Fin de la séparation des pouvoirs et justice sous contrôle ?

Anaïs-Nathalie Huéber est étudiante en droit et en économie. Passionnée d’histoire et de géopolitique, elle porte une attention toute particulière aux questions relatives à l’écologie, à la croissance, au développement soutenable et à la finitude des ressources naturelles.

Seulement 55 % des français déclaraient avoir confiance dans la justice, et seulement 60 % estimaient que les juges étaient indépendants en 2014 selon le ministère de la justice.
C’est à la suite d’un courrier de la Cour de cassation du 6 décembre qu’un décret pris en toute discrétion sort de l’ombre. Manuel Valls, ancien Premier ministre, laisse dans les cartons de son successeur Cazeneuve les germes d’un scandale moins de vingt-quatre heures avant sa démission. Dans ce décret datant du 5 décembre 2016 et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2017, il est question de créer une « Inspection générale de la justice » placée « auprès du garde des sceaux ».
Selon les articles du décret, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2017, les pouvoirs de cette « Inspection » seront les suivants :
— Un pouvoir général « d’inspection, de contrôle, d’étude, de conseil et d’évaluation sur l’ensemble des organismes, des directions, établissements et services du ministère de la justice et des juridictions de l’ordre judiciaire » (article 2 du décret).
Le Palais de Justice, à Paris, où siègent le tribunal de grande instance, la cour d’appel et la Cour de cassation.
— Un pouvoir de recommandation et d’observation : elle pourra « appréci[er] l’activité, le fonctionnement et la performance des juridictions, établissements, services et organismes soumis à son contrôle » (article 2). Un pouvoir actif de « contrôle » — absolument discrétionnaire — d’une juridiction : « Elle peut demander aux chefs de cour, au secrétaire général du ministère de la justice et aux directeurs des services judiciaires, de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse d’user de leur pouvoir de contrôle à l’égard d’une juridiction » (article 4).
— Un pouvoir général d’investigation, de vérification et de contrôle sur les juridictions, directions, établissements, services et organismes « les membres de l’inspection disposent d’un pouvoir général d’investigation, de vérification et de contrôle sur les juridictions, directions, établissements, services et organismes mentionnés à l’article 2 », et ils pourront « convoquer et entendre, notamment, les magistrats et fonctionnaires […] » tout en ayant un « libre accès aux juridictions, directions, établissements et services soumis à leur contrôle » (article 16).
Cette Inspection n’est pas un organisme autonome, elle demeure sous l’autorité du gouvernement et peut rendre des comptes jusqu’au Premier Ministre même : « l’inspection générale peut également recevoir du Premier ministre toute mission d’information, d’expertise et de conseil ainsi que toute mission d’évaluation des politiques publiques, de formation et de coopération internationale » (article 6). Même l’Union européenne ou d’autres pays étrangers pourront expertiser à leur guise notre justice : « Le garde des sceaux peut autoriser l’inspection générale à effectuer ces missions à la demande de fondations ou d’associations, d’États étrangers, d’organisations internationales ou de l’Union européenne » (article 6).
Enfin, la composition de cette Inspection générale de la justice ne se composera pas uniquement de magistrats — qui lui garantiraient une certaine indépendance (quoique le syndicat de la magistrature se soit déjà illustré dans l’impartialité avec son « mur des cons »…) — puisqu’une partie de ses membres devront provenir soit de l’ENA soit de « cadres d’emplois de même niveau » (article 8). Qu’importe qu’ils soient juges, magistrats, fonctionnaires des services de justice ou non du moment que leur couleur politique revient au recruteur qui sera sans doute le garde des sceaux — mais de cela, le décret ne dit mot.
Le Palais de justice, vu depuis le quai de l’Horloge.
Si l’idée d’une Inspection générale des impôts, ou d’une Inspection générale de la police nationale va de soi, une inspection générale de la justice ne s’entend pas de la même oreille. En effet, si la police est placée directement sous le commandement du ministre de l’Intérieur et parfois même sous celui du Premier ministre, et si nos impôts font partie de politiques budgétaires décidées par l’Assemblée nationale, le règlement des litiges judiciaires ne peut faire l’objet d’une ingérence déraisonnable des deux autres pouvoirs (législatifs et exécutifs), condition nécessaire pour former un système démocratique et républicain si l’on veut se montrer fidèle à la pensée de Rousseau et Montesquieu. Or, insérer des organismes de contrôle supplémentaires (il y a déjà le Conseil supérieur de la magistrature et la Cour des comptes — toutefois indépendants — et le garde des sceaux !) enserrant le pouvoir judiciaire menace son indépendance vitale.
Cette création résulte certainement d’une incapacité de légiférer à tout va pour le pouvoir en place. En effet, l’Inspection permettrait d’orienter les interprétations des juridictions dans le sens du gouvernement en intimidant les juges, mais aussi d’orienter les politiques pénales par le biais des décisions de justice, en contrôlant directement les acteurs de la justice (centre pénitenciers, greffiers, etc.).
En somme, cette Inspection nullement autonome, nullement indépendante, munie de pouvoirs aussi flous que possible, renforçant la domination de l’exécutif sur le judiciaire, pourra elle-même taper du poing sur la table pour dicter sa vérité à notre autorité judiciaire, acteur majeur de notre société.
Volonté de Valls de mettre en porte-à-faux son successeur et le Président dans une course à l’Elysée, ou tout simplement réflexe compulsif dictatorial du personnage ? Cette rupture avec la « tradition républicaine », comme l’a qualifiée la Cour de cassation, signe d’une tentative de baroud d’honneur, n’est certainement pas une stratégie des plus efficaces dans un système démocratique en crise où les peuples, à l’aube du Brexit et de la victoire de Trump, rejettent les élites déconnectées, par manque de confiance en elles.
Anaïs-Nathalie Huéber
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