Maître Thibault de Montbrial, avocat au Barreau de Paris, est aujourd'hui une présence incontournable dans le domaine de la défense des victimes de crimes ou de délits, des professionnels de la sécurité (publique et privée), ainsi que dans la défense des intérêts des personnes contraintes à recourir à la légitime défense. Lors de son intervention lors du colloque de l'institut pour la Justice, Maître Thibault de Montbrial explique la notion de légitime défense et la perception qu'en ont les autorités françaises. Un exposé sans langue de bois, riche d'informations et passionnant à écouter. Définition Maître Thibault de Montbrial définit la légitime défense comme l'acte qui consiste à accomplir des actes physiques de défense de sa personne ou d'autrui, face à une atteinte à l'intégrité physique qui doit elle-même être illégitime (la légitime défense est impossible contre une interpellation menée par des policiers par exemple). L'acte de défense sera légitime si son auteur peut démontrer qu'il était : 1) Immédiat : la riposte doit survenir dans le temps d'exposition à un risque non pas éventuel mais bien réel et immédiat. Il n'a évidemment rien à voir avec la justice privée ou la vengeance, qui impliquent une violence exercée postérieurement à une agression, et qui est bien entendu illégale. 2) Nécessaire : la riposte doit être l'unique moyen de repousser l'agression et d'y mettre fin 3) Proportionné : il doit exister une balance entre la nature de l'agression et les moyens utilisés pour y mettre fin. Sources philosophiques Lorsque les premières sociétés se sont constituées, les individus qui les ont rejoints n'ont accepté de s'y regrouper que contre la garantie que le groupe allait assurer la sécurité de chacun de ses membres explique Maître Thibault de Montbrial. "La sécurité est considérée comme l'objet même de l'engagement en société" relève par exemple Marcel Gauchet, qui cite à cet égard de nombreux philosophes du droit tels que Thomas Hobbs, Jean-Jacques Rousseau ou encore John Locke. Ainsi s'il devait arriver que l'Etat, parce qu'il est évidemment dans l'incapacité factuelle de placer un policier à tous les coins de rue, se trouve empêché de satisfaire à son obligation de protection des personnes et des biens ainsi déléguée par les citoyens, le principe de légitime défense permet alors à ceux-ci de reprendre ponctuellement cette délégation et de recouvrer leurs droits à se défendre par eux-mêmes le temps que la menace cesse, ou que la force publique accoure. La plus belle synthèse juridico-philosophique sur la question de la légitime défense reste a ses yeux celle de Cicéron : "Il est en effet une loi non écrite, mais innée ; une loi que nous n'avons pas apprise de nos maitres, ni reçue de nos pères, ni étudiée dans nos livres : nous la tenons de la nature même ; nous l'avons puisée dans son sein ; c'est elle qui nous l'a inspirée : ni les leçons ni les préceptes ne nous ont instruits à la pratiquer, nous l'observons par sentiment ; nos âmes en sont pénétrées.Cette loi dit que tout moyen est honnête pour sauver nos jours lorsqu'ils sont exposés aux attaques et aux poignards d'un brigand et d'un ennemi : car les lois se taisent au milieu des armes ; elles n'ordonnent pas qu'on les attendent, lorsque celui qui les attendraient serait la victime d'une violence avant qu'elles pussent lui prêter une juste assistance". Maître Thibault de Montbrial nous apprend en outre qu' en 1789, le Comte de Mirabeau avait proposé au comité de rédaction de la Déclaration des Droits de l'Homme, d'y insérer l'article suivant : « Tout citoyen a le droit d'avoir chez lui des armes et de s'en servir, soit pour la défense commune, soit pour sa propre défense, contre toute agression illégale qui mettrait en péril la vie, les membres ou la liberté d'un ou plusieurs citoyens ». Et, si le « comité des cinq » a refusé d'intégrer cet article, ce n'est pas en raison d'un prétendu risque pour l'ordre public mais au contraire parce qu'il a été considéré à l'unanimité qu'un tel rappel était inutile puisque « le droit déclaré dans l'article non retenu est évident de sa nature, et l'un des principaux garants de la liberté politique et civile ». Considération déviante sur la légitime défense de l'institution judiciaire française Selon Maître Thibault de Montbrial, des décalages apparaissent systématiquement entre la théorie