Kemi Seba et le président sénégalais Maky Sall(montage photo satirique)
Alors que Kemi Seba est en cours d’expulsion du Sénégal vers la France, nous avons souhaité recueillir la réaction et l’analyse du journaliste Olivier Mukuna.
Le militant panafricaniste Kemi Seba a été interpellé ce mercredi à Dakar ; aux dernières informations, il se trouvait dans les locaux du commissariat spécial de l’aéroport de Dakar. Il est sous le coup d’une procédure d’expulsion immédiate vers la France, qui lui a été notifiée en milieu d’après midi (voir ici plus de détails sur les conditions de son arrestation).
Cette arrestation fait suite à une première incarcération de 4 jours le 25 août dernier, suite à un geste symbolique qu’il a réalisé devant plusieurs médias, à savoir le brûlage d’un billet de 5 000 FCFA (soit 7,68 euros), afin de dénoncer cette monnaie créée par la France coloniale, et toujours en vigueur aujourd’hui dans une quinzaine de pays africains. La BCEAO, dont la plainte a été rapidement déboutée, était à l’origine de cette première incarcération.
Selon l’arrêté d’expulsion, Kemi Seba « s’est fait aussi remarquer pour les propos désobligeants qu’il formule à l’encontre des chefs d’État et dirigeants africains et envisagerait de mener des actions préjudiciables à l’ordre public en appelant à des rassemblements intempestifs sur la voie publique ». Le texte, signé du ministre de l’Intérieur, justifie la décision d’expulsion par le fait que sa présence au Sénégal constitue « une menace grave pour l’ordre public ».
L’appel lancé par le collectif d’organisations constituant le Front anti-CFA à une manifestation le 16 septembre prochain aurait servi d’accélérateur à la décision d’engager une procédure d’expulsion.
Vous pouvez visionner la réaction de Hery Djehuty, coordinateur stratégique de l’ONG Urgences Panafricanistes en cliquant ici.
Entretien avec le journaliste Olivier Mukuna.
Cercle des Volontaires : Le militant panafricaniste Kemi Seba a été arrêté ce mercredi 6 septembre à Dakar (Sénégal) et est en voie d’expulsion vers la France. Quelle est votre réaction ?
Olivier Mukuna : Je ne pensais pas que les Autorités sénégalaises iraient jusqu’à cette extrémité… C’est une décision très rare et spectaculairement expéditive dans ce pays d’Afrique de l’Ouest concernant un Français. Celle-ci s’est visiblement déroulée à toute allure, selon les informations de Jeune Afrique. D’après cet hebdo, plus français qu’africain, l’arrêté d’expulsion de Kemi Seba a été signé ce mardi 5 septembre au soir par le ministre de l’Intérieur. Pour ce dernier, l’activiste franco-béninois représenterait « une menace grave pour l’ordre public »… C’est clairement une décision prise en perspective de la manifestation anti-CFA, prévue le 16 septembre à Dakar, afin d’en priver son leader attitré et de déstabiliser la contestation populaire et grandissante envers le franc CFA.
Olivier Mukuna, journaliste
Cela démontre aussi deux choses aux virulents détracteurs de Kemi Seba. D’une part, sous son impulsion et par son activisme, ce mouvement anti-CFA a pris une véritable envergure sociale qui dérange sinon effraie l’Exécutif sénégalais et son président Macky Sall. D’autre part, cette expulsion pourrait bien cacher un ordre venu directement de l’Elysée. Je n’en ai pas les preuves ; j’use donc du conditionnel. Mais il s’agit d’une hypothèse de travail tout à fait crédible. En tout cas, cette expulsion inique et injustifiée relance le soupçon de la classique influence coloniale française. Kemi Seba vit au Sénégal depuis 6 ans et serait soudainement devenu aussi dangereux qu’un potentiel terroriste ? C’est ridicule : son activisme panafricain a toujours été pacifique et il n’a jamais appelé à la violence ou à la lutte armée. Je le répète : je vois très mal le laquais élyséen Macky Sall superviser une telle décision, lourde de conséquences intérieures, sans l’aval de la France voire l’exécuter à sa demande.
Enfin, toutes proportions gardées et avec quelques différences, cette expulsion de Kemi Seba m’en rappelle une autre : celle de Malcolm X en 1965 à Paris (1). A peine débarqué de l’avion, le leader afro-américain et panafricain avait été arrêté par les Autorités françaises et placé sur le premier vol vers les USA… à la demande expresse de l’ambassade des Etats-Unis à Paris.
