Les « gouvernements privés » qui assujettissent les travailleurs américains. Par Chris Hedges

Source : Truthdig, Chris Hedges, 14-01-2019
Mr. Fish / Truthdig
Les dictatures d’entreprises – qui privent les employés de leurs droits constitutionnels fondamentaux, y compris la liberté d’expression, et qui comptent de plus en plus sur des employés temporaires ou contractuels qui ne reçoivent ni d’avantages ni la sécurité d’emploi – régissent la vie d’environ 80 % des travailleurs américains. Ces sociétés, relativement peu ou pas suivies du tout, surveillent et contraignent leurs effectifs. Ils effectuent des tests de dépistage de drogues au hasard, imposent des quotas et des objectifs pénalisants, commettent régulièrement des vols de salaire, blessent des travailleurs et refusent ensuite de les indemniser, étouffent les cas de harcèlement sexuel, d’agression et de viol. Ils ont recours au harcèlement managérial, à la manipulation psychologique – y compris la pseudo-science de la psychologie positive – et à l’intimidation pour asseoir leur domination et garantir l’obéissance. Ils licencient des travailleurs pour avoir exprimé des opinions politiques de gauche sur les médias sociaux ou lors d’événements publics en dehors de leurs heures de travail. Ils licencient ceux qui portent plainte ou expriment publiquement des critiques sur leurs conditions de travail. Ils contrecarrent les tentatives d’organisation syndicale, licencient sans ménagement les travailleurs âgés et imposent des clauses contractuelles de « non-concurrence », ce qui signifie qu’en cas de départ, les travailleurs ne pourront pas faire valoir leur expérience et postuler pour d’autres employeurs du même secteur. Près de la moitié des professions techniques exigent désormais que les travailleurs signent des clauses de non-concurrence, et cette pratique s’est étendue aux emplois à bas salaires, notamment dans les salons de coiffure et les restaurants.
Plus les salaires sont bas, plus les conditions sont abusives. Les travailleurs des secteurs de l’alimentation et de l’hôtellerie, de l’agriculture, de la construction, des services domestiques, des centres d’appels, de l’industrie du vêtement, des entrepôts, de la vente au détail, des services de pelouse, des prisons, de la santé et d’aide à la personne sont les plus touchés. Walmart, par exemple, qui emploie près de 1 % de la main-d’œuvre américaine (1,4 million de travailleurs), interdit les conversations de couloir qu’il qualifie de « vol de temps ». Le géant de l’industrie alimentaire Tyson empêche ses travailleurs de prendre des pauses toilette, ce qui les oblige à uriner sur eux-mêmes ; en conséquence, certains travailleurs doivent porter des couches. Les travailleurs plus âgés et intérimaires qu’Amazon emploie souvent sont soumis à des cadences exténuantes de 12 heures d’affilé au cours desquelles les moindres faits et gestes de l’employé sont scrutés électroniquement en vue de maintenir la productivité horaire. Certains travailleurs d’Amazone marchent des kilomètres sur un sol en béton et doivent souvent s’agenouiller pour faire leur travail. Ils souffrent souvent de blessures handicapantes suite à cela. Les employés blessés signent des décharges (indiquant que les blessures constatées ne sont pas liées au travail) avant de se faire licencier. Deux tiers des travailleurs des secteurs à bas salaires sont victimes de vols de salaires, perdant un montant estimé à 50 milliards de dollars par an. De 4 à 14 millions de travailleurs américains, sous la menace de réductions salariales, de fermetures d’usines ou de licenciements, ont subi des pressions de la part de leurs employeurs pour soutenir des candidats et des causes politiques favorables aux entreprises.
Les sociétés qui régissent la vie des travailleurs américains constituent ce que Elizabeth Anderson, professeure de philosophie à l’Université du Michigan, appelle les « gouvernements privés ». Ces « gouvernements sur le lieu de travail », écrit-elle, sont des « dictatures dans lesquelles les patrons gouvernent sans rendre des comptes à ceux qui sont gouvernés. Ils ne gouvernent pas seulement les travailleurs : ils les dominent ». Ces sociétés ont le pouvoir légal, écrit-elle, « de réglementer également la vie des travailleurs en dehors des heures de travail – leurs activités politiques, leur discours, le choix de leur partenaire sexuel, l’usage de drogues récréatives, l’alcool, le tabagisme et l’exercice. Parce que la plupart des employeurs exercent ce pouvoir en dehors des heures de travail de façon irrégulière et sans avertissement, la plupart des travailleurs ne sont pas conscients de l’ampleur de ce pouvoir. »Lire la suite

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