France Télévision diffusait ce mardi la première émission de la saison 4 de Cash Investigation.
L’émission d’investigation phare de France Télévision a enquêté sur l’industrie chimique mondiale avec un titre anxiogène : « Produits chimiques : nos enfants en danger »
(disponible en replay ici)
Quoi de plus insupportable en effet que d’imaginer nos enfants victimes des produits chimiques nocifs ! Pour autant, ce danger, quoique plus sévère pour nos jeunes têtes blondes, est bien évidemment une préoccupation globale, concernant chacun d’entre nous, et aussi bien répandue à l’échelle planétaire, que dans le temps, depuis des décennies d’inaction des pouvoirs publics.
Retour sur cette émission… et ce scandale !
Le documentaire
En utilisant les techniques éprouvées lors des précédentes émissions, Martin Boudot, qui signe ce documentaire, et Elise Lucet (ancienne présentatrice du JT de 13h et de l’émission « Pièces à Conviction » sur France Télévision) vont de séquences choc en séquences choc. De l’assemblée générale de la société Bayer, à celle de Syngenta, en passant par l’intrusion dans un restaurant lors d’un repas de lobbying, Martin et Elise n’ont pas économisé leurs efforts.
Marque de fabrique de l’émission, ces happenings trouvent malgré tout leur limite. Très télégéniques, ces interventions sont en général tellement clivantes qu’elles ne permettent pas d’aller au fond des choses. Reste que derrière ces effets de manche, la dénonciation est là. Et le moins que l’on puisse dire est que pour une fois, on ne pourra reprocher à nos journalistes globetrotteurs de s’attaquer aux lampistes. Il est à noter aussi le souci constant de l’équipe de Cash Investigation d’étayer ses propos par des données factuelles précisément chiffrées et le témoignage de nombreux scientifiques de référence.
Plusieurs séquences ont tout particulièrement retenu notre attention.
La première dévoile l’analyse des cheveux d’enfants soumis, au sein même de leur école, aux effets collatéraux d’épandages agricoles. Le résultat parle de lui-même avec des doses hors normes retrouvées pour des dizaines de produits chimiques cancérigènes ou mutagènes.
La seconde nous emmène sur la charmante île d’Hawaï devenue le sanctuaire des géants de l’industrie chimique. Les effets (notamment de malformations) y sont de plus en plus préoccupants sur une population abandonnée à son sort. Dans les deux cas, le même constat, l’impuissance totale des citoyens face aux industriels et aux intérêts en jeu.
La troisième séquence enfin nous montre les notes internes de la société Syngenta lancée dans une attaque ad hominen à l’encontre de Tyrone Hayes, un scientifique américain un peu trop regardant sur leurs affaires. Seront ainsi envisagés une campagne de calomnie à son encontre, la proposition de financements illimités (pour l’acheter), l’enregistrement pirate de son téléphone, une enquête sur sa femme, des pressions faites sur son université ou encore le référencement de son nom sur Google pour nuire à son image.
Rien que ça…
Les sociétés impliquées dans ce scandale
Six sociétés s’imposent comme les mastodontes de ce funeste marché ! Parmi ces « big six », Bayer, BASF et Monsanto sont probablement les plus connues du grand public. Elles portent également la responsabilité de lourds passés.
En 1942, Bayer et BASF ne formaient qu’une seule et même société, de sinistre mémoire, sous le nom d’IG-Farben. Il ne s’agissait rien d’autre que de l’entreprise en charge de la production du Zyklon-B utilisé dans les camps de concentration.
Quelques années plus tard, Monsanto, lui, fabriquait l’Agent Orange que l’armée américaine épandait sur le territoire vietnamien dans le but officiel de le défolier pour faciliter les opérations militaires. Quiconque a vu les photos de malformations d’enfants vietnamiens après guerre peut imaginer le danger de ces produits. Pas les dirigeants de Monsanto ! Eux décidèrent de recycler leur industrie militaire en produit « grand public » ! Le Round Up était né !
