Ainsi font, font, font… Les petites marionnettes,
Ainsi font, font, font… Trois p’tits tours et puis s’en vont
C’est ainsi que l’on pourrait résumer la surprenante promenade nocturne de ce jeudi 20 octobre dans les rues de Paris. Alors que les précédentes manifestations policières avaient donné le sentiment d’une certaine spontanéité, nous avons assisté jeudi à une marche visiblement très cadrée. Présentée comme une « manifestation sauvage » par la plupart des médias, cela ferait sourire si le sujet n’était pas si grave.
Rappel des faits
Viry-Châtillon, le 8 octobre dernier, quatre fonctionnaires de police sont en poste (dans deux véhicules distincts) à un carrefour de la ville (1). Ceux-ci sont attaqués par une quinzaine d’individus. Ces derniers, manifestement prêts à prendre le risque de tuer pour intimider les forces de l’ordre, n’hésitent pas à lancer des cocktails Molotov sur les fonctionnaires.
Alors que les policiers du premier véhicule ont pu sortir physiquement indemnes de l’agression, ce ne fut pas le cas des passagers du second véhicule. Piégée à l’intérieur de la voiture lors de l’assaut, une fonctionnaire, brûlée aux mains, est à présent sortie de l’hôpital. Mais l’état de santé de son collègue, plus grièvement blessé, est encore préoccupant, même s’il semble aujourd’hui en voie d’amélioration.
Si ce fait divers très grave a tout de suite fait la « une » des journaux, la réaction des forces de l’ordre a au départ été très discrète, jusqu’à ce que de premiers regroupements commencent à voir le jour il y a dix jours. À Paris, cela s’est dans un premier temps cristallisé autour de l’hôpital Saint-Louis où est encore soigné le fonctionnaire blessé. C’est dans cette séquence qu’a eu lieu la manifestation de jeudi que nous avons suivie.
La manifestation du jeudi 20 octobre
Parti de la Place du Trocadéro vers 22h30, le cortège s’est élancé avenue Kléber en direction de la place Charles de Gaulle (Étoile). Au cri de « Hollande démission » et « Cazeneuve t’es foutu, la police est dans la rue » les manifestants ont tenté à plusieurs reprise de rallier la population à eux. Au-delà d’un contexte ne jouant pas en leur faveur (l’avenue Kléber n’est pas très fréquentée le jeudi soir à 23 h, et le quartier n’est pas à proprement parler « résidentiel »), les mots d’ordre, peu clairs et très centrés sur des revendications professionnelles, n’ont pas aidé.
Après une pause pour chanter la Marseillaise sous l’Arc de Triomphe, les manifestants ont repris leur marche sur les Champs-Elysées en direction de l’avenue Marigny, au bout de laquelle se trouvent la place Beauvau et le Ministère de l’Intérieur. En chemin les policiers ont reçu le renfort d’une quinzaine de taxis. Le groupe ainsi constitué est alors allé à la rencontre des gendarmes en poste pour bloquer l’accès du Ministère et du Palais de l’Élysée qu’il jouxte. Après un court sit-in, la discussion s’est engagée entre les représentants des forces de l’ordre et un gradé de la gendarmerie en charge du dispositif de maintien de l’ordre.
Notre équipe sur place a pu réaliser un reportage témoignagne que nous vous proposons ici :
Mots d’ordre et revendications
Si les appels des manifestants furent nombreux à demander le ralliement de tous les citoyens, force est de constater que les revendications de ce mouvement sont pour l’instant essentiellement professionnelles. Limitées aux conditions de travail des forces de l’ordre, le mot d’ordre se concentre ainsi principalement autour des demandes suivantes :
- davantage de moyens (effectifs comme équipement)
- un meilleur soutien de la hiérarchie
- une réponse pénable plus ferme
- la concentration de l’activité sur leurs tâches régaliennes
Quelques slogans un peu plus osés ont tout de même été entendus. Quelques « Francs-Maçons en prison » ont ainsi égayé la marche. Alors que plus tard, en fin de manifestation, un « Apéro chez Flamby », s’est fait entendre. Non repris par la foule, ce slogan est peut-être moins anecdotique qu’il n’y paraît. Il fait en effet naturellement référence au fameux « Apéro chez Valls », en avril dernier (nous vous en parlions ici). Cet « Apéro chez Valls » s’était décidé très spontanément dans la soirée du 9 avril, place de la République, à l’initiative d’un citoyen, dans le cadre de Nuit Debout. Et il avait mis en émoi, c’est le moins que l’on puisse dire, tout la police parisienne, le temps d’une nuit.
