C’est inouï : une sorte de kidnapping de la Démocratie par les Médias – au services de quelques intérêts bien compris – est en train de se dérouler sous nos yeux.
J’ai toujours été choqué par le fait qu’on ait tranquillement accordé “l’indépendance politique” à la Banque centrale – donc au regroupement de personnes représentant les puissances d’argent. Ainsi, depuis 1992, un des principaux outils économiques échappe au pouvoir politique, donc au périmètre de la délibération démocratique.
Par ailleurs, de plus en plus de décisions économiques ont été transférées au niveau européen – surtout depuis 2013, où on est passé d’un contrôle budgétaire à un réel contrôle économique, donc politique – , échappant lui aussi à la délibération démocratique nationale. Pour ceux qui ignorent l’existence des Grandes orientations des politiques économiques de l’Union Européenne, je recommande de lire ce billet, issu de cette série. C’est à se demander si nos élections Présidentielles ne seraient plus désormais que de simple élections “régionales européennes” pour amuser la galerie, la capacité de notre Président d’agir en profondeur sur le sort du pays allant bientôt se retrouver au même niveau que celle du Président de la Région Bretagne.
Taquin, je me suis donc demandé depuis lors s’il n’allait pas arriver un moment où on allait nous dire que, comme la Banque centrale, il faudrait accorder “l’indépendance politique” au Président de la République, en en confiant la nomination à une poignée de personnes “qui savent, elles” – on ne sait jamais avec tous ces électeurs “popuazlistes” qui votent de moins en moins comme on leur demande…
J’avoue que je ne pensais pas voir ça aussi vite…
12 octobre 2016, 1er tour de la Présidentielle Médiatique : Hollande est coulé par Le Monde
Le 12 octobre 2016 est en fait un jour très important pour notre Démocratie – et on ne s’en est absolument pas rendu compte, ni sur le moment, ni même après.
C’est le jour où est sorti le livre Un président ne devrait pas dire ça, des journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme.
Ce livre a évidemment beaucoup plus dans les médias – autant de boue d’un coup, ce n’est pas commun.
Quand j’ai appris que Hollande avait accordé 61 entretiens tout au long du quinquennat aux deux auteurs qu’il connaissait depuis des décennies, j’ai pensé “Hollande vit vraiment sur une autre Planète”.
En effet, je comprends qu’un chef d’État ait envie que quelqu’un écrive l’histoire de son mandat. Pour Mitterrand ce fut Attali, et avant lui, pour de Gaulle, ce fut Alain Peyrefitte – deux proches, lettrés. Ce dernier raconte ceci dans le fantastique C’était de Gaulle :
Au bout de quelques jours d’agitation médiatique, puis de scandale politique, je me suis donc dit “mais qu’est ce qui a pris à Hollande de faire ce livre avant la fin de son mandat ?”, et en plus avec des journalistes du Monde ! C’est vraiment suicidaire !
Il s’est avéré que Hollande connaissait ces journalistes et les appréciait beaucoup. Il leur a fait confiance et leur a accordé plus de 60 entretiens.
Et voilà que les journalistes sortent ce livre avant que Hollande annonce s’il se représente ou non. Ils écrivent même ces lignes proprement hallucinantes dans leur préface – dont je vous recommande hautement la lecture pour édification sur l’éthique journalistique :
Bien sûr, Hollande est grandement responsable de sa situation – on se demande même s’il ne serait pas proche de la nécessité d’être mis sous protection juridique à ce stade. Mais oublions le : c’est bien le comportement de ces “journalistes” (qui ont sorti de grandes affaires, surtout contre l’UMP) qui est ici fascinant. Notons que Libération les a qualifiés d’asociaux et qu’ils ont une étonnante vision de leur métier finalement dans Le Parisien :
Déjà, tout ce qui surligné dans la préface pose de très lourdes questions éthiques. Tout comme interpelle le mépris en dégoulinant pour un Président qui leur a fait une confiance inimaginable et un cadeau inestimable (y compris financier à 200 000 exemplaires…). Après, il est vrai que, comme l’a joliment rappelé Antoine Bernheim “La reconnaissance est une maladie du chien non transmissible à l’homme.”
MAIS il reste une question fondamentale – très étrangement non abordée dans la préface : mais QUAND devait sortir ce livre alors ?
Et en fait, le porte-parole du gouvernement a répondu, et personne n’a tiqué :
Ainsi, selon le gouvernement, le livre devait sortir APRÈS le quinquennat – information qui a très peu circulé, pas grand chose à part ces 2 articles.
Je n’ai pas vu la réaction des journalistes à ces accusations. Sans doute diront-ils qu’ils avaient dit le contraire à Hollande une fois à la fin d’un repas bien arrosé, mais enfin, on voit mal pour le coup Hollande avoir vraiment accepté une sortie fin 2016, en plus en n’ayant pas lu le livre…
EDIT : sur l’indispensable Arrêt sur Images, les journalistes ont été interrogés par Schneidermann : ils y déclarent que le livre devait sortir avant la Présidentielle (ver 22’00), et qu’Hollande était d’accord, semblant inconscient du caractère explosif (encore faudrait-ils avoir quand cela a été discuté). Ceci étant, cela change peu les choses à mon avis. Cela confirme simplement qu’Hollande est inconscient ; mais les journalistes étaient très bien conscients, eux, de l’impact des confidences mesquines qu’ils rapportent à longueur de pages sur tel ou tel (et qui apportent bien peu de choses réellement utiles à un électeur pour orienter son vote). Ils ont donc souhaité, comme ils en avaient apparemment le droit moral, de sortir ce livre avant la présidentielle ; et donc ils ont décidé en toute connaissance de cause de décider d’agir sur elle, en trahissant au final la confiance du Président.
Et dans tous les cas, une vraie question éthique aurait dû se poser aux deux journalistes asociaux : il est évident que la publication du livre allait mettre le feu à la gauche, et compromettre très gravement la candidature de François Hollande.
Tout le monde sait ce que je pense de François Hollande : il ne s’est pas passé sur ce blog une semaine depuis 2012 sans que je le critique – c’est probablement le pire Président de la Ve République, c’est en tout cas le seul tellement impopulaire qu’il n’a pas pu se représenter…
Je ne me réveille donc jamais en sueur déplorant sa non-candidature. Je ne sais d’ailleurs pas vraiment si c’est une bonne chose ou pas qu’il ait abandonné. Peut-être aurait-il gagné la primaire, peut-être que Macron aurait un score bien plus faible. Peut-être cela aurait-il avantagé Fillon du coup. Peut-être…
Ce que je sais, en tout cas, c’est qu’on ne le saura jamais. Car il n’a pu être in fine candidat, et que j’estime que ce n’était pas au journal Le Monde d’en décider, mais aux citoyens…
Et je dis bien au Monde, car ce journal n’a pas viré ces deux journalistes suite à ce qui semble bien être de multiples et graves entorses éthiques aux lourdes conséquences. Et ça les amuse apparemment :