Partager0Partager0Partager0Mail0Le Brésil connaît une forte instabilité politique depuis maintenant deux ans que l’opération « Lava Jato » (opération Karcher ou CarWash selon les journaux français) a commencé. Cette vaste enquête impliquant des caciques du monde politique a mené à la suspension du Premier Ministre Dilma Rousseff, à la démission de plusieurs personnalités politiques éclaboussées par le scandale (dont Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés) et à de nombreuses mises en examen.
Conformément à la constitution et dans le cadre de l’impeachment, le vice-président Michel Temer a donc remplacé Dilma Rousseff, suspendue pour une durée de 6 mois en attendant un éventuel procès. Outre le fait que M. Temer soit extrêmement impopulaire (seulement 1 % à 2 % d’intentions de vote en cas d’élections anticipées), celui-ci fait face à une contestation croissante de sa légitimité, ses premiers actes en tant que nouveau chef de gouvernement ont provoqué de violentes polémiques dont on n’a étrangement pas entendu parler en France.
Huit personnes mises en examen dans le nouveau gouvernement
On se souvient encore des milliers de personnes rassemblées dans les rues exprimant avec force des slogans contre la corruption et pensant que l’éviction de Rousseff engendrerait une « purification » du système politique vermoulu. Force est de constater que ces personnes ont été pour le moins naïves puisque huit ministres du nouveau gouvernement font l’objet d’une enquête dans le cadre du Lava Jato, ce qui procède d’une belle ironie puisqu’il s’agissait bien de sortir les politiques véreux du système et non pas de les faire entrer dans le nouveau gouvernement.
Un gouvernement d’hommes blancs
Composé de 23 ministres, le gouvernement élaboré par Michel Temer réussit l’exploit de ne compter aucune femme (ce qui n’était pas arrivé depuis le gouvernement Ernesto Geisel de 1974 à 1979 durant la dictature) et aucune personne de couleur dans un pays ou les métis et les Afro-brésiliens représentent tout de même plus de 50 % de la population. D’autre part, la moitié de l’équipe présidentielle est composé d’ex-ministres « recyclés » .
La suppression du ministère de la culture
Lors de la composition de son gouvernement, Michel Temer a décidé de fusionner certains ministères pour diminuer les dépenses. La fusion du ministère de la Culture avec le ministère de l’Éducation a provoqué un véritable tollé. Durant cet épisode, Temer déjà peu populaire s’est aliéné un peu plus les artistes qui lui demandent de « dégager » lors de leurs apparitions publiques (« fora Temer ») ou qui l’accusent de despotisme lors d’évènements internationaux comme dernièrement au festival de Cannes. Le gouvernement a été obligé de reculer une première fois en annonçant la création d’un secrétariat national de la culture et une deuxième fois en annulant la suppression du ministère.
L’OPA du gouvernement sur la nomination du Procureur Général
Au Brésil, la Cour Suprême propose une liste de 3 noms (lista tríplice) au Gouvernement. Le Parti des travailleurs, précédemment au pouvoir, avait adopté une pratique visant à choisir systématiquement le premier nom proposé pour garantir l’indépendance du magistrat. Le nouveau ministre de la justice a indiqué vouloir abandonner cette pratique. Face à la controverse, Temer a été obligé de désavouer publiquement son ministre.
Les tentatives avortées de démembrement du système social
Le ministre de la Ville, Bruno Araújo a pris des mesures pour geler ce programme social visant à l’accession à la propriété pour les pauvres, notamment en suspendant du jour au lendemain la construction de 11250 logements. Il a par la suite déclaré renoncer à la construction de 2 millions de logements promis par le gouvernement Rousseff d’ici à 2018, ce qui fut révélé dans un reportage télévisé. Face à la contestation, celui-ci a dû édulcorer ses propos.
Dans la même veine, le ministre de la Santé a déclaré que le pays ne pouvait plus maintenir les droits sociaux garantis par la constitution et qu’il fallait notamment « couper dans les retraites ou dans les dépenses de la sécurité sociale (SUS : Sistema Único de Saúde). Il a depuis lui aussi reculé et affirmé ne pas vouloir « redimensionner le SUS »
Une hostilité croissante des pays étrangers au nouveau gouvernement
Le président uruguayen a été le premier à prendre position en déclarant ne pas vouloir avoir de contacts avec le nouveau gouvernement du Brésil. Les principaux pays d’Amérique Latine ont depuis manifesté leur hostilité face à ce qu’ils nomment un gouvernement de putsch. En Bolivie, Evo Morales a parlé de coup d’État, le président équatorien de « nouveau plan Condor », le gouvernement chilien se dit préoccupé par cette éviction, d’autres pays tels que le Venezuela, le Nicaragua ou encore Salvador ont protesté contre ce « coup d’État ».
La contestation a désormais dépassé les frontières du continent, la Chine et la Russie évoquent une intervention étrangère inacceptable. Même la Maison Blanche dont le rôle dans ces évènements est pour le moins trouble a pris ses distances en déclarant ne pas encore avoir l’intention de contacter le nouveau président brésilien.
Des écoutes révèlent que la présidente a été écartée pour des raisons politiques
Le journal Folha de São Paulo a mis le feu aux poudres en révélant des écoutes entre le ministre de la planification, Romero Jucá (proche du président Temer) et Sergio Machado, ancien président d’une filiale de Petrobras. Jucá y évoque « un pacte national » pour stopper l’opération CarWash qui mettrait en danger la classe politique et affirme que « le gouvernement doit changer pour faire cesser cette hémorragie ». Le scandale est tel que même la presse française en a parlé, elle qui n’a pourtant pas jugé utile de reprendre les controverses citées plus haut.
Laurent Antoniou
Cet article Brésil : les polémiques viendront-elles à bout du nouveau gouvernement ? est apparu en premier sur Cercle des Volontaires.