CdV : Kemi Seba a fait parler de lui récemment pour avoir brûlé un billet de banque en Franc CFA, que pensez-vous de ce geste ?
O. M. : Au-delà de ce que chacun peut penser de Kemi Seba, il s’agit d’un geste symbolique à effet catalyseur et mobilisateur. Du point de vue de la communication comme de l’activisme politique, ce geste est à saluer en tant que tel. Parce qu’il a atteint sa cible. Il visait à propulser à l’avant-plan de l’agenda médiatique une problématique lourde et complexe de servitude africaine. Une exigence d’émancipation et de souveraineté économiques et monétaires que certains Occidentaux et Africains préfèreraient voir rester dans l’ombre. Cette rupture dans « les convenances » a contraint chacun à se positionner, à débattre du franc CFA, à s’informer pour certains sur cette monnaie coloniale instaurée par la France dans 15 pays d’Afrique depuis 1945. J’observe non sans circonspection que même les présidents Idriss Deby (Tchad) et Roch Kabore (Burkina-Faso) appellent à la fin du franc CFA (2). Si plusieurs économistes et intellectuels avaient déjà travaillé et publié en amont sur le sujet, celui-ci avait besoin d’un « tremplin médiatique », d’une sorte de détonateur populaire, un passage de la seconde à la troisième vitesse. Si le geste de Kemi Seba, consistant à se faire filmer en train de brûler un billet de 5 000 francs CFA en place publique, a pu remplir ce rôle, ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre…
J’estime au contraire que ce geste transgressif s’apparente à celui posé en 1955 par l’Afro-américaine Rosa Parks. Celle-ci avait refusé de céder son siège à un passager blanc dans un bus bondé, au mépris de la loi ségrégationniste qui interdisait aux noirs de s’asseoir sur les sièges réservés aux blancs. Cet acte subversif, objectivement illégal, a surtout fait écho, de façon directe et accessible, au refus de voir se poursuivre ce type d’injustice raciale subies par des millions d’hommes, de femmes et d’enfants afro-américains. Dans un contexte d’ébullition sociopolitique et de ras-le-bol populaire, cet acte – qui pouvait passer inaperçu et/ou être réprimé dans une relative discrétion – a au contraire fait mouche, été récupéré par l’activiste Martin Luther King, a mobilisé l’opinion et centré le débat de fond sur une exigence d’émancipation et d’égalité citoyenne… Ici et maintenant, on verra bien jusqu’où cela ira, mais j’observe des similitudes dans l’indéniable soutien populaire qui a suivi le geste iconoclaste anti-CFA posé par Kemi Seba et son organisation Urgences Panafricanistes.
Ensuite, si l’on reste intellectuellement honnête, il faut leur reconnaître de ne pas s’être trompé, ni sur la puissance symbolique ni sur le timing de ce qui demandait également un certain courage. Ce geste subversif présentait un double risque que nombre de détracteurs ont passé sous silence. D’une part : l’éventualité d’une incarcération longue suite à une condamnation judicaire. Et soulignons que faire de la prison ferme en Afrique, c’est autre chose – en termes d’exiguïté, d’inconforts et de mauvais traitements assimilables à de la torture – qu’être incarcéré en Europe… D’autre part : l’éventualité d’être incompris par une majorité de Sénégalais et d’Africains francophones issus des classes populaires. Vu d’Europe, 5 000 francs CFA, cela équivaut à… 7,62 €. Soit à peine plus cher qu’un paquet de cigarettes. Au Sénégal, avec cette somme, 2/3 des familles parviennent à se nourrir pendant 5 jours…
Ce double risque participe de la puissance et de l’efficacité du geste posé, un acte auquel Kemi Seba a dit réfléchir depuis plus d’une année, en concertation avec ses proches et Urgences Panafricanistes. Maintenant, brûler ce billet a aussi divisé. S’il a logiquement énervé les pro-CFA, il a aussi mécontenté une partie des intellectuels africains et afro-descendants. Parmi eux, je ne citerai pas les collabos qui défendent le statu quo servile et ne sont guère crédibles. En revanche, pour certains de ceux qui prônent et travaillent depuis longtemps sur une alternative visant une souveraineté monétaire africaine, le geste de Kemi Seba les a pris de vitesse, leur a grillé la politesse, mis momentanément leurs noms dans l’ombre. On peut comprendre que cela les agace mais ces batailles d’égo sont stériles et surtout secondaires par rapport à l’appauvrissement sans perspective des jeunesses africaines de la Zone CFA. Les plus lucides des intellectuels l’ont d’ailleurs vite compris, tel l’historien Amzat Boukari, auteur d’un texte étincelant intitulé « L’Afrique se fera par la monnaie ou ne se fera pas ».
