Pourquoi notre monde est-il en train de devenir fou ? Bernard Stiegler commet ici son livre fondamental sur les ressorts d'une société au bord de l'effondrement. Avec la connexion planétaire des ordinateurs, des smartphones et des foules que tout cela forme, les organisations sociales et les individus qui tentent de s'approprier l'évolution foudroyante de la technologie arrivent toujours trop tard. C'est ce que l'on appelle la disruption. Cette immense puissance installe un immense sentiment d impuissance qui rend fou. Dans la disruption, les organisations sociales se désintègrent. Or les individus psychiques ne peuvent pas vivre raisonnablement hors des processus d individuation collective qui forment les systèmes sociaux. Il résulte de cet état de fait un désordre mental qui incline au délire de mille manières sur un fond de désespoir où prolifèrent des types extraordinairement violents et meurtriers de folie. C'est ce dont la France découvre à présent la terrible réalité. Ces sombres évolutions radicalisent les contradictions de l'Anthropocène, où ne cesse de s'aggraver le retard structurel des systèmes sociaux sur le système technique qui, en les désintégrant, désinhibe systémiquement les pulsions. Avec la réticulation numérique, le système technique qui s est totalement planétarisé porte ainsi l'épreuve que Nietzsche annonçait sous le nom de nihilisme à son acmé. La disruption d un côté et la folie qu elle suscite de l'autre constituent deux formes de barbarie qui se nourrissent l'une l'autre ce que Theodor Adorno et Max Horkheimer virent venir dès 1944. La pensée de cet état de fait passe par une relecture de l'Histoire de la folie à l'âge classique de Michel Foucault, par une analyse des arguments que lui avait opposés Jacques Derrida, et par un dialogue avec Peter Sloterdijk décrivant l'histoire du capitalisme comme le déploiement d un immense processus de désinhibition organisant une « propension à la folie » (cf. Le palais de cristal). La question de la folie est l'épreuve de l'hybris, qui est toujours elle-même la conséquence de la technicité des êtres non-inhumains, et dont la disruption, comme dernière période de l'Anthropocène, est la radicalisation. Pour la première fois, le philosophe livre quelques éléments biographiques notamment sur ses années d'incarcération pour braquage pour alimenter son propos sur la prison comme vecteur de radicalisation et de haine. Un diagnostic d une très grande lucidité.
Source sonore : https://soundcloud.com/franceculture/...
Voir en ligne : http://www.agoravox.tv/IMG/jpg/Stiegler_Disruption.jpg
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