/jpg/jean-paul-dubois-lgl-succession.jpg
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