La fabrique de la guerre civile en France (1958-1962), par Richard Labévière

Source : Proche & Moyen-Orient, Richard Labévière, 05-11-2018
Tourné en 1969 et sorti au cinéma en 1971, le film de Marcel Ophuls – Le Chagrin et la pitié – a profondément renouvelé notre compréhension de la France sous l’Occupation, démystifiant notamment plusieurs idées reçues sur la Résistance. Un an plus tard, le livre de l’historien américain Robert Paxton – La France de Vichy1 – complétait cette nouvelle approche, marquant une rupture considérée comme décisive dans l’historiographie de l’une des périodes les plus sombres de notre histoire. Dans sa préface, Stanley Hoffmann soutient que « sur deux points capitaux, l’apport de Paxton est révolutionnaire » : il n’y a pas eu double jeu de la part de Vichy, et le régime n’a pas joué l’effet de « bouclier » en épargnant certaines souffrances aux Français.
Aujourd’hui, l’indispensable maison d’édition La Fabrique, nous livre un ouvrage tout autant révolutionnaire et décisif qui produit le même tremblement de terre épistémologique pour la période 1958 – 1962. Lui aussi américain, l’historien Grey Anderson2, se livre à une relecture toute aussi documentée, à partir de l’ouverture de nouvelles archives et d’une multitude de témoignages inédits, déconstruisant nombre de mythes touchant au retour au pouvoir du général de Gaulle : La Guerre civile en France, 1958 – 19623. D’emblée, le sous-titre donne le ton : « Du coup d’Etat gaulliste à la fin de l’OAS ».
Avec la plus grande rationalité, cet historien de terrain reconstitue les errances de la IVème République qui vont amener au désastre indochinois de Dien Bien Phu – le 7 mai 1954. Celui-ci aboutira, en droite ligne, au sanglant retrait d’Algérie. Entre temps, le mois de mai 1958 marque le début d’une séquence insurrectionnelle où le sort de la France s’est joué à Alger. C’est la fin de la IVème République et le retour au pouvoir du Général, savamment orchestré par le cercle des fidèles. « C’est l’arrivée aux commandes d’une nouvelle équipe qui va construire et faire accepter une Constitution encore en vigueur après un demi-siècle. Bref, mai 1958, c’est un moment fondamental au sens fort du terme », souligne la quatrième de couverture.
Dernièrement presque passée inaperçue, la commémoration de ce « moment fondamental » a été occultée par les événements plus joyeux de mai 1968, dont l’imaginaire convient mieux aux élites actuellement aux affaires. Et les débuts de la Vème République n’avait pas encore été auscultés de la manière qu’ils méritent, parce que la mémoire de haine et de violence du 13 mai 1958 aux tribulations de l’OAS du printemps 1962, restaient certainement encore trop vive pour en démonter les mécanismes. Comme pour la France de l’occupation, il a fallu une lente maïeutique pour revenir à l’historiographie critique. Et ce ne sont pas les carabistouilles de Benjamin Stora qui ont beaucoup aidé… Là encore, il a fallu un historien étranger pour nous réveiller de notre sommeil dogmatique : notamment Alistar Horne4, qui signe en mars 1980 une très sérieuse Histoire de la guerre d’Algérieaux éditions Albin Michel.Lire la suite

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