Dans son analyse, qui ne risque pas d’être reprise par Le Monde, L’Express, L’Obs ou Le Point, Boukari, également Secrétaire général de la Ligue Panafricaine Umoja, appelle clairement à l’unité : « Les manifestations menées dans plusieurs capitales africaines et occidentales par le Front Anti-CFA et les campagnes sur les réseaux sociaux ont définitivement popularisé un sujet qui avait déjà connu une forte médiatisation dans les luttes sociales et politiques qui avaient marqué l’émergence des sociétés civiles dans les années 1990. Ce rappel explique pourquoi toutes les personnes partageant la nouvelle dynamique de l’ONG Urgences Panafricanistes ont bien évidemment raison de s’engager dans la lutte contre le franc CFA et de vouloir forcer l’histoire car, jusqu’à présent, les dominants ont voulu l’écrire à notre place et sans nous » (3).
Pour revenir au geste posé, certains médias ont fait le parallélisme avec le chanteur Serge Gainsbourg. Au milieu des années 80, ce dernier avait brûlé un billet de 500 francs français à la télévision et produit également un effet catalyseur (4). Les gens s’étaient aussi arrêtés et se questionnaient. Gainsbourg a justifié son acte en estimant que sa fortune était beaucoup trop taxée par les pouvoirs publics. Mais vu le passif non militant de l’artiste sur les questions sociales et cette question précise, le geste est vite retombé dans une perception anodine. Celle d’une simple provocation émanant d’un artiste connu pour ses extravagances et prestations télévisées sous influence alcoolisée. S’ajoutait à cela un timing inopérant où l’acte ne faisait pas écho à l’existence d’une contestation populaire française grandissante contre la hauteur des prélèvements du Fisc français. Bref, le parallélisme avec Kemi Seba s’arrête là : même geste, mais contexte politico-historique et écho populaire totalement différents.
CdV : Au-delà du geste, le message, les médias français ont surtout parlé du messager, Kemi Seba, que pensez-vous de ce traitement médiatique ?
O. M. : Ce traitement des médias français est assez révélateur de leur perception du problème de fond.
Cette question du franc CFA soit ne les intéresse pas soit doit se calquer sur ce que préconise l’Etat français. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les Autorités françaises s’opposent à ce qu’une quinzaine de pays africains s’émancipent de cette tutelle coloniale et monétaire. Car il s’agit d’un vieux racket opéré par la France et notamment maintenu grâce à la menace de ses bases militaires présentes dans la plupart des pays africains situés en Zone CFA…
Lorsqu’on étudie de près la réalité du CFA, les beaux discours politiciens de liberté, d’égalité, d’universalisme ou de défense de la démocratie font « pschiiit », pour reprendre la célèbre onomatopée de Jacques Chirac ; le seul ex-président de la Vème République à avoir publiquement admis que la France « doit rendre aux Africains ce qu’elle leur a pris » (5). Au sein de ce long braquage, il y a assurément plus de soixante ans de domination et de racket monétaire via le franc CFA et la collaboration de divers présidents-pantins africains prenant leur feuille de route à l’Elysée.
Traiter de façon vraiment journalistique ce sujet reviendrait donc à mettre le projecteur sur un continuum colonial, farouchement nié par l’ensemble de la classe politique comme des médias français. Dans ce contexte, la facilité confortable est donc de s’attaquer au messager, à son passé, son parcours, rappeler les précédentes polémiques qu’il a déclenchées. Bref, tenter de le diaboliser afin de passer sous silence ou faire croire « inintéressant » le sujet pourtant d’intérêt public qu’il dénonce.
