Jacques Sapir : « Les bolcheviks n’avaient nullement le modèle soviétique en tête » (2/2)

Source : Philitt, Jacques Sapir, 06-11-2017

Économiste et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Jacques Sapir est un spécialiste de la Russie contemporaine. Il est également l’auteur de l’influent blog RussEurope. À l’occasion du centenaire de la Révolution russe d’octobre 1917, il a accordé à PHILITT un entretien en deux parties sur les ressorts économiques et politiques d’un événement aux conséquences encore vives aujourd’hui et dont l’analyse fait encore débat.
PHILITT : Après avoir pris le pouvoir, les bolchéviks se montrèrent tout d’abord réticents aux nationalisations, faisant passer la question économique au second plan. Comment en viennent-ils à se convertir à l’étatisation, absente de leur projet originel ?
Jacques Sapir : Contrairement aux idées reçues, le modèle soviétique tel qu’il se manifesta à la fin des années vingt, n’était nullement constitué dans la tête des dirigeants bolcheviques dès octobre 1917. Dans Que Faire ? de Lénine1, on trouve en fait peu de choses sur ce sujet, et le peu que l’on y trouve fait plus mention d’une « socialisation » que d’une « nationalisation ». Les premières mesures prises après la Révolution se limitent à assurer le contrôle de l’Etat sur les industries stratégiques (les industries de guerre). Dans le même temps se déroule, au sein des grandes entreprises, un mouvement de « socialisation » des entreprises qui se fait dans une large mesure hors de l’influence du gouvernement, et sous l’influence de militants syndicalistes et de militants anarchistes, auxquels il convient de l’ajouter, les bolcheviks ont tendu la main dans les semaines qui ont précédé la Révolution. La guerre civile obligea les bolcheviks à radicaliser plus qu’ils ne l’avaient souhaité initialement leur programme économique2. Un certain nombre d’entreprises (en général de taille moyenne) sont aussi « municipalisées » pour fournir les ressources indispensables aux municipalités.Lire la suite

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