Cabinet noir ? Par François-Bernard Huyghe

Source : François-Bernard Huyghe, 25-03-2017
“Cabinet noir” est devenu en quelques jours un mantra. L’auteur de ces lignes (pas plus d’ailleurs ques ceux de “Bienvenue place Beauveau” qui disent ne pouvoir ni le prouver ni l’infirmer et que nous n’avons pas lus) n’a aucun moyen d’en démontrer l’existence.
Du moins si l’on entend qu’un groupe de très hauts fonctionnaires se réunissent formellemen sous l’égide du Président pour faire des coups tordus contre des adversaires politiques. Nous serions fort étonnés qu’il y ait une structure spécifique avec un nom, une liste de membres, des réunions où l’on dise “et maintenant ouvrons la sécance du cabinet noir” , pourquoi pas des cagoules et des mots de passe comme dans Tintin. En revanche, il n’est pas difficile imaginer une “fonction cabinet noir” ; elle consisterait en une stratégie de remontée de l’information compromettante au plus haut niveau et de déclenchement de campagnes médiatiques ou judiciaires (fuites, suggestions, conversations informelles avec des journalistes ou des magistrats) afin que des affaires tombent au bon moment pour embarasser l’adversaire.
L’argument des “partisans” du cabinet noir repose sur la vraisemblance : vous n’allez pas me faire croire que tout cela est le fruit du hasard, que cette simultanéité est spontanée, qu’il n’y a aucune intentionnalité derrière, que tous ces documents confidentiels dont certains couverts par le secret de l’instruction tombent du ciel dans la corbeille de journalistes militants, que des fonctionnaires, des juges membres d’un certain syndicat, etc..
Les contre-arguments sont soit 1) d’ordre moral et paralysants (vous savez bien que la justice est totalement indépendante (grâce à nous) et vous offensez la République en les soupçonnant, comment oser questionner notre probité ?
Soit 2) des arguments portant sur l’intention des premiers : vous vous trumpisez, vous êtes des complotistes, vous essayez de détourner l’attention de vos fautes véritables en parlant de conspirations imaginaires et d’abus d’autorité inimaginables
Aucun de ces arguments – vraisemblance ou “dignité” – ne porte sur le fond, sur la preuve de faits bruts. Ce qui est normal pour une activité par nature clandestine et sensée ne pas laisser de traces (on imagine mal un verbatim du cabinet noir rangé dans un tiroir de l’Élysée en attendant son prochain occupant).
Si, donc, rien n’est avéré (au moment où nous écrivons le livre n’est même pas en librairie), on peut raisonner par rapport à des exemples historiques :
– “cabinet noir” est d’abord, sous l’ancien régime, le surnom des services qui ouvrent systématiquement (sans doute depuis Richelieu) les lettres qui passaient par les postes royales. C’est notamment le fameux avec le fameux “secret du roi” de Louis XV, où les extraits de correspondances révélatrices sont recopiées et où éventuellement des spécialistes décryptent les messages secrets qu’elles contiendraeint. Nous sommes dans la surveillance pure, sensée disparaître avec la proclamation du principe d’inviolabilité de la correspondance par la Révolution
– Sous la V° République, plusieurs fois, l’opposition accusera le pouvoir soit de la surveiller de façon illégale soit, de surcroît, de monter des machinations pour détruire la réputation de tel ou tel adversaire. Il est avéré (du moins, des décisions de justice ou des inculpations l’attestent) qu’il y a eu, sous Mitterand, des “écoutes de l’Élysée” et une “cellule” qui surveillait des gêneurs comme Jean Edern Hallier ou Edwy Plenel. À l’époque Mitterrand, on sait comment fonctionait le sytème : abus du système des écoutes dites “administratives” (système qui a été réformé depuis), utilisation de policiers, relais médiatiques, etc. Mais cela nous le savons par un jugement du Tribunal de correctionnel de 2005, c’est-à-dire plus de vingt ans après les faits.
– Sous Chirac, on parlera d’un “cabinet noir” dirigé par P. Massoni et Y. Bertand et la DCRG : ils auraient monté des “coups” contre Pasqua, Jospin ou Sarkozy. En 2011, François Hollande déclarait : “Il y aurait à l’Élysée au côté même du président de la République, une cellule qui, avec la police, avec la justice, ferait pression pour que des affaires soient lancées et d’autres étouffées”. Sarkozy n’échappera pas à l’accusation, comme ministre de l’Intérieur puis comme président : anciens des RG qui surveilleraient des journalistes dont ceux de Médiapart, réquisitions illégales auprès d’opérateurs téléphoniques (affaires des “fadettes”)… Sous le présent quinquenat, la façon dont N. Sarkozy a été compromis dans treize affaires, écouté, y compris sous son pseudonume de Bismuth, crée de nouveaux soupçons : tout cela se produit-il spontanément ? Le Tracfin est-il employé comme relais ? Le syndicat de la magistrature ? Tous les arguments que l’on retrouvera dans la rhétorique de Fillon (le fait que des révélations soient orchestrées n’enlevant rien sur le fond au fait que les révélations soient vraies, comme dans le cas des mails fuités du parti démocrate américain).
Savoir s’il existe ou a existé des groupes informels remplissant la fonction cabinet noir, voilà ce dont nous n’avons aucune compétence pour trancher et qui demande des enquêtes de fond.
En revanche, il y a une bonne probabilité que – indépendamment de la moralité ou du respect des principes républicains par la droite ou la gauche – la tentation en soit forte.
La première est que l’aspect surveillance/dissimulation est techniquement de plus en plus facile (voire l’accumulation des révélations sur la surveillance par la NSA, la Cia, le FBI etc qui ne cesse depuis des années : pourquoi cela ne se produirait-il jamais en France). Que des services d’État puisse accumuler les moyens de suveiller, c’est évident. Et que des fonctionnaires qui se trouveraient en présence de pièces compromettantes sur tel ou tel homme politique connu, n’ouvrent jamais le parapluie, ne transmettent jamais à leur hiérarchie ou que les sujets hypers sensibles soient cloisonnés : voilà ce qu’un enfant de huit ans aurait du mal à croire.
Mais après la dissimulation, la stimulation : déclencher des mécanismes de mise en cause, judiciaire et/ou médiatique, pour compromettre (un “kompromat” disent les Russes) si l’on bénéficie de relais idéologiques auprès de fonctionnaires acquis à votre cause ou auprès d’une presse qui, sans vous adorer positivement, est toute prête à faire un scoop en lynchant votre adversaire qu’elle n’aime guère.
Tout savoir sur l’adversaire et jouer des relais d’influence des deux ressorts de nos sociétés post-politiques – règne du droit, indignation médiatique – : pas besoin d’être un esprit machiavélique pour songer à des recettes aussi en accord avec les tendances du temps.
Source : François-Bernard Huyghe, 25-03-2017

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