C’est devenu un classique chez les médias mainstream français, qui appartiennent, pour la majorité, à des milliardaires comme Vincent Bolloré. Ce dernier et ses homologues n’ont strictement aucun intérêt à voir des questions comme celle du Franc CFA sérieusement médiatisées, débattues et critiquées en France… A cet égard, j’ajoute que, selon le rapport 2017 de RSF (Reporters Sans Frontières), en matière de liberté de la presse, la France décroche péniblement la 39ème place mondiale sur 180 pays (6) ; derrière donc le Costa Rica (6ème), la Jamaïque (8ème), la Belgique (9ème), le Surinam (20ème) , le Ghana (26ème), l’Afrique du Sud (31ème), le Chili (33ème) ou la Lituanie (36ème). Ceci explique peut-être cela…
CdV : À titre personnel, que pensez-vous de Kemi Seba ?
O. M. : Ce que je pense de lui a infiniment moins d’importance que l’actuelle cause qu’il défend, pour l’instant sans écueil ni dérive. Mais je vais vous répondre. Car il me semble important de pouvoir lire autre chose que les inepties diffusées à son sujet par la plupart des médias français. A les lire, on pourrait penser que Kemi Seba est une sorte de « djihadiste » de Boko Haram ou le fondateur d’une « résurgence nazie » en Afrique de l’Ouest. Pures stupidités de médias désinformateurs à qui plus personne ne demande de prouver ce qu’ils racontent. Bref, il est tout aussi ridicule de diaboliser Kemi Seba que de le prendre pour un prophète.
C’est en 2005 que j’entends parler de lui pour la première fois. Il venait de claquer la porte du « Parti Kemite », un groupuscule identitaire noir, pour fonder un autre « la Tribu Ka ». A l’époque, je le trouvais fort instable, excessif, trop vindicatif, racialiste, bref très jeune (il avait 24 ans) mais possédant déjà ce qui ferait plus tard sa force : une fierté de nègre marron, une dignité de fils d’Afrique.
Contrairement à nombre d’intellectuels afro-descendants, l’autodidacte Kemi Seba a vite compris qu’il fallait travailler à détruire le complexe d’infériorité noir. Dans des sociétés structurellement racistes et négrophobes, telles les sociétés française et belge, le vernis républicain ou pseudo-antiraciste ne trompe que ceux qui veulent l’être. En réalité, une hiérarchisation raciale qui ne dit pas son nom demeure en vigueur et concentre systématiquement les citoyens noir-e-s dans les fonctions subalternes de vigiles, d’aides-soignants, de sportifs ou d’amuseurs professionnels et, partout ailleurs, les utilise comme alibis de « diversité » (milieux politique et médiatique, grandes entreprises, industrie cinématographique, etc.). Dans ce contexte précis, le complexe d’infériorité noire reste prégnant et se double souvent d’un long déni ou tabou à dépasser pour les concerné-e-s.
Si, dès la diffusion de ses premiers discours et polémiques, Kemi Seba a été suivi par nombre d’afro-descendants, c’est parce qu’il réveillait en eux cette dignité enfouie. Avec un recours, souvent excessif, à la notion de « virilité » mais ils et elles se sont reconnus dans cette exigence d’autonomie noire, la fierté de ses origines africaines, ce rejet total et déterminé de « la malédiction de Cham », soit ce précepte biblique judéo-chrétien postulant qu’avoir la peau noire serait un châtiment divin, le signe d’une sous-humanité destinée à connaître, pour l’éternité, l’exploitation, l’oppression et la servitude.
Pour autant, du point de vue de l’efficacité sociopolitique en France, la plupart des choix de Kemi Seba ont été des tâtonnements, des erreurs ou des fautes. Plus particulièrement ses alliances avec des organisations d’extrême-droite comme ses accointances commerciales avec le boutiquier néofasciste Alain Soral. A mon avis, Seba paye encore aujourd’hui ces dérives qui ont écorné son image.
