Comme nous l’avons vu dans le billet d’avant-hier, Les Décodeurs ont inventé une prétendue “Manipulation” de Marine Le Pen sur son graphique sur la production industrielle. Billet qui, en plus, comprenait des erreurs :
Ce qui confirme une chose montrée plusieurs fois ici depuis 2 mois : on constate parfois chez le Décodeurs un réel manque de soin dans le traitement des faits. Et qu’ils sélectionnent leurs faits à fact-checker principalement dans le vivier qui viendra conforter leurs avis et opinions politiques. On ne voit ainsi jamais chez eux une analyse qui montrera que, dans un cas donné, Marine Le Pen ou François Asselineau avaient raison, ou que Rudy Reichtadt avait tort…
Du coup, l’attitude des Décodeurs a été telle que, bien évidement, elle a été très facilement mise en exergue par Marine Le Pen, qui a ainsi pu montrer à ses électeurs qu’une telle attitude du Monde venait conforter ses analyses sur les médias et les journalistes…
I. La réponse de Marine Le Pen aux Décodeurs
C’est sûr que face à des personnes pareilles, Marine Le Pen joue sur du velours…
Et en effet, elle a soigneusement choisi ses mots, et il n’y a pour moi presque rien à redire sur cette réponse et sa méthodologie.
Dans sa prestation, on pouvait tiquer sur le fait qu’elle avait l’air de tout attribuer à l’euro, ce qui est excessif ; la mondialisation a eu aussi un effet. Mais parler “d’impact significatif” est assez évident.
Bref, “bravo” aux Décodeurs pour avoir ainsi aidé à la campagne de Mme Le Pen…
II. Pour les pas-matheux
Petits rappels, de nouveau. En présentant en base 100, on perd le niveau réel de la production industrielle (la France produit, elle, plus ou moins que l’Allemagne), mais on peut en revanche comparer très justement l’évolution desdites productions (où augmente-t-elle le plus vite ?). L’année de la Base 100 ne change rien au calcul, c’est juste une commodité de présentation, ou bien un zoom qu’on souhaite faire sur une date donnée. Changer d’année revient en gros à “glisser” verticalement des courbes identiques pour le superposer différemment.
Bref, quand on veut comparer l’impact (impact possible, il faut un peu de recul dans l’analyse pour voir s’il y a causalité ou simple corrélation) de l’euro, on doit en effet faire ce graphique en base 2001 :
Si on prend une base 2010, eh bien ça ne change rien à l’analyse, évidement ! (ce sont quasiment les mêmes courbes)
Si ça les amuse, je peux prendre aussi une base 1975 (on passe d’une année à l’autre en multipliant tout par le même chiffre):
Comme il y a trop de courbes, gardons la France et l’Italie, les plus impactées :
Et pour les journalistes, voici la France seule (avec un lissage glissant 3 ans) :
(comme ça semble complexe, je vous ai mis une courbe de tendance polynomiale de degré 6, pour bien représenter la courbe, formule jointe)
Alors autant on peut discuter de la part exacte de l’euro là-dedans, autant ça semble incroyable de refuser le fait que le maximum historique de la production industrielle française ET italienne soit en 2000.
“Post-vérité” qu’ils disaient ?
III. Quand l’Obs manipule vraiment le graphique !
On découvre alors un article de L’Obs-Rue89 sur ce sujet, qui contient de choses très intéressantes. Mais on découvre aussi, hélas, que pour le coup il manipule vraiment le graphique lui ! Le titre de l’article était neutre :
Au prétexte de passer en base 2010 (si ça les amuse…), ils mettent ça :
Et là pour le coup, en coupant l’historique avant 2000, on ne perçoit plus du tout la cassure de l’euro évidement !
Les explications données sont en revanche intéressantes :
mais ils précisent bien :
Ben oui : l’Allemagne a entubé ses voisins sans en payer le prix à cause de l’euro…
Après, on a le rêve classique (on pourrait tous êtres gentils ! Et les Allemands pourraient donner de l’argent aux autres…) :
Tu m’étonnes ! On a vu le progrès de coopération en 18 ans…
IV. Quand Europe 1 déraille
Et alors Europe 1 est parti dans les affabulations, par la plume de la journaliste Amandine Réaux.
Cela faisait suite au passage de Marine Le Pen chez Bourdin qui l’a allumée là-dessus :
C’est quand même affolant d’en arriver à inventer des trucs pareils !
Ah, un mot sur la journaliste rédactrice, Amandine Réaux (Source) :
On comprend mieux : on a désormais confié notre information à des post-ados de 25 ans, dont 10 % du vocabulaire est constitué des mots : Fake News, Intox, Décodeurs, manipulation, complotisme, fact-checking, post vérité et “bouh on n’aime pas les journalistes”… Et qui se pensent capables de traiter sans problème de n’importe quel sujet sans le connaître.
Alors que, justement, le GROS problème actuel, ce n’est pas les FAKE NEWS, mais les FAKE JOURNALISTS qui ont évidemment perdu la confiance du public ! Et ce n’est pas près de s’arranger, vu qu’ils continuent à faire exactement les mêmes erreurs que leurs confrères américains avant l’élection de Trump…
V. Quand les Décodeurs en remettent une (mauvaise) couche
Bonne nouvelle, les Décodeurs ont corrigé leur article !
Mauvaise nouvelle, ils n’y ont pas corrigé leurs erreurs (comme on l’a vu plusieurs fois) !
On voit qu’ils ont rajouté une phrase, mais ils n’ont pas corrigé le graphique erroné…
Pas plus qu’ils n’ont corrigé leur phrase sur la croissance après 2002…
Et ils se contentent de rajouter fièrement le passage sur les “réformes en profondeur” (ils ont oublié le classique “nécessaires”), alors que, comme Rue89 l’a rappelé, ça a marché entre autres parce que leur monnaie ne s’est pas appréciée… Donc grâce à l’euro…
N.B. au passage, on voit que, quand ça les arrange, les Décodeurs ne trouvent pas que la base 100 est manipulatoire… (Sources ici et là)
VI. Et l’euro dans tout ça ?
Ce sujet “euro” est d’une tristesse intellectuelle… Comment n’aurait-il pas eu un sombre impact puisqu’on a coupé le mécanisme automatique d’ajustement de compétitivités entre notre pays et notre voisin plus productif que nous : la dépréciation monétaire ! Je vous remets au passage l’évolution de différentes monnaies face au mark à partir de 1970 :
Comment imaginer qu’on va tout figer et qu’il n’y aura pas de conséquences ?
Comment peut-on refuser de tenir compte de tant de grands économistes qui disent que ce projet a échoué et qu’il est désormais dangereux ?
Dès 1993, Paul Krugman prévenait dans cet article qui a fait date, que la Monnaie Unique européenne (EMU) en diminuant les coûts de transaction entre pays, allait fatalement conduire à une spécialisation des pays européens sur le modèle des Etat américains (les entreprises se regroupant en cherchant des économies d’échelle n’ayant plus à gérer les risques de change) :
Je cite de nouveau ces analyses prophétiques de 2006 de Milton Friedman (comme quoi, on balaye large…) : ici et ici – il avait compris que l’économie, c’est d’abord de la politique…
On citera aussi ce papier de 2012 tout en clarté de Martin Feldstein sur la distorsion (à la baisse) des taux d’intérêt pour les pays d’Europe du Sud de 2001 à 2008 par la création de l’euro, entraînant ces derniers à développer les activités qui accompagnent très souvent les booms de crédit (non-exportable, immobilier et services) (N.B. : si des pros ont des références de ce type de grands économistes, merci de les indiquer en commentaire)
Ou encore Joseph Stiglitz…
L’article précédent de Rue89 dit aussi :
C’est sûr que ça a été génial pour des crises d’endettement, sans fin, et pour des crises de compétitivité sur les salaires au lieu des monnaies… On économise 10 € de change quand on va en Grèce. Mais il a fallu prêter 250 Md€ à la Grèce… Bien joué !
Pour le dernier point, Généreux me semble moins affirmatif, quand je lis la source indiquée dans l’article Rue89 :
Il parlait de l’euro ou du rapprochement politique ?
Enfin, comme l’a indiqué un commentateur :Avant 1992, les Yougoslaves pouvaient dire fièrement (et crétinement) “le dinar yougoslave est un élément, parmi d’autres, qui font qu’il ne peut plus y avoir de guerre en Yougoslavie”…
Bref, on voit en conclusion qu’on a des journalistes prêts à tout (quitte à nous sacrifier) pour ne pas admettre les lourdes erreurs lors de la création de l’euro, tous les problèmes ayant été minimisés à l’époque par la presse pour faire voter oui à Maastricht.
Ils se servent pour cela de Marine Le Pen, “bien pratique pour ne pas argumenter” comme dirait Amandine Réaux…
Et donc, dans un style si “années Staline”, on sent tous ces “fake journalists” tout à fait prêts, si Marine le Pen disait que l’eau ça mouille, à la fact-checker pour montrer qu’en fait, l’eau est sèche…