Intolérable liberté !

La plupart des hommes, voire la quasi-totalité d'entre eux, ne souhaitent pas la liberté mais l'illusion de la liberté. La crise du Covid-19 avec cette période de confinement nous le rappelle cruellement : jamais, même en période de guerre, les français n'ont subi une telle restriction de leurs libertés individuelles et c'est avec leur assentiment complet, et même exigé, que cette restriction a pu se faire en un temps record. "Mais c'est normal !" me rétorquera-t-on "quand la sécurité sanitaire est en jeu, il est indispensable de confiner les gens, même en restreignant considérablement leur liberté" répète-t-on en boucle sur l'ensemble des chaînes d'information. Fin de la discussion ! Et personne, absolument personne, y compris parmi les gens les plus opposés au gouvernement, internet compris, ne conteste sérieusement ce choix. La raison de cet assentiment est toute simple : quand il faut choisir entre notre sécurité personnelle et notre liberté, nous préférerons toujours préserver notre sécurité. Et j'avoue en toute franchise que je fais aussi partie du lot, je n'ai malheureusement pas moi-même le courage de cette authentique liberté qui s'apparente en quelque sorte à un "saut dans le vide". C'est l'intellectuel Jacques Ellul (1912-1994), l'un des premiers grands critiques de la technique, et de ce qu'il a lui-même nommé "le système Technicien" qui propose ici une réflexion. Ellul était un personnage qui cultivait le paradoxe : biberonné à la culture marxiste (ou "marxienne" si' l'on est puriste), il était également chrétien et considérait que seule une véritable transcendance pouvait nous libérer de l'emprise de la Technique. Il nous livre ici dans cette vidéo une belle réflexion sur le sens de l'authentique liberté et sur le refus des hommes de véritablement la désirer, préférant toujours préserver leur sécurité. La leçon de Cyrano ! En parallèle de la réflexion philosophique, nous pouvons aussi penser la liberté au-travers de la poésie, tant il apparaît qu'on s'exprime souvent bien mieux en vers qu'en prose ! Voici ce que nous enseigne le personnage de Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand sur l'authentique liberté. Une formidable leçon ! " Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ?
Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? Se changer en bouffon
Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? Une peau
Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?…
Non, merci. D'une main flatter la chèvre au cou
Cependant que, de l'autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir un encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
Non, merci ! Se pousser de giron en giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?
Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy
Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !
S'aller faire nommer pape par les conciles
Que dans les cabarets tiennent des imbéciles ?
Non, merci ! Travailler à se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non,
Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ?
Être terrorisé par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse : « Oh, pourvu que je sois
Dans les petits papiers du Mercure François ? »…
Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,
Préférer faire une visite qu'un poème,
Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! non, merci ! non, merci !
Mais… chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, – ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d'en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Bref, dédaignant d'être le lierre parasite,
Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !

Voir en ligne : https://www.agoravox.tv/IMG/jpg/ellul-liberte.jpg

Source