Ce n’est que 7 ans plus tard, en 2012 à Dakar, que je décide de le rencontrer et de l’interviewer pour le site belge d’infos auquel je collaborais à l’époque. C’était amusant, nous avions chacun une idée préconçue et critique de l’autre. Il se méfiait d’un journaliste, même belgo-congolais. Pour ma part, je voulais savoir s’il avait vraiment renoncé aux positionnements et ambiguïtés racistes ou « ethno-différentialiste », pour reprendre un néologisme qu’il n’utilise plus aujourd’hui. Il a accepté ma sollicitation. J’ai alors découvert un activiste qui avait évolué en profondeur, qui affirmait rejeter toute forme de racisme et désirait ancrer ses combats dans la défense et l’émancipation des Africains via divers sujets de société et d’actualité internationale. Son emploi de chroniqueur, en radio et télé sénégalaises, lui ont aussi conféré une stature et permis de perfectionner ses aptitudes d’orateur. Malgré que notre entretien ne contienne rien d’illégal ou de diffamatoire, le site belge d’infos l’a censuré et refusé de le diffuser. Comme les autres médias auxquels je l’ai proposé…
Pour avoir vécu au Sénégal, j’ai constaté que l’environnement sénégalais a « amélioré » le strasbourgeois Kemi Seba. Il a trouvé en Teranga des personnes qui le comprenaient, avec lesquelles il pouvait travailler et qui le respectaient. Tandis qu’en France ne l’attendait qu’une oppression politique maximale, l’enchaînement de provocations stériles en réponse et certainement plusieurs séjours en prison. Le Sénégal et le panafricanisme ont en quelque sorte « sauvé » Kemi Seba. De ce point de vue-là, l’expulsion inique dont il est aujourd’hui victime est d’autant plus cruelle. J’espère qu’il pourra revenir à Dakar sinon en Afrique de l’Ouest.
Pour autant, cela ne me fait pas oublier certaines de ses « rechutes », comme en 2014 avec son étrange implication dans « l’affaire Binti Bangoura ». Du nom de cette mannequin franco-guinéenne harcelée durant des mois et agonie d’injures racistes par Alain Soral. Lors du procès, la jeune femme a reproché à Kemi Seba (auquel elle s’était confiée alors qu’elle était harcelée) de ne pas avoir dénoncé son tortionnaire virtuel, d’avoir joué une sorte de « double jeu » et tenté de protéger Soral. Le leader panafricain a été mis hors de cause par la justice française.
Néanmoins, sa volonté de ne pas condamner définitivement Soral voire de lui trouver des circonstances atténuantes, dans une affaire de sexisme négrophobe manifeste, en a déçu plus d’un-e. Je fus de ceux-là. Et je pressens que l’homme n’en a pas fini avec certaines dérives égocentriques ou vilement opportunistes. C’est son côté « diva » dont il ne parvient pas à se débarrasser. Pour le dire autrement, Kemi Seba possède un courage indéniable, une certaine authenticité militante mais il n’a pas encore entièrement démontré l’incorruptibilité dont il se réclame. Parce que, entre autres, il n’a toujours pas saisi que Soral et BHL sont les 2 faces d’une même pièce truquée.
CdV : Que pensez-vous de la façon dont la lutte contre le franc CFA est traitée en Afrique ?
O. M. : D’un point de vue médiatique, s’il y a des manques et des améliorations à apporter ici ou là, le dossier du CFA est globalement bien traité par la presse africaine, en ce compris sur le suivi de la lutte des activistes et intellectuels contre cette monnaie coloniale. Même l’hebdo, souvent critiquable, Jeune Afrique a publié il y a quelques jours une tribune sur « l’après-CFA » (7).
D’un point de vue politique, c’est évidemment autre chose. Comme je vous le disais, 2 présidents africains de la Zone CFA sur 15 se sont prononcés pour la fin de cette servitude monétaire. On peut estimer qu’ils tiennent enfin compte de leurs opinions publiques mais quelle est nature exacte de leur calculs pour s’accrocher au pouvoir ? Jusqu’où iront-ils pour défier la France et ses bases militaires implantées dans plusieurs pays de la zone CFA ? L’avenir nous le dira…
Il faut également se souvenir que le dernier président africain élu à s’être opposer au diktat de la France, c’est l’ivoirien Laurent Gbagbo. En 2011, celui-ci a été victime d’un coup d’Etat, piloté par la France avec la complicité de l’ONU, puis a été kidnappé pour être incarcéré à la Haye (Pays-Bas). Depuis 6 ans, il sort de sa cellule de temps à autre pour comparaître devant une Cour Pénale, aussi occidentale qu’ubuesque, qui ne parvient pas à fonder ni à démontrer les accusations de crimes et de massacres portées contre lui…
J’estime néanmoins, qu’à l’image de la plupart des dirigeants de pays d’Afrique de l’Ouest, trop de médias africains manquent cruellement de percussion critique à l’encontre de la « Françafrique » dont l’une des pierres angulaires est le CFA. Certes, ce n’est pas sans dangers, mais il s’agit ni plus ni moins du premier des enjeux pour l’Afrique francophone subsaharienne : achever enfin et complètement le processus de décolonisation.
