[Fake journalisme] Le comploutinisme, ce “spectre” qui hante les médias

Dans notre série “Analyse critique des médias”, option “Donne-nous aujourd’hui notre Le Pen de ce jour” (que je ne soutiens en rien, je le rappelle… Notez aussi que ce n’est pas moi qui parle de Marine Le Pen toutes les 12 minutes, hein…), l’éditorial du Monde du 25 mars, disponible ici.
Comme d’habitude, je vous en propose un lecture d’un trait, et ensuite je la commente :

I. L’article original

Le poutinisme, ce spectre qui hante l’Europe

Editorial. En recevant vendredi Marine Le Pen, Vladimir Poutine poursuit sa politique de déstabilisation de l’ordre continental qui garantit la paix en Europe occidentale depuis 1945.
Editorial du « Monde ». Le calendrier n’est pas anodin, Vladimir Poutine et Marine Le Pen sont trop fins politiques pour cela. Au moment où les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne se rendaient à Rome pour célébrer le soixantième anniversaire du traité de Rome, qui fonda l’Union européenne, la candidate française de l’extrême droite était reçue au Kremlin. Par Vladimir Poutine lui-même.
Le président russe a bien fait les choses : poignée de main, une heure et demie d’entrevue, dont le début était filmé, dans la grande tradition du Kremlin, pour donner le sentiment que les dirigeants n’ont rien à cacher aux citoyens. Et un soutien à peine déguisé à Marine Le Pen, un mois avant le premier tour de l’élection présidentielle française. Certes, le président russe a prétendu qu’il ne voulait nullement intervenir dans le cours des choses, mais il s’est déclaré « très heureux » de rencontrer ­Marine Le Pen et a salué en elle la représentante d’un « spectre politique en Europe qui croît rapidement ».
Ce spectre qui hante l’Europe, c’est celui de la déstabilisation et, à terme, de la destruction de l’ordre continental, qui garantit la paix en Europe occidentale depuis 1945. Car qu’est-ce que Poutine, le modèle que promeut Marine Le Pen ? Un régime très autoritaire, qui assassine ses opposants ; le viol des règles internationales avec l’annexion de la Crimée ; le soutien au régime syrien de Bachar Al-Assad, dont les crimes ont plus nourri le terrorisme djihadiste qu’ils ne l’ont combattu ; le repli ethnico-religieux, sur la chrétienté blanche, qui incarnerait la vraie Europe face à un Occident décadent.
Le poutinisme, c’est aussi le retour aux bonnes vieilles méthodes de déstabilisation, de l’Ukraine au Caucase, et le rappel de la doctrine Brejnev : la « souveraineté limitée » des voisins de la Russie.

Le recroquevillement national

Ce serait le destin de la France de Marine Le Pen. Nul n’est dupe, lorsque la candidate d’extrême droite se réclame de De Gaulle, « pour que la France retrouve sa souveraineté, sa liberté et sa politique étrangère harmonieuse ». Elle exploite l’antiaméricanisme historique du Général, qui rêvait d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural.
Mais, derrière les mots, le modèle de Marine Le Pen signifierait le recroquevillement national conjugué à la soumission aux puissances, russe mais aussi américaine. A cet égard, la visite, début janvier à New York, de la candidate à la Trump Tower donne une image plus juste de ce que serait une France disqualifiée par l’extrême droite : une Marine Le Pen contemplant le marc de café, rêvant d’une entrevue avec le président, qui n’a pas daigné la recevoir.
L’avenir et la liberté de la France se situent en Europe. Ce week-end, cet esprit était à Rome. L’UE, que l’on disait morte, a survécu à trois drames existentiels : la crise de l’euro, l’afflux des réfugiés et le Brexit, qui sera enclenché la semaine prochaine. Reste à endiguer la vague populiste. Les électeurs sont en passe de reprendre leurs esprits. A l’automne, les Autrichiens ont refusé d’élire un président d’extrême droite. Aux Pays-Bas, l’islamophobe Geert Wilders a subi une sévère déconvenue. La dernière étape est l’élection française.
Forts de ce mandat populaire, les dirigeants européens auront à réinventer la belle promesse du préambule du traité de Rome : « établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens ». Sous une forme renouvelée mais avec la même ambition de fraternité européenne.
Source : Le Monde, 25 mars 2017

II. L’article commenté

Le poutinisme, ce spectre qui hante l’Europe

Notez bien le mot “spectre”, on y reviendra

Editorial. En recevant vendredi Marine Le Pen, Vladimir Poutine poursuit sa politique de déstabilisation de l’ordre continental qui garantit la paix en Europe occidentale depuis 1945.

Chapô parfaitement tempéré, tout à fait dans le style habituel du Monde. Ne nécessite donc aucun fact-checking des Décodeurs. On ne parlera donc ni de la guerre froide, ni de la guerre de Yougoslavie…

Editorial du « Monde ». Le calendrier n’est pas anodin, Vladimir Poutine et Marine Le Pen sont trop fins politiques pour cela.

Comploootisme !

Au moment où les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne se rendaient à Rome pour célébrer le soixantième anniversaire du traité de Rome, qui fonda l’Union européenne, la candidate française de l’extrême droite était reçue au Kremlin. Par Vladimir Poutine lui-même.

Comploootisme !

Le président russe a bien fait les choses : poignée de main,

Quel manipulateur ce Poutine !

une heure et demie d’entrevue, dont le début était filmé, dans la grande tradition du Kremlin, pour donner le sentiment que les dirigeants n’ont rien à cacher aux citoyens.

Alors que, chez, nous, les dirigeants n’ayant évidemment rien à cacher aux citoyens, on ne filme rien. CQFD

Et un soutien à peine déguisé à Marine Le Pen, un mois avant le premier tour de l’élection présidentielle française. Certes, le président russe a prétendu qu’il ne voulait nullement intervenir dans le cours des choses,

Voici le début du Verbatim des propos du président Poutine sur le site du Kremlin, recevant donc la Présidente du parti qui a reçu le plus de voix aux dernières Européennes :
“Mme Le Pen, ce n’est pas votre première fois à Moscou, et je suis heureux de vous accueillir ici. Je sais que vous êtes venu à l’invitation de la Douma d’Etat – le parlement de la Fédération de Russie.
Nous accordons beaucoup de valeurs à nos relations avec la France et essayons de maintenir de bonnes relations tant avec le gouvernement en place qu’avec l’opposition.
Je suis bien sûr au courant de la campagne électorale en cours en France. En aucun cas, nous ne voulons influencer les événements au fur et à mesure qu’ils se déroulent, mais nous nous réservons le droit de discuter avec tous les représentants de toutes les forces politiques en France, tout comme le font nos partenaires en Europe et aux États-Unis.”

mais il s’est déclaré « très heureux » de rencontrer ­Marine Le Pen

C’est vrai que nous avons un des rares présidents de la Planète à offenser les gens qu’il va rencontrer, mais enfin, ce n’est pas la règle ailleurs. Il est donc rare qu’un Président dise à l’invité “Ca m’emmerde un peu de vous rencontrer, j’avais piscine normalement…”
Quand Hollande reçoit en 2014 le Prince Salman des Coupeurs de têtes, il a dit : “Altesse, C’est un honneur de vous recevoir, ici, au Palais de l’Elysée. Vous êtes un ami de la France. […] Vive l’Arabie Saoudite ! Vive la France ! Vive l’amitié entre l’Arabie Saoudite et la France !

et a salué en elle la représentante d’un « spectre politique en Europe qui croît rapidement ».

Notez, encore, on y reviendra.

Ce spectre qui hante l’Europe,

Notez, encore. Le “jeu de mots” était attendu, vu la phrase précédente…

c’est celui de la déstabilisation et, à terme, de la destruction de l’ordre continental, qui garantit la paix en Europe occidentale depuis 1945.

Déjà commenté. c’est beau ce genre de “garantie”, sachant que ces personnages ont simplement failli déclencher une guerre nucléaire en 1962

Car qu’est-ce que Poutine, le modèle que promeut Marine Le Pen ?

Sérieusement, ils ont vraiment écrit dans l’éditorial “qu’est-ce que Poutine” ?

Un régime très autoritaire, qui assassine ses opposants ; le viol des règles internationales avec l’annexion de la Crimée ; le soutien au régime syrien de Bachar Al-Assad, dont les crimes ont plus nourri le terrorisme djihadiste qu’ils ne l’ont combattu ; le repli ethnico-religieux, sur la chrétienté blanche, qui incarnerait la vraie Europe face à un Occident décadent.
Le poutinisme, c’est aussi le retour aux bonnes vieilles méthodes de déstabilisation, de l’Ukraine au Caucase, et le rappel de la doctrine Brejnev : la « souveraineté limitée » des voisins de la Russie.

Inutile de commenter à ce niveau-là. J’imagine que les Décodeurs n’ont pas le temps de fact-checker le “un régime qui assassine ses opposants”… Ah oui, sinon, il y a 20 millions de musulmans en Russie, hein…

Le recroquevillement national

Ce serait le destin de la France de Marine Le Pen. Nul n’est dupe, lorsque la candidate d’extrême droite se réclame de De Gaulle, « pour que la France retrouve sa souveraineté, sa liberté et sa politique étrangère harmonieuse ». Elle exploite l’antiaméricanisme historique du Général,

USA qui le lui rendaient bien…

qui rêvait d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural.

Ce qui n’est pas le rêve du Monde vu sa russophobie, on l’aura compris…

Mais, derrière les mots, le modèle de Marine Le Pen signifierait le recroquevillement national conjugué à la soumission aux puissances, russe mais aussi américaine.

Tiens, un vrai effet de Trump : le Monde ne veut plus que la France se soumette aux États-Unis maintenant ! Peut-être va-t-il alors sanctionner les journalistes Young Leaders de la French American Foundation en son sein alors ?

A cet égard, la visite, début janvier à New York, de la candidate à la Trump Tower donne une image plus juste de ce que serait une France disqualifiée par l’extrême droite : une Marine Le Pen contemplant le marc de café, rêvant d’une entrevue avec le président, qui n’a pas daigné la recevoir.

Alors là, je demande un fact-checking ! Trump a-t-il refusé de recevoir MLP ? On verra à la fin.

L’avenir et la liberté de la France se situent en Europe.

Fluuute, moi qui pensait qu’ils se situaient en Australie !

Ce week-end, cet esprit était à Rome.

Quelqu’un a des photos de l’Esprit prises ce week-end ?

L’UE, que l’on disait morte, a survécu à trois drames existentiels : la crise de l’euro,

réglé – enfin presque

l’afflux des réfugiés et le Brexit,

réglé – enfin presque

qui sera enclenché la semaine prochaine.

réglé – enfin presque, vu qu’il n’a même pas commencé…

Reste à endiguer la vague populiste.

trop facile

Les électeurs sont en passe de reprendre leurs esprits.

Eh oui, les pauvres, les gens qui souffrent, et qui votent pour ces partis, c’est qu’ils ont perdu la tête !

A l’automne, les Autrichiens ont refusé d’élire un président d’extrême droite.

Eh oui, 47 % des voix pour le candidat d’extrême-droite, tout va bien !

Aux Pays-Bas, l’islamophobe Geert Wilders a subi une sévère déconvenue.

Eh oui, le type a a gagné 5 sièges , c’est donc une “sévère déconvenue” !
Vous notez au passage le cirque médiatique qui a duré deux semaines, et dont je n’ai pas eu le temps de parler. Le Parlement local est élu à la proportionnelle ; ce parti a fait 6 % des voix en 2006, 15 % en 2010, 10 % en 2012 et donc 13 % en 2017 ; il n’a guère d’alliés de poids. C’est dire comme il était aux portes du pouvoir ! Après, quand les médias s’agitent sur je ne sais quelle base pour dire qu’il y a un grand danger, et quand du coup  les types ne gagnent “que” 3 %, tout le monde est content, on  évité le 4e Reich… Et puis on m’expliquera pourquoi on s’est tant agité pour les Pays-Bas (amitis aux lecteurs), avec un si petit risque – et assez peu en comparaison pour l’Autriche par exemple, et pas du tout pour l’Ukraine…

La dernière étape est l’élection française.
Forts de ce mandat populaire, les dirigeants européens auront à réinventer la belle promesse du préambule du traité de Rome : « établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens ». Sous une forme renouvelée mais avec la même ambition de fraternité européenne.

Comment on dit “fraternité européenne” en grec ?

Source : Le Monde, 25 mars 2017

III. Le café à la Trump Tower

Dommage, le Monde devrait mieux lire : Le Monde, 12/01/2017




Bon, ok, on est mieux informé en lisant Paris Match :


Marine Le Pen a confirmé sur BFM, comme le rapporte, agacée, Europe 1 :


Bref, encore une information de qualité…

IV. Le spectre

Allez, un dernier point amusant.
En russe, Poutine a dit ceci (Source : Kremlin, version russe) :


Знаю, что Вы представляете достаточно быстроразвивающийся спектр европейских политических сил.

спектр signifie… spectre en traduction purement littérale.
donc toujours très littéralement, cela signifie :
“Je sais que vous représentez un “spectre” des forces politiques européennes qui se développe vite”
En fait, il y a d’autres sens à спектр, suivant le contexte :

Et ici, il est clair qu’on ne peut garder “spectre”. Ce mot fait référence au spectre de la lumière, donc à l’éventail de toutes les couleurs. On emploie donc parfois l’expression “spectre politique”, mais en général, c’est plutôt “échiquier politique“. Mais du coup, on ne peut traduire la phrase de Poutine par “vous êtes un spectre politique en Europe” ; ça ne veut rien dire. Le spectre, c’est toutes les couleurs politiques. Le Vert n’est pas “un des spectres de la lumières”. Spectre est donc une sorte de faux-ami en russe.
Le Kremlin, qui a de bons traducteurs, lui, a bien traduit en anglais (Source : Kremlin, version anglaise) :

En Français, il fallait évidemment traduire par “Je sais que vous représentez un courant politique en Europe qui se développe rapidement.”
Rappelons aussi les définitions du mot spectre :

Mais du coup, ça fait moins le buzz, et de moins beaux titres…

 

(P.S. merci à Dominique…)

Source