Source : Proche & Moyen-Orient, Hedy Belhassine, 21-10-2019
Au café de Bab Souika, une jeune fille fredonne la chanson de Barbara : « regarde, quelque chose a changé, l’air semble plus léger, c’est indéfinissable… » Au terme d’une campagne électorale débridée, rocambolesque, riche en imprévus et en rebondissements, les Tunisiens retrouvent un semblant de sérénité. L’élu était attendu par tous ceux que la lente agonie du pays attristaient. Kaïs Saïed a été plébiscité. Il est l’espoir d’un pays que les errances politiques ont réduit à la mendicité. La démocratie exemplaire post révolutionnaire saluée dans le monde entier n’a pas consolé les Tunisiens de la dégradation constante de leur pouvoir d’achat et de l’enrichissement sans cause d’une mafiocrature rescapée de la dictature. L’élection de Kaïs Saeïd est un rebond salutaire de la révolution de 2011 dont nul ne mesure encore la portée.
La victoire d’une stratégie bien préparée
Avec 72,7%. des suffrages, l’homme providentiel a écrasé son concurrent Nabil Karoui dont les déboires judiciaires orchestrés lui ont valu l’estime des démocrates mais qui n’était pas du niveau. Déjà, le 15 septembre, au premier tour, Kaïs Saïed avait balayé 24 candidats dont des poids lourds de la vie politique sans vraiment faire campagne, en refusant même les subventions et les alliances. Il doit sa victoire à trois symboles forts : le slogan echaarb yourid, le peuple veut (cri de ralliement de la révolution de 2011) ; le geste patriotique du baiser au drapeau ; et l’emblème de la carte de la Tunisie portant le fléau de la justice. Mais aussi et surtout à un discours sobre, spontané, saccadé. Des phrases courtes comme un tweet avec parfois des accents lyriques dans une langue arabe impeccablement maîtrisée sous toutes ses formes. Sa campagne a mis en échec les lobbystes et les agences de communication tunisiennes et étrangères recrutés à grands frais par ses concurrents qui proposaient la lune et des lendemains qui chantent. Raide, austère, avare de confidences, lui n’a rien promis d’autre que de la sueur et de l’équité. Churchill sans cigare, de Gaulle sans képi. « Le peuple qui veut » lui a donné carte blanche pour l’aider à reprendre son propre destin en main. Alors fort de son score du 13 octobre qui rassemble 2,7 millions de Tunisiens, – c’est plus que les voix additionnées aux législatives une semaine auparavant – le nouveau Président de la République est désormais maître du destin du pays. Le 30 octobre prochain lorsqu’il aura prêté serment, la Tunisie qui retient son souffle ne sera plus comme avant.
Une révolution des urnes à point nommé Lire la suite
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