Dans son dernier livre « La gloire des imposteurs », co-écrit avec la malienne Aminata Traoré, l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop n’est pas tendre envers cette « veulerie » des élites africaines, médias compris : « J’estime que les pays africains de l’espace anglophone ont tendance à beaucoup mieux se porter que nous… En tout cas, en ce qui concerne la question de la souveraineté qui ne se pose pas. Je le raconte dans notre livre, l’ex-ambassadeur de Grande-Bretagne au Sénégal m’a dit que pendant les sept ans où il a été en poste au Nigeria, s’il avait fait là-bas ce qu’il a vu l’ambassadeur de France faire dans notre pays, il n’en serait pas ressorti vivant… » (8).
CdV : Comment expliquez-vous qu’en 2017 le sujet du Franc CFA soit encore si peu et si mal traité dans les médias traditionnels français ?
O. M. : À nouveau, je pense que l’excellent Amzat Boukari explicite et résume parfaitement dans son dernier article la réponse à votre question. Permettez-moi de le citer à nouveau :
« Le contrôle de la monnaie CFA, notamment de son émission depuis les imprimeries de la Banque de France à Chamalières, permet à Paris de faire du chantage économique à tout régime qui ne suit pas sa politique. La menace d’une répression monétaire en bloquant également les réserves déposées par chaque pays dans les coffres du Trésor Français favorise un climat perpétuel de crise sociale en Afrique, climat propice à tout renversement de régime qui lèverait la voix contre ce système en favorisant justement l’utilisation des réserves monétaires pour mener une politique au service des populations.
La contrepartie est que la défense du franc CFA par les présidents africains adoubés par l’Elysée est en réalité un outil de corruption de la démocratie africaine […] La France n’a absolument pas renoncé à son projet colonial et la seule émergence possible pour lesdits pays est bien d’émerger du franc CFA. Ainsi, la déconnexion monétaire prendra le temps qu’il faut, sans doute avec de nouveaux dirigeants décomplexés, mais elle sera faite, et bien faite une fois pour toutes. »
Voilà les principales raisons pour lesquelles la plupart des citoyens Français ignorent ou n’ont jamais attendu évoquer sérieusement le franc CFA à travers l’information des médias qu’ils consomment. J’entends déjà certains confrères rétorquer : « C’est un sujet économique très complexe éloigné des préoccupations des Français », « Les experts économiques sont divisés sur le sujet » ; etc. C’est leur façon de masquer leur démission ainsi qu’un certain mépris pour le véritable exercice journalistique. Car, d’une part, d’autres confrères parviennent à traiter sérieusement le sujet (9) et, d’autre part, il s’agit d’une question éminemment politique et de justice qui intéresse autant les citoyens français que ceux d’Afrique francophone.
Il est aussi révélateur de constater que le seul candidat à la présidentielle 2017 qui s’est montré favorable à la fin du Franc CFA, c’est François Asselineau, président de l’UPR. Excepté le salutaire travail du Cercle des Volontaires (10), avez-vous vu ou entendu un seul journaliste l’interroger sur cette question ? La réponse est non. Concernant le franc CFA, si la pression populaire et citoyenne commence à devenir forte en Afrique de l’Ouest, en France, elle demeure de l’ordre du score obtenu par Asselineau au 1er tour de la présidentielle : 0, 9% …
Il y a indéniablement un consensus politico-médiatique français pour faire silence ou mal traiter cette question cruciale du franc CFA, une monnaie coloniale qui spolie et maintient dans la pauvreté les populations de 15 pays africains.
Propos recueillis par Nico Las (TDH) et Raphaël Berland
(1) : Vidéo de Malcom X
(2) : Article de La Nouvelle Tribune
(3) : Article de ByUs Média
(4) : Vidéo de Gainsbourg brûlant un billet de banque.
(5) : Vidéo de Jacques Chirac sur l’exploitation de l’Afrique par la France.
(6) : Reporters Sans Frontières, classement de la liberté de la presse dans le monde.
(7) : Article de Jeune Afrique.
(8) : Article de Montray Kreyol
(9) : Vidéo de France24 : Le Franc CFA est un outil de la servitude volontaire.
(10) : Interview de François Asselineau sur le Franc CFA
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