et la pratique, entre la situation critique vécue par la victime, et la lecture de cette situation par l'institution judiciaire. Ce décalage lui paraît reposer sur : 1) La méconnaissance des réalités technico-tactiques des situations de violence par de trop nombreux magistrats : L'appréciation des magistrats dépend de leur bonne connaissance concrète des situations de violence. Thibault de Montbrial se dit extrêmement frappé par la médiocrité des connaissances des magistrats, et même de certains experts judiciaires, de tout ce qui a trait à ce que par ailleurs on appelle "le combat". En effet, un crime ou un délit violent n'est rien d'autre qu'une action de combat dont le fondement est contraire à la loi. Notre société connait la paix depuis maintenant 70 ans. Ce constat pour le moins heureux induit néanmoins quelques effets dont il faut avoir la lucidité de prendre conscience : générations après générations, nos citoyens et donc ceux qui composent nos institutions ont perdu l'habitude des considérations relatives à la violence physique. Le retour observé depuis quelques temps d'une délinquance hyper violente, armée, déterminée et imprévisible se heurte donc à un décalage dans la perception qu'en ont les institutions politiques, administratives et judiciaires, tant dans l'analyse que dans le traitement. 2) La trop grande méconnaissance psychologique de l'exposition au risque de mort imminente par les magistrats : L'autre grande lacune de l'appréhension des situations de violence par les magistrats, concerne selon lui, les conséquences psychologiques de l'effroi subi par celui qui se trouve soudain confronté à une expérience de mort imminente. En l'état actuel du droit positif français, il est exigé d'une personne de bonne foi, qui s'est soudain trouver exposée à un péril vital dans un état de stress extrême, d'être en mesure de justifier quart de seconde par quart de seconde de la légitimité de ses actes. 3) Le troisième facteur est inhérent au fonctionnement de notre système judiciaire, qui préfère que chacun reste à sa place. La "rébellion" que constitue le fait pour une victime de ne pas accepter son sort et d'utiliser à son tour la violence perturbe dans la pratique le "bon agencement des choses" tel que l'ensemble de notre système judiciaire l'organise. Il y a une réticence certaine de l'ensemble des acteurs judiciaires mais aussi politiques à envisager que les gens puissent ne pas subir ce qui leur arrive. Actuellement, les autorités en France préféreront toujours une victime affligée dans son malheur auprès de laquelle ils pourront délivrer les paroles de circonstances plutôt que des gens qui prennent leur survie en main. Conclusion Thibault de Montbrial milite pour l'appréhension d'une notion réaliste "de la durée globale de l'action" pour apprécier l'immédiateté de la menace, et sortir de cette exigence actuelle absurde qui consiste à demander à une personnes de bonne foi qui s'est soudain trouvé face à un péril vital dans un état de stress extrême, d'être en mesure de justifier froidement quart de seconde par quart de seconde, la légitimité de ses actes. Et s'il n'est évidemment pas question de déroger au principe de proportionnalité en ripostant par une violence excessive à une atteinte mineure, il n'est à l'inverse pas sérieux d'exiger une pleine mesure de la part d'un honnête citoyen qui se retrouve exposé seul ou avec sa famille à un risque criminel immédiat de violence très grave (meurtre, viol…). Il s'agit selon lui de bon sens et les visions angéliques ou pires dogmatiques, ne changeront pas la réalité : le voyou prend son risque en connaissance de cause, il choisit le lieu, le moment et les moyens de son forfait. En face, celui qui est contraint de se défendre ne saurait sérieusement se voir plus maltraité par le système judiciaire que son agresseur. Imputer une prétendue dérive à ceux qui se défendent, et non pas à ceux qui multiplient les crimes avec des armes de plus en plus sophistiquées, relève d'une confusion entre la cause et la conséquence et constitue un signe extrêmement inquiétant quant à la capacité de nos élites à analyser les réalités, et quant à la vision qui est la leur de l'ordre social. Source : Institut Pour La Justice IPJ
Voir en ligne : http://www.agoravox.tv/IMG/jpg/de-montbrial-legitime-defencse.jpg
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