Dans les hôpitaux israéliens, les soignants Arabes en première ligne face au coronavirus

Médecins de première classe mais citