Fillon-De Castries, vers une « gouvernance » Bilderberg

Levée de fonds d’un Bilderberg à Manhattan

C’est au prestigieux et très discret Links Club de New-York, lors d’un cocktail organisé par ses soins durant un voyage express les 8 et 9 septembre derniers,  qu’Henri de Castries, président du comité de direction du Groupe Bilderberg depuis 2012, avait présenté son ami François Fillon à un parterre international de patrons et de banquiers, afin de lever des fonds pour assurer le financement de sa campagne. La victoire à la primaire de la droite se monnaye. Gros succès : par le biais de ce cocktail, de l’activation de ses réseaux et de l’organisation d’événements divers, Henri de Castries est parvenu à récolter près de 3 millions d’euros pour financer la campagne interne de François Fillon.

Du Bilderberg au gouvernement français ?

Henri de Castries venait alors de céder son poste de PDG du deuxième groupe d’assurances au monde, AXA. Si certains ont d’abord voulu voir dans cette décision prise le 21 mars dernier la marque d’un projet d’envergure de l’assureur au sein de la banque HSBC dont il est devenu administrateur non exécutif, d’autres y voient désormais la manifestation de la profondeur de son engagement auprès de François Fillon. Certains médias de grand chemin n’hésitent pas à évoquer l’éventualité de l’attribution d’un ministère à Henri de Castries pour bons et loyaux services en cas de victoire finale de Fillon. Bercy et même Matignon ont été évoqués comme autant de portefeuilles potentiellement réservés par le présidentiable pour son ami financier. L’attribution du ministère des Affaires étrangères a également été suggérée.

Un ministre de l’économie qui serait « formidable »

 « Ce serait quand même formidable d’avoir un ministre de l’Économie qui soit reconnu comme compétent dans son domaine », avait déclaré Fillon lui-même à propos de Castries lors d’un meeting à Caen le 21 octobre. Que le président du comité de direction du Groupe Bilderberg obtienne finalement un poste de ministre ou non en cas de victoire de Fillon, il aura nécessairement à sa disposition l’oreille attentive du prince. C’est en ce sens qu’on peut parler de « gouvernance » Bilderberg, comme on peut parler de gouvernement Goldman Sachs pour les institutions saturées d’« éminences grises » inféodées à la puissante banque d’affaires. La situation ne serait pas nouvelle, puisque de Catsries avait déjà œuvré aux victoires de Sarkozy et de Hollande, son camarade de la promotion voltaire de l’ENA (1979).

Du gouvernement étatique à la « gouvernance » surpa-nationale

Pourquoi parler de « gouvernance » plutôt que de gouvernement ? Parce que l’imposition du terme même de « gouvernance » dans le langage politique correspond à un projet précis, qui ne vise pas spécialement l’intégration des gouvernements par les membres du Club. Le champ sémantique de la « gouvernance » s’est propagé dans les écoles de commerce et les instituts de sciences politiques anglo-saxons entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, précisément à l’époque où la promotion Voltaire faisait ses classes à l’ENA, dans la mouvance du « new public management », ou « nouvelle gestion publique » qui prône la décentralisation du rôle de l’État dans la gestion des affaires de la société.
La banalisation du concept de « gouvernance » implique la refondation des structures publiques d’organisation de la société sur le modèle de la gestion privée. Ce mode de gestion utilise les apparats d’un gouvernement participatif fondé sur l’application du principe de subsidiarité (l’entité sociale la plus petite gère les tâches les plus spécifiques tandis que l’entité la plus large se charge de piloter l’ensemble) pour imposer des échelons de prise de décision parallèles à ceux du processus démocratique, du suffrage universel et de la souveraineté populaire.
Les projets de réforme de François Fillon, concernant l’économie en général et le travail en particulier, vont tout à fait dans le sens de ce type de « gouvernance »:

Cooptation ou intégration ?

Il s’agit donc moins pour ces décisionnaires issus de structures parallèles à celles du gouvernement d’intégrer eux-mêmes les gouvernements, que de coopter les dirigeants afin de les rendre sensibles aux impératifs de la « gouvernance ». Ainsi, en 2007, Henri de Castries avait déjà refusé le ministère de l’Économie et des Finances que lui proposait Nicolas Sarkozy. Si Fillon le lui re-propose, il n’est pas dit qu’il ne le refuse pas de nouveau. Nul besoin de se tuer à la tâche, si Fillon s’engage à mener par lui-même la « Blitzkrieg  » antidémocratique évoquée avec enthousiasme devant le grand patronat français.
L’objectif est parallèle à celui de l’intégration du gouvernement. Les petits jeux du théâtre parlementaire, même sous l’impulsion du 49.3, réfrènent bien souvent l’ambition des négociateurs les plus chevronnés. De Castries sait que le chemin le plus court vers l’oreille du prince ne passe pas forcément par un poste de ministre. Toutefois, les moyens du ministère pourraient servir les fins de la « gouvernance ». D’ici à mai 2017, il aura tout le loisir de réfléchir à la (pro)position qui lui paraîtra la plus avantageuse.

Entre gens de bonne compagnie

C’est de Castries qui déjà, du 6 au 9 juin 2013, avait permis à François Fillon d’assister au colloque annuel du Club Bilderberg à Herdfodshire en Grande-Bretagne. Il y avait retrouvé une ancienne ministre du Budget et une ex ministre de l’Économie des gouvernements dont il avait eu la charge : Valérie Pécresse, aujourd’hui présidente du conseil régional d’Île-de-France, et Christine Lagarde, devenue présidente du FMI. Six autres Français avaient alors participé au colloque. Le Cercle des Volontaires avait alors couvert l’événement. Déjà sollicité par le club, Fillon avait refusé de s’y représenter dans l’exercice de ses fonctions de premier ministre.

La direction du Bilderberg reçue à Matignon en 2011

Néanmoins, selon L’Obs, Henri de Castries avait organisé dès novembre 2011 à Matignon, une rencontre entre le premier ministre Fillon et une trentaine de membres du comité de direction du groupe Bilderberg. Étaient alors accueillis dans l’hôtel de la république : le patron de Goldman Sachs Peter Sutherland, le directeur de la banque Lazard Ken Jacobs, le maître à penser des néoconservateurs états-uniens Richard Perle, le patron de Shell Jorma Ollila, le futur chef du gouvernement italien, également coopté par Goldman Sachs Mario Monti, la présidente du musée d’art moderne de New-York Marie-Josée Kravis, épouse de Henry Kravis, propriétaire d’un fonds d’investissement états-unien.
Il semblerait absurde de déduire de tout ceci que le comité de direction du Groupe Bilderberg structure à lui tout seul le pouvoir mondial. Néanmoins, rien ne nous autorise à lui attribuer moins de pouvoir que François Fillon, premier ministre de la république française, ne lui en donnait lui-même en invoquant son conseil sous les ors de Matignon en novembre 2011. Pour ceux qui n’auraient qu’une vague idée de ce que le groupe Bilderberg représente , voici le documentaire le plus abouti à ce jour en ce qui le concerne, produit par la chaîne canadienne Historia en 2011.

Galil Agar
 
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