Source : London Review of Books, Seymour M. Hersh, 24-01-2019
Seymour M.Hersh
Quand George H.W. Bush, alors vice président est arrivé à Washington en janvier 1981, il ne paraissait guère plus qu’un personnage de second plan par rapport à Ronald Reagan, l’ancienne vedette qui avait été élu de façon écrasante sur la plus grande scène du monde. Il faudrait écrire biographie sur biographie, toutes peu concluantes pour essayer de combler les nombreuses lacunes concernant les deux mandats de Reagan en ce qui concerne son sens politique apparemment aigu, et la facilité avec laquelle il a semblé gérer la présidence. On a toujours considéré Bush comme un politicien prudent qui suivait les pas de son brillant prédécesseur – peut être parce qu’il imaginait que sa récompense serait d’avoir la voie libre vers l’élection présidentielle de 1988. Il serait le premier ancien directeur de la CIA à atteindre le sommet.
Il existait une autre image de Bush : celle des militaires et des professionnels civils qui travaillaient pour lui sur les questions de sécurité nationale. Contrairement au président [Reagan], il savait exactement ce qu’il se passait et comment faire avancer les choses. Pour eux, Reagan était « un simplet » qui ne comprenait rien, et n’essayait même pas de comprendre. Un ancien haut fonctionnaire du bureau de la gestion et du budget [OMB] m’a décrit le président comme « flemmard, juste flemmard ». Reagan, a expliqué le fonctionnaire, insistait pour qu’on lui présente un résumé en trois lignes des décisions budgétaires importantes, et l’OMB en a conclu que la façon la plus facile de s’en sortir était de lui présenter trois chiffres – un très élevé, un très bas et un entre les deux – que Reagan approuvait systématiquement. Plus tard, on m’a dit qu’au sein de la Maison-Blanche, on appelait ce procédé « l’option Boucle d’or ». Les estimations complexes du renseignement l’ennuyaient. Toujours courtois et aimable, il griffonnait pendant les séances d’information sur la sécurité nationale ou bien, tout simplement, n’écoutait pas. Il aurait été alors naturel de se tourner plutôt vers le directeur de la CIA, mais c’était William Casey, ancien homme d’affaires et assistant de Nixon dont la nomination par Reagan en récompense pour sa gestion de la campagne électorale de 1980 avait été très controversée. Selon les professionnels du renseignement travaillant avec l’exécutif, Casey était imprudent, mal informé et bien trop bavard avec la presse.
Bush était différent : il comprenait les choses. Sous sa direction, une équipe d’agents militaires a été mise sur pied qui a contourné l’establishment de la sécurité nationale – y compris la CIA – et n’était aucunement soumise au contrôle du Congrès. Elle était dirigée par le Vice-amiral Arthur Moreau, brillant officier de marine connu sous le nom de « M » par les gens du premier cercle. Plus récemment, en tant que chef adjoint des opérations navales, il avait participé à l’élaboration de la nouvelle stratégie maritime des États-Unis, qui visait à restreindre la liberté de mouvement de l’Union soviétique. En mai 1983, il a été promu au rang d’assistant du chef d’état-major interarmées, le Général John Vessey, et au cours des deux années suivantes, il a supervisé une équipe secrète – opérant en partie à partir du bureau de Daniel Murphy, le Chef de Cabinet de Bush – qui a mené en secret au moins 35 opérations clandestines contre le trafic de drogue, le terrorisme et, surtout, a perçu l’expansionnisme soviétique dans plus de vingt pays, dont le Pérou, le Honduras, le Guatemala, le Brésil, l’Argentine, la Libye, le Sénégal, le Tchad, l’Algérie, la Tunisie, le Congo, le Kenya, l’Égypte, le Yémen, la Syrie, la Hongrie, l’Allemagne de l’Est, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Géorgie et le Vietnam.Lire la suite
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