Monsieur Hollande, « bougez-vous le cul » ! L’émouvant cri de colère de François Ruffin aux Césars

Il y a tout juste un an, alors que le film « Demain », venait de recevoir le César du meilleur documentaire 2016, je m’étais pris à rêver. Rêver que « Merci Patron ! » le formidable film de François Ruffin puisse lui succéder en 2017 (c’était ici). Ce rêve s’est réalisé vendredi soir.
Évidemment, penserons les esprits chagrins, il ne s’agit là que d’une toute petite goutte d’eau dans un océan de désespérance. Évidemment aussi, une telle récompense ne permettra pas de relocaliser en France tout le tissu industriel perdu. Évidemment enfin, le risque existe qu’il ne s’agisse en partie de « green washing ». Non pas orchestré par François Ruffin, dont l’honnêteté ne saurait selon moi être remise en cause, mais par des organisateurs qui savaient sûrement très bien au devant de quoi ils s’avançaient en l’honorant ainsi.
Toujours est-il que c’est un merveilleux documentaire qui a été récompensé vendredi. Et que François Ruffin a pu en profiter pour faire passer un message émouvant, doublé d’un cri de colère d’une évidente sincérité. Et ceci, devant un parterre constitué d’à peu près tout ce que nous détestons, entre politiques hypocrites et artistes pseudo-engagés.

Le cri de colère de François Ruffin

C’est ainsi qu’appelé sur scène pour se voir remettre son prix, François Ruffin a profiter des quelques minutes qui lui étaient offertes, et de la retransmission en direct sur Canal+ (1), pour faire passer un texte très engagé :

« Mon film parle d’une usine qui part en Pologne et qui laisse derrière un paquet de misère et un paquet de détresse. Et au moment où je vous parle, c’est une usine d’Amiens, qui s’appelle Whirlpool Amiens, qui fabrique des sèche-linges qui subit la même histoire, puisque maintenant ça part là aussi en Pologne. Il y a 15 ans j’étais déjà à Amiens et c’était le lave-ligne qui partait en Slovaquie. J’ai connu Continental qui est parti en Roumanie, Siège de France parti en Roumanie également, Goodyear parti en Pologne. Ça fait maintenant 30 ans que ça dure. Dans l’ameublement, dans le textile, dans la chimie, dans la métallurgie, ainsi de suite. Pourquoi ça dure comme ça depuis 30 ans ? Ça dure comme ça depuis 30 ans parce que ce sont des ouvriers qui sont touchés ! Et donc on en a rien à foutre ! Si c’étaient des acteurs qui étaient mis en concurrence de la même manière avec des acteurs roumains, cela posera problème immédiatement. Quand on touche à l’avantage fiscal de la profession de journaliste ça fait des débats aussitôt, il y a des tribunes dans les journaux. Mais imaginons que ce soit les députés dont on dise qu’ils ne sont pas assez compétitifs. Un député Français coûte 7100 euros par mois, un député Polonais revient à 2000 euros par mois. Et encore je suis modéré parce qu’au Bangladesh, un député c’est 164 euros. Imaginons qu’on dise demain il faut délocaliser l’hémicycle à Varsovie. Immédiatement il y aurait des débats à l’assemblée nationale, il y aurait des projets de loi. Ca fait 30 ou 40 ans que ça dure pour les ouvriers et il n’y a pas de projet de loi. Donc, dans ce pays, il y a peut-être des sans-dents, mais surtout il y a des dirigeants sans cran. Donc maintenant François Hollande, par exemple, il a l’occasion de montrer que son adversaire c’est la finance, qu’il peut faire des réquisitions, qu’il peut interdire les produits Whirlpool sur le territoire français, qu’il puisse sortir de l’impuissance et se bouger le cul. Je vous remercie. (…) Je remercie la famille Klur évidemment, mais Marie-Hélène Bourlard, parce qu’elle est déléguée CGT à l’usine ECCE, ce sont des gens comme ça qui continuent à tenir notre pays debout. »

Message que l’on peut également écouter dans cette vidéo :