Plusieurs groupes de citoyens se sont malgré tout mêlés au mouvement. Nous avons ainsi pu y reconnaître des « veilleurs » du mouvement de la Manif Pour Tous qui semblent avoir pardonné les coups et les gazages passés :
Nous avons aussi croisé des manifestants de Nuit Debout dont la pensée, elle, était semble-t-il plus proche des propos tenus par cette jeune femme croisée par les journalistes du Huffington Post :
Quoi qu’il en soit, une chose est sûre, en ce jeudi soir, le soutien populaire était faible.
Une « manif sauvage », vraiment ?
Le mot est partout ces derniers jours dans les médias. Ces marches seraient des « manif sauvages » !
On ne peut s’empêcher tout d’abord de noter l’emploi particulièrement malvenu du mot « sauvage », alors même que ce mouvement est né en réaction, notamment, de l’utilisation du terme « sauvageons » (comme le relatait ici BFM) par Bernard Cazeneuve pour qualifier les assaillants de Viry-Châtillon. Le ministre de l’Intérieur, par cette expression parfaitement inadéquate, s’était alors attiré les foudres des fonctionnaires de police.
Mais surtout, cette expression colle peu à la réalité d’un mouvement présenté partout comme spontané, mais qui ne l’est pas tant que ça. On peut en effet s’interroger sur plusieurs détails troublants. Ainsi, alors que le lieu et l’heure du rassemblement étaient parfaitement connus (de nombreux journalistes étaient d’ailleurs sur place) aucune force de police en fonction n’était présente le long du parcours pour l’encadrer. Bien entendu, et paradoxalement, cela signifie que certains savaient bien, place Beauvau, que cette manifestation ne présentait aucun risque et qu’elle se déroulerait sans le moindre débordement… En un mot, qu’elle serait parfaitement cadrée de l’intérieur.
Pire, aux abords de l’Elysée, lieu ô combien sensible, les gendarmes étaient en nombre très faible, et aucunes grilles de protection n’avaient été montées. Très loin des dispositifs mis en place pour les Manif Pour Tous ou contre la « Loi Travail ».
Dispositif pour une manifestation « non sauvage »
Dispositif pour une manifestation « sauvage »
En cela, la première manifestation parisienne, qui avait eu lieu deux jours plus tôt, le mardi 18 octobre l’était bien davantage. Moins annoncée à l’avance, elle avait surtout vu des policiers en fonction (2) manifester en véhicules banalisés gyrophares allumés et en moto sérigraphiées.
Rodolphe Schwartz 1 – Syndicats 0
Si cette manifestation, comme nous venons de le voir, ne nous a pas semblé aussi spontanée que rapporté, une chose est sûre, l’opposition aux syndicats y était forte. Pas de gros ballons flottants dans les airs, pas de véhicules bariolés, pas de flyers ni d’auto-collants. En un mot, pas l’ombre d’un syndicat. Pire, la simple évocation du mot fut systématiquement accueillie par une bronca de la foule.
Peut-être les policiers présents sur place n’avaient-ils pas oublié les affiches de la CGT de mai dernier, certes un peu « taquines » mais qui mettaient le doigt sur une réalité : le soutien factuel des forces de l’ordre à l’oligarchie en place, contre le peuple.
En tête du cortège, donc, pour les remplacer, un homme, Rodolphe Schwartz en était à l’évidence le principal meneur ce soir là. Il en était également le porte-parole auto-proclamé (mais aussi manifestement reconnu comme tel). Et l’homme n’en est pas à son premier coup. Rodolphe Schwartz a fondé en juin 2013 « l’association de défense des forces de l’ordre » dont l’objet est décrit comme tel (3) :
Défendre et soutenir policiers, gendarmes et tous ceux qui représentent les forces de l’ordre, lorsque ces derniers victimes de violences, d’injures en rapport avec le métier qu’ils exercent, de harcèlement et de crimes lorsqu’ils sont en service ou hors services dès lors que la qualité de policier ou gendarmes est mise en cause.
Association manifestement laissée en jachère (comme en atteste sa page facebook) mais au nom de laquelle il a par le passé organisé plusieurs manifestations policières. Il fut ainsi à l’origine, en février 2013, d’un rassemblement (déjà à l’époque qualifié de « manifestation sauvage » par Marianne) en hommage à deux fonctionnaires de police décédés en service. Puis, deux ans plus tard, en 2015, d’une manifestation, place Vendôme (voir l’article du Point ici), sous les fenêtres de la Garde des Sceaux de l’époque, Christiane Taubira, pour protester contre le laxisme judiciaire.
Libération et Marianne croient même savoir qu’il fut également l’organisateur d’une marche de soutien à un policier auteur d’un tir mortel dans le dos d’Amine Bentounsi, un délinquant au casier chargé (comme le relatait ici L’Obs). Mais si le policier a participé à l’organisation de cette manifestation, il s’agissait à l’époque d’un évènement clairement porté par les syndicats aujourd’hui décriés. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre, l’homme est actif et ne fait plus partie de la police. Il l’a quittée en 2012 après six années de service. Il met d’ailleurs en avant cet argument pour justifier de sa liberté de parole, ses anciens collègues étant contraints au silence par leur fonction.