Monsanto est également connu pour s’être lancé dans un travail planétaire de brevetage du vivant, dans l’industrie terrifiante des OGM et bien sur, dans la production des semences stériles (les fameux « hybrides F1 ») pour mieux contrôler la production agricole mondiale. Tout un programme…
Le positionnement de ces sociétés mortifères est d’autant plus abject qu’elles se présentent toujours sous le jour bien plus positif de sociétés paramédicales œuvrant pour le bien de l’Humanité.
Que faire après cette prise de conscience ?
Derrière la dénonciation, on pourra regretter que les alternatives soient un peu les oubliées du documentaire. Au delà du constat, très préoccupant (c’est un euphémisme), certains spectateurs pourraient rester sur leur faim en se demandant « et on fait quoi maintenant ? ».
Nous ne saurions alors que leur conseiller d’aller voir Demain, l’excellent documentaire de Cyril Dion, qui aborde lui ce vaste sujet des alternatives. Nous vous proposons également ici une vidéo riche d’enseignements sur le pouvoir de la nature à s’épanouir seule, sans engrais ni pesticides.
Un autre regret. Que des personnalités comme Lydia et Claude Bourguignon, que nous avions eu le plaisir de recevoir dans notre Diner du Cercle n°5 sur la microbiologie des sols, n’aient pas été interviewées sur ce sujet.
Nous vous proposons donc de revoir ici, et là, deux vidéos extraordinaires de Claude Bourguignon, qui devraient vous donner envie de visionner les très nombreuses autres heures de ses conférences disponibles sur internet.
Quoi qu’il en soit, informer les citoyens français par ce genre de documentaire est la condition sine qua non au changement. Sans information, pas de prise de conscience. Sans prise de conscience totale de la population, aucun homme courageux et animé d’une vraie volonté de changement n’accédera jamais aux fonctions électives. Et sans cela, les pouvoirs publics ne s’attaqueront jamais de front à ces scandales.
Le travail audacieux de Premières Lignes
Ce documentaire est signé par Martin Boudot. Devenu célèbre bien malgré lui pour avoir filmé, avec son téléphone portable, la sortie des frères Kouachi des locaux de Charlie Hebdo depuis les toits surplombant l’allée Verte, Martin Boudot affirme sa patte et son petit côté « empêcheur de tourner en rond ».
Derrière lui, c’est une fois de plus la boite de production Premières Lignes, qui nous propose ce documentaire. La société s’illustre donc par deux fois en deux jours, après avoir également produit le documentaire diffusé lundi soir sur CANAL+ dans « Spécial Investigation » sur la révolution du Maïdan.
Créée en 2006 par Paul Moreira (ancien rédacteur en chef du Vrai Journal puis fondateur de 90 MINUTES sur CANAL+) et Luc Hermann (journaliste, réalisateur et rédacteur en chef), Premières Lignes compte aujourd’hui parmi les très rares sociétés de production à se hasarder à attaquer de front nos élites industrielles et financières.
Les sujets traités (ou pas) dans Cash Investigation
Pour conclure cet article, nous vous proposons ici la liste des sujets traités par Cash Investigation ces 3 dernières années :
Si l’on peut se féliciter du travail réalisé par les journalistes de Premières Lignes depuis 3 ans, on ne peut malgré tout que regretter que certains sujets n’aient encore jamais été adressés. Et parmi eux, bien sûr, les sujets cruciaux relatifs à la monnaie :
- la création monétaire ex-nihilo (expliquée dans l’excellent documentaire de Gabriel Rabhi)
- la loi du 3 janvier 1973 (vulgarisé dans le livre éponyme de Pierre-Yves Rougeyron)
- la faillite bancaire comme en Islande lors de la crise de 2008
- ou enfin un constat dépassionné sur l’euro
Dommage pour une émission consacrée au « cash » !
Est-ce un oubli (qui ne saurait qu’être rapidement comblé !) ou le signe que ces sujets sont encore trop dangereux pour être traités à la télévision française et aux heures de grande écoute ?
Nico Las (TDH)
Cet article Retour sur l’émission de « Cash Investigation » à propos de l’industrie des pesticides est apparu en premier sur Cercle des Volontaires.