Macron : le fiasco paranoïaque de sa politique sociale

« La grosse erreur de Macron c'est sa perception du corps social assagi, qui passe totalement à côté du rejet des excès de la financiarisation des économies après 2008. Manque de moyens, dégradation des conditions de travail... la crise a laissé une longue traîne qui va bien au-delà de la question salariale. Et tout effort est perçu aujourd'hui comme la facture exigée aux citoyens pour sauvegarder coûte que coûte la rente financière phénoménale, au profit d'une minorité. Macron, décalé de la réalité, a misé sur un corps social docile alors que le rejet du système n'a jamais été aussi violent. » (Xerfi Canal, Olivier Passet) Xerfi Canal - Le fiasco paranoïaque de la politique sociale de Macron [Olivier Passet] - 10/02/2020

Comment est-on parvenu à un climat social aussi dégradé en France ? Il s'agit d'une colère perlée : les étudiants, le personnel hospitalier, les enseignants, les avocats, les salariés de la RATP ou de la SNCF, les pompiers, la police, les éboueurs, les dockers, sans compter la longue traîne des gilets jaunes. Tout se passe comme s'il n'y avait plus personne de satisfait en France. Mais tout se passe aussi comme si chacun poursuivait sa cause catégorielle sans véritable convergence des luttes, faisant écho au diagnostic d'une atomisation du corps social. Le gouvernement se trouve ainsi confronté à une guérilla sociale contre laquelle il s'use. Comment en est-on arrivé là ? Qu'est-ce que Macron a loupé dans sa politique sociale ? Partons de l'esprit qui guidait sa politique en 2017. Sur le papier c'était une orthodoxie budgétaire douce, une réduction mesurée de l'emploi public, de la dépense et de la dette publique en pourcentage du PIB. Rien qui puisse s'apparenter à une stratégie violente visant à affamer la bête, selon l'expression des néoconservateurs américains. C'était un attachement réaffirmé à l'économie sociale de marché, avec deux gages symboliques forts : la conservation du système de répartition et le maintien de l'âge légal à 62 ans pour les retraites. Les principes semblaient clairs : plus de flexisécurité, étendre la protection des chômeurs, faciliter l'accès à la formation ou à l'apprentissage, revaloriser les minima en contrepartie d'un assouplissement du droit du travail négociable au niveau des branches et de l'entreprise. C'était un objectif aussi d'universalité fortement affirmé au nom de l'équité, visant à regrouper, simplifier et uniformiser les régimes. Assurance-chômage universelle étendue aux indépendants et démissionnaires, retraite universelle, regroupement des minima, système de formation mieux coordonné et fléché vers les moins qualifiés. En matière d'équité fiscale et de redistribution enfin, c'était un donnant-donnant : moins d'impôt sur le patrimoine et leurs revenus du capital pour les premiers de cordée et le marqueur fort de la suppression de la taxe d'habitation pour 80 % des contribuables, avec la classe moyenne en coeur de cible. Un allègement aussi des prélèvements de ceux qui travaillent et son report sur les baby boomers retraités rentiers des trente glorieuses. Sur le papier donc, un dosage équilibré et une confiance dans le fait que le gaulois réfractaire, enfant gâté de la protection sociale, avait enfin ouvert les yeux sur le fait que certains ajustements étaient nécessaires, en phase avec le reste du monde. La politique Macron pariait sur un corps social mou Venons-en maintenant à la réalisation. Premier constat : la vitrine des grands principes universalistes a dissimulé un tour de vis budgétaire. Du système universel de chômage ne reste que le nom et surtout des économies sur le dos des chômeurs. Après réforme le système demeure à plusieurs vitesses, limitant drastiquement la création de droits pour les démissionnaires et les indépendants, et réduisant ceux des salariés instables. Idem pour les APL : réforme reportée, mais qui derrière l'affichage technique permet d'économiser 1,2 milliard en année pleine. Et idem encore pour la réforme des retraites dont les intentions financières cachées (voir Loi PACTE et Réforme des retraites : Macron sème, BlackRock récolte ainsi que La Macronie, ce régime très spécial... Réforme des retraites : l'arnaque à 72 milliards !) ont mis le feu aux poudres. Second constat, la terrible opacité qu'a engendré la volonté de simplification avec des règles minées de dérogations et avec des résultats très difficiles à mesurer au plan individuel. L'ancien système des retraites était balkanisé, mais il limitait l'incertitude sur l'ampleur du décrochage entre le dernier salaire touché et la première pension versée. C'est ce qui compte le plus. Une retraite à points indexée sur toute la vie crée de nouveaux risques de décrochage violents, qui varient au cas par cas. Idem pour les minima, certes revalorisés mais avec l'idée que certains oisifs doivent en être exclus. En fait la machine sociale de Macron qui se revendique universelle, par répartition, est une énorme machine à individualiser les droits, comme une assurance privée en sorte, sans en porter le nom... Son opacité, ses économies mal assumée créant une véritable paranoïa sur l'effet que le seul véritable motif de la réforme est de récupérer l'argent du gain. Ajoutons à cela la politique fiscale, là encore derrière l'équilibre affiché perle une multitude de petits ajustements essaimés, qui reprennent d'une main ce qui a été concédée de l'autre aux classes moyennes. Même illisibilité et même soupçon de distorsion cachée en faveur des plus riches. Tout cela participe à la défiance perlée dont je parlais en entrée. Mais la grosse erreur de Macron c'est sa perception du corps social assagi, qui passe totalement à côté du rejet des excès de la financiarisation des économies après 2008. Manque de moyens, dégradation des conditions de travail... la crise a laissé une longue traîne qui va bien au-delà de la question salariale. Et tout effort est perçu aujourd'hui comme la facture exigée aux citoyens pour sauvegarder coûte que coûte la rente financière phénoménale, au profit d'une minorité. Macron, décalé de la réalité, a misé sur un corps social docile alors que le rejet du système n'a jamais été aussi violent.

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