Une rumeur lancinante persiste à l’égard de Rodolphe Schwartz. Il serait (ou aurait été) membre du Front National. Il y avait effectivement un Rodolphe Schwartz sur la liste de Wallerand de Saint-Just (candidat Front National) aux municipales de 2014 à Paris. Ce Rodolphe Schwartz était de plus effectivement inscrit dans le 18ème secteur (secteur dans lequel résidait Rodolphe Schwartz à l’époque). Mais celui-ci est présenté sur un document officiel du gouvernement (4) comme ayant 37 ans, alors que le leader du mouvement policier n’en avait à l’époque que 27 (5). Peut-être s’agit-il d’une erreur sur ce document officiel, mais cela tend plutôt à confirmer la thèse avancée par l’intéressé selon laquelle il y aurait une erreur d’identité concernant son inscription sur cette liste (ça ne serait pas la première fois au Front National).
Il n’en reste pas moins qu’il ne nie pas des proximités idéologiques avec Marine Le Pen. L’observation de son compte Twitter fait toutefois davantage apparaître de noms emblématiques du néo-libéralisme (Eric Brunet, Nathalie Kosciusko-Morizet) et plus généralement, la quasi-totalité des candidats à la primaire de la droite, qu’une accointance claire avec le Front National.
Ce point n’est pas anodin, car Jean-Christophe Cambadélis en a fait un enjeu politique cette semaine en accusant le mouvement de récupérations. Le propos n’est pas ici de rentrer dans des guéguerres politiciennes. Encore moins de prendre parti sur un sujet si stérile. On sait que des sondages annoncent un Front National au délà des 50 % d’intentions de vote parmi les forces de police. C’est un fait acquis. Mais attention pour autant de ne pas accuser son chien d’avoir la rage pour s’en débarrasser plus facilement. Si nous nous sommes souvent montrés critiques à l’égard de forces de l’ordre aux ordres du système, nous n’avons non plus jamais imaginé que la convergence des luttes puisse un jour se faire sans elles.
Perspectives
Pour finir, il faut préciser que le mouvement né cette semaine est plus large que cette seule manifestation. De plus en plus de manifestations voient le jour un peu partout en France. Le mouvement avait d’ailleurs démarré à Nice et non à Paris. Il importe donc de continuer à en suivre l’évolution. Si le mouvement s’essouffle peu à peu, contrepartie de quelques concessions faites par le ministère de l’Intérieur, alors pourrons-nous conclure sans risque qu’il s’agissait une fois de plus d’un mouvement autocentré défendant des intérêts corporatistes. À l’inverse, si le mouvement s’ancre soir après soir et voit le ralliement de la population en contrepartie d’un élargissement des mots d’ordre, de belles choses seront possibles.
En cela, la portée symbolique des regroupements sur la place de la République, à Paris, est forte. Elle fait en effet la jonction avec le mouvement Nuit Debout, dernier mouvement populaire de résistance aux dérives libérales de notre oligarchie. Il avait manqué aux citoyens « Debout » un soutien décisif des forces de l’ordre qui n’ont jamais « tombé les masques » (6). Ce qui manque aujourd’hui aux policiers, c’est la force du nombre. Seule la jonction des deux peut apporter une solution. La force du nombre des citoyens et la légitimité de l’ordre de la police nationale, faisant cause commune en soutenant chacun la cause de l’autre, plutôt que de demander à l’autre de soutenir sa propre cause…
La convergence des luttes n’est rien d’autre que le fait d’oublier enfin sa propre lutte pour s’intéresser à celle de l’autre…
Mais dimanche, deux policiers (parlant certes en leur nom) déclaraient sur BFM (vidéo disponible ici) qu’ils avaient pu s’entretenir dans l’après-midi avec Bernard Cazeneuve dans leur commissariat d’Evry et qu’ils en appellent à cesser le mouvement, satisfaits d’avoir été entendus. La révolution n’est semble-t-il pas pour demain… Alors continuons !
Nico Las (TDH)
(1) : les quatres policiers étaient en poste pour… surveiller une caméra de surveillance. Détail rarement précisé dans les médias, mais dont la dimension sinistrement cocasse mérite d’être rappelée.
(2) : d’après nos informations, ce 20 octobre, une majorité de fonctionnaires n’était pas en grève mais en congés.
(3) : l’objet de l’association a été retranscrit tel que décrit à sa création (voir ici).
(4) : La liste est disponible ici sur un site gouvernemental.
Attention, il s’agit d’un lien qui téléchargement automatiquement la liste au format excel sur votre ordinateur.
(5) : Rodolphe Schwartz dit être né en 1987 sur son profil Copains d’avant.
(6) : nous le regrettions dans notre article du 12 juillet dernier.
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