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L’émouvant cri de colère de François Ruffin aux Césars
== Monsieur Hollande, « bougez-vous le cul » ! L’émouvant cri de colère de François Ruffin aux Césars ==Il y a tout juste un an, alors que le film « Demain », venait de recevoir le César du meilleur documentaire 2016, je m’étais pris à rêver. Rêver que « Merci Patron ! » le formidable film de François Ruffin puisse lui succéder en 2017 (c’était ici). Ce rêve s’est réalisé hier soir.Évidemment, penserons les esprits chagrins, il ne s’agit là que d’une toute petite goutte d’eau dans un océan de désespérance. Évidemment aussi, une telle récompense ne permettra pas de relocaliser en France tout le tissu industriel perdu. Évidemment enfin, le risque est grand qu’il ne s’agisse que d’un simple « green washing ». Non pas orchestré par François Ruffin, dont l’honnêteté ne saurait selon moi être remise en cause, mais par des organisateurs qui savaient sûrement très bien au devant de quoi ils s’avançaient en l’honorant ainsi.Toujours est-il que c’est un merveilleux documentaire qui a été récompensé hier. Et que François Ruffin a pu en profiter pour faire passer un message émouvant, doublé d’un cri de colère d’une évidente sincérité. Et ceci, devant un parterre "mainstream" à souhait…Nico Las (TDH)
Publié par Cercle des Volontaires sur samedi 25 février 2017

Un bien bel hommage au monde ouvrier, tant méprisé par nos élites et que François Ruffin s’attèle infatigablement à défendre. Dans la lignée du documentaire, il s’attaque à Goliath et défend David.

Analyse et mise en perspective

Certains sur twitter (comme le notait L’Express (2) dès vendredi soir) n’ont pas manqué de faire remarquer le cadrage très serré de François Ruffin sur scène. Celui-ci portait en effet un T-shirt bien particulier, à l’effigie de Vincent Bolloré, PDG du Groupe éponyme, et avec l’inscription « I love Vincent », en un double clin d’œil.
Clin d’œil tout d’abord à son documentaire, bien sûr, dans lequel il portait un T-shirt à l’effigie cette fois de Bernard Arnault, le PDG de LVMH, contre lequel il partait justement en lutte dans « Merci Patron ! ». Clin d’œil aussi à Canal+, chaine sur laquelle était diffusée la cérémonie, et elle-même propriété de Vincent Bolloré.
Mais cela avait tout lieu de ne pas plaire au réalisateur de la soirée, qui n’aura pas tardé à recadrer son cadreur… et son cadrage.

Ce T-shirt était à l’évidence la première pique de l’intervention. Pique qui a fait mouche !
Il est en effet pas anodin de constater que l’intervention de François Ruffin, si elle a été relayée sur les médias internet, a été très peu relayée sur les grandes chaines de télévision. La palme revenant à la chaine d’information CNews (ex-itélé) qui a tout simplement passé l’évènement sous silence dans son reportage sur les « temps forts » de la soirée, diffusé en boucle toute la nuit de vendredi. Et pour cause, CNews appartient au Groupe Canal+ lui-même propriété de Vincent Bolloré donc.
Alors bien sûr, j’entends déjà certains regretter que François Ruffin ne se soit pas attaqué à la bonne cible en interpellant François Hollande. Que tout cela ne se joue plus en France mais à Bruxelles, et depuis bien longtemps. C’est effectivement en partie vrai. Mais tout laisse à penser que François Ruffin n’en est pas dupe pour autant. Rappelons-nous qu’il fut l’auteur, en 2012, d’un interview assez extraordinaire de Nicolas Doisy (« Chief Economist » au sein de la société Cheuvreux), dans lequel il dévoilait combien le détricotage du code du travail français (et son corolaire, la destruction du monde ouvrier) était dicté par la haute finance et les plus hautes instances de l’Union Européenne.
Voici l’entretien en question, disponible que la chaine youtube de Fakirpresse :

Certes, on pourrait regretter qu’il ne saisisse pas ces occasions qui lui sont offertes pour aller au bout de l’analyse et démasquer les vrais responsables du drame économique français. C’est sûrement cette auto-censure qui lui vaut de garder encore un pied dans les médias traditionnels où il continue, malgré ses colères répétées, d’être invité.
Mais il ne faut pas perdre de vue le public très large auquel il s’adressait lors de cette cérémonie. Il devait attirer l’attention du plus grand nombre. Éviter, donc, d’être clivant, et faire passer des messages simples. Et en cela, le fait d’avoir pensé à appliquer au monde de la politique les néologismes de novlangue d’habitude réservés au monde ouvrier (« Un député Français coûte 7 100 euros par mois, un député Polonais revient à 2 000 euros par mois ») fait mouche et aura je pense marqué certains esprits. Ne doutons pas qu’il s’agira d’autant d’esprits qui s’ouvriront et affineront demain leurs analyses.
Nico Las (TDH)

(1) : Canal+ appartient au Groupe Bolloré de Vincent Bolloré, tout comme CNews (ex-itélé), C8, C17 et plus de vingt-cinq autres chaines thématiques, ainsi que l’institut de sondage CSA.
(2) : L’Express (comme L’Expansion, Libération, BFM, RMC, SFR, et Numericable) appartient à Patrick Drahi, Groupe concurrent du Groupe Bolloré
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