Le fonctionnement de la doxa

Laurent Obertone sur les journalistes, la doxa et monsieur "Moyen".
La vidéo de Laurent Obertone est très intéressante, ce qui a retenu particulièrement mon attention, c'est ce passage à 5 Mn :

"Si vous ne pensez pas correctement, si vous envisagez de faire un amalgame, par exemple, vous vous demandez si vous ne risquez pas d'être mis à l'index, exclu de votre groupe, on a tellement peur d'être exclu de son groupe de proche, d'amis, de travail, qu'on a tendance à prononcer des opinions, des jugements, conformes. Moi, c'est un de mes sports favori, mais tout le monde n'aime pas gâcher les repas de famille, quand tonton Fernand se met à dire que : "les immigrés ça commence à bien faire"
Et qu'à ce moment tata Brigitte s'énerve en disant :
"c'est scandaleux ! On ne peut pas dire ça ..... !"
Là des alarmes s'allument dans notre tête, on se dit :"le sujet et extrêmement sensible, il y a des risques, ma position sociale est en jeu." "

Voilà une situation typique se produisant dans un repas de famille, mais aussi bien dans un autre cadre social comme l'usine, une réunion de travail ou un bistrot, ...
Mais dans les repas de famille, en effet, c'est toujours tonton qui se plaint des immigrés et c'est toujours tata qui l'interrompt brutalement en disant :

Mais ils ne sont pas tous comme ça !
ou :
Mais ils ne sont pas tous pareil.
Mais c'est un scandale de dire ça.
Mais c'est du racisme de dire ça.
Mais ce sont des hommes et des femmes comme nous.
Mais c'est le même sang rouge qui coule dans leurs veines.
Mais il ne faut pas faire des amalgames.
Mais il ne faut pas tout mélanger.
Ect ... Au choix.

Pour comprendre ce qui se passe à ce moment-là, il faut en revenir en arrière -------------------- Grèce : VI eme siècle avant JC ---------------------- Poème de Parménide sur l'opinion commune des hommes :

« Apprends donc toutes choses, Des opinions des mortels, Il n'est rien qui soit vrai ni digne de crédit. » La Vérité est « le chemin auquel se fier » ; l'autre voie de recherche est : « un sentier où ne se trouve absolument rien à quoi se fier ».

Socrate, Au sophiste Hippias, il affirme que :

" le grand nombre ne connaît pas la vérité." "J'ai un principe, c'est de ne me laisser persuader que par une raison unique, […] C'est à elle qu'il faut s'en remettre pour décider de ce que l'homme doit faire, et non pas à cette opinion du grand nombre, incapable de rendre un homme ni sensé ni insensé, et qui n'obéit qu'au hasard. »

Il s'agit donc de ce qui les Grecs appelaient : doxa. "Le chemin de l'apparence – l'opinion, la doxa. C'est, dit Parménide, le chemin toujours pratiqué, la voie facile suivie par la majorité des humains." Dans la philosophie de Parménide, la doxa est "l'opinion commune" de la majorité des hommes, avec l'idée d'opinion confuse, incertaine. C'est ce que pense l'homme de la rue. Selon wiki :

"Le terme de doxa désigne l'opinion, l'avis ou le jugement ; et dans un sens étendu la réputation. Le mot doxa tire son origine du grec "dokéo" qui signifie sembler, paraître ou avoir l'apparence. Selon Pierre Jacerme, "doxa" trouverait son origine dans le terme grec "dokein", qui désigne le fait de briller, de scintiller, de se refléter dans quelque chose."

Par la suite Aristote a étudié les sciences syllogistiques, et définit la dialectique comme la science syllogistique dont les prémisses sont probables ; en ajoutant que la matière de la dialectique c'est la doxa. Les traducteurs récents d'Aristote, pour des raisons de compréhension, plutôt que d'utiliser les mots probable et improbable, ont préféré traduire par : endoxal (dans la doxa), paradoxal (opposé à la doxa), et adoxal (ni l'un ni l'autre). Selon Aristote :

"Sont probables (donc endoxales) les opinions qui sont reçues par tous les hommes, ou par la plupart d'entre eux, ou par les sages, et parmi ces derniers, soit par tous, soit par la plupart, soit enfin par les plus notables et les plus illustres." Topiques.

L'endoxe, c'est l'idée admise spontanément, ce a quoi on peut opiner, donner son accord. Il y a une idée de facilité, ce sont les opinions qui nous viennent sans y penser. L'endoxe tient de l'opinion : "L'opinion est une connaissance douteuse qui n'est pas sans apparence et sans fondement, mais qui n'a point de certitude" Logique de Port Royal :

"Parmi les choses qu'on ne sait pas, il y en a qu'on croit sur le témoignage d'autrui, c'est ce qui s'appelle foi ; il y en a sur lesquelles on suspend son jugement, et avant et après l'examen, c'est ce qui s'appelle doute ; et, quand dans le doute on penche d'un côté plutôt que d'un autre, sans pourtant rien déterminer absolument, cela s'appelle opinion."

Le résultat de tout ceci, dans la morale à Eudème d'Aristote :

" Des théories antérieures : Il ne faut pas tenir compte des opinions du vulgaire ; il ne faut étudier que celles des sages. — Il est plus conforme à la raison et plus digne de Dieu de croire que le bonheur dépend des efforts de l'homme, plutôt que de croire qu'il est le résultat du hasard ou de la nature. § 1. Il serait fort inutile d'examiner une à une toutes les opinions émises à ce sujet. Les idées qui passent par la tête des enfants, des malades ou des hommes pervers, ne méritent pas l'attention d'un esprit sérieux. Il n'est que faire de raisonner avec eux. Mais les uns n'ont besoin que de quelques années de plus qui les changent et les mûrissent ; les autres ont besoin du secours de la médecine, ou de la politique qui les guérit ou les châtie ; car la guérison que procurent les châtiments n'est pas un remède moins efficace que ceux de la médecine. § 2. De même non plus, il ne faut pas en ce qui regarde le bonheur considérer les opinions du vulgaire. Le vulgaire parle de tout avec une égale légèreté, et particulièrement de (? illisible) ; il ne faut tenir compte que de l'opinion des sages. Ce serait un tort que de raisonner avec des gens qui n'entendent pas la raison, et qui n'écoutent que la passion qui les entraîne. "

* * * * * * * * * * * * * * * * * * * * Mais aujourd'hui, contrairement à ce qui se passait du temps d'Aristote, la doxa ne se forme plus sur l'Agora ou par le bouche à oreille, mais ce sont les journalistes qui ont pris la place des sages. La majorité des gens croit véridique ce qui vient des journalistes. Depuis l'invention de la radio et de la télévision, ce sont les journalistes qui imposent une doxa à l'opinion publique, une pensée officielle, dominante, majoritaire, qu'on retrouve aujourd'hui sous la forme du politiquement correct, et à laquelle la majorité des Français adhèrent. Les journalistes sont les amis ou les employés d'une certaine oligarchie. Cette oligarchie cherche à imposer certaines idées à la majorité. Le rôle des journalistes est de fournir aux simples d'esprit les arguments qui leur permettront de soutenir en public les opinions politiquement correct (endoxales). Ainsi quand tata Brigitte contredit tonton Fernand, elle le fait en utilisant les arguments (propositions vraisemblables) qui lui sont fournis par les journalistes. Il y a derrière tata Brigitte toute une ingénierie sociale qui s'évertue à fournir des arguments de ce type, de telle sorte que le politiquement correct soit inattaquable, irréfutable ; Car ce sont des arguments d'autorité qui s'appuient l'opinion de tous, celle des sages et celle des experts (les journalistes). Faudrait-il donc s'évertuer à combattre les opinions de tata Brigitte, ou bien faut-il plutôt suivre les conseils d'Aristote : "Il ne faut pas tenir compte des opinions du vulgaire" car : "Ce serait un tort que de raisonner avec des gens qui n'entendent pas la raison, et qui n'écoutent que la passion qui les entraîne." ? Toujours est-il que ce problème d'opinion erronée du vulgaire, trouverait plutôt sa source du coté des journalistes.
Voir en ligne : https://www.agoravox.tv/IMG/jpg/obertone-doxa.jpg

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