Un homme neuf, une France en marche !

En 1965 se déroule en France la première élection présidentielle au suffrage universel direct. Les Français avant le début de la campagne n'avaient d'yeux que pour leurs deux monstres sacrés de la politique : Charles De Gaulle le favoris et François Mitterrand l'outsider. Mais un certain Jean Lecanuet, un obscur secrétaire d'Etat sous l'IVe République, inconnu de 83% des Français, relève le défi de les affronter et crée la surprise : crédité de 3% des intentions de vote à son entrée en campagne le 19 octobre, il remportera pourtant 15,78% des voix au premier tour, organisé le 5 décembre. Si De Gaulle ne gagne pas dès le premier tour et est contraint d'affronter Mitterrand au second, c'est à cause de lui. Pro-européen, atlantiste, centriste et réformateur, il dénonce la France gaulliste fossilisée. Cependant, ce ne sont pas ses convictions qui séduisent les Français mais sa campagne électorale moderne. Son slogan : « Un homme neuf, une France en marche » ! Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Sa campagne électorale, il la doit à des conseillers avisés dont le plus important était incontestablement le publicitaire Michel Bongrand qui s'était déjà rendu célèbre en commercialisant en France les produits James Bond et qui deviendra le pionnier du marketing politique en France . Ce gaulliste historique proposa d'abord ses services à l'entourage de Charles de Gaulle mais le président de la République en exercice ne voulait pas se rabaisser à faire campagne, refusant même au début d'utiliser son temps de parole à la télévision avant d'y recourir face à la baisse des intentions de vote en sa faveur. Michel Bongrand se tourna alors vers Jean Lecanuet qui l'engagea. Les gaullistes, qui avaient pourtant moqué le lancement du candidat Lecanuet « comme une savonnette » vont vite déchanter. Spectateur impressionné par la campagne présidentielle de John Kennedy en 1960 aux États-Unis, Michel Bongrand eut l'idée d'en importer en France les mêmes méthodes, et a compris l'importance du rôle du nouveau média de l'époque qui s'implante dans les campagnes : la télévision. Plus que n'importe quel autre candidat, son poulain qui apprend très vite, soigne particulièrement ses interventions télévisées. Tous les détails sont minutieusement étudiés pour donner à Jean Lecanuet l'image d'une figure complètement nouvelle, ce qui n'est pas bien difficile : il est jeune, beau et brillant orateur. Dans un style bien différent de celui de Charles de Gaulle ou de François Mitterrand, qui, eux, lunettes sur le nez, continuaient de lire leur texte, il crève l'écran de la télévision et aime s'y rendre pour y afficher son large sourire et s'autoproclamer « réformateur ». « Je suis Jean Lecanuet, j'ai 45 ans, c'est l'âge des responsables des grandes nations modernes. » Michel Bongrand choisit de n'inviter que 500 personnes dans une salle de 3000 lors du premier meeting puis d'augmenter progressivement le nombre d'invités dans les salles pour donner l'impression d'une dynamique en faveur de son candidat surnommé pour l'occasion le « Kennedy français ». Aux meetings, les spectateurs étaient accueillis par des jeunes filles très souriantes. Ils recevaient des produits dérivés Lecanuet, des foulards, des stylos, des porte-clés. Les méthodes étaient tout à fait nouvelles pour l'époque : affiches, musiques, fanfares, ballons, majorettes. Le procédé est formidable, Lecanuet gagnait ses meetings alors qu'il n'était pas encore entré dans la salle. Ce n'est plus un homme, c'est une mécanique comme n'importe quelle vedette de cinéma ou de chanson. La salle hurle. Il monte à la tribune, les deux mains au-dessus de sa tête comme un boxeur. Ensuite, il peut dire n'importe quoi, de toute manière il est acclamé. La « Lecanuet mania » a beaucoup de similitudes avec la « Macron mania » malgré les années qui les séparent. Cependant les critiques de Michel Bongrand sur le marketing politique moderne devraient nous mettre la puce à l'oreille sur une différence fondamentale entre la campagne électorale qu'il a initiée et celles d'aujourd'hui. Ce Bernays français décédé en 2014 faisait une distinction entre le marketing politique (les méthodes du marketing au service des hommes et des idées) et le marketing politicien (les méthodes du marketing utilisé pour fabriquer un produit politique sans aucune substance). Le marketing politique serait l'outil qui permet aux candidats de servir leurs convictions auprès de leur électorat alors que le marketing politicien en serait une dérive dangereuse forçant l'image à tout prix, utilisant sans nuance les médias, cherchant à faire de l'homme politique une star à l'égard de celles des peoples du showbiz. Pour Michel Bongrand, l'attaché de presse a trop remplacé le « conseil politique ». Le message politique du candidat dépendrait de nos jours trop des sondages, du jour et de sa mise en scène par les médias. Il ira jusqu'à décrire l'existence d'une sondocratie qui serait couplée à une médiacratie, la seconde multipliant les effets négatifs de la première.Sans commentaires. Sources : Beforeclass EJCAM Public Sénat CNEWS « 1965, la communication de Lecanuet met De Gaulle en balotage », Slate. « Emmanuel Macron, la réincarnation de Jean Lecanuet », Le point « Dynamique Macron, une réédition de la campagne Jean Lecanuet de 1956 ? », atlantico.
Voir en ligne : http://www.agoravox.tv/IMG/jpg/macron-revolution-en-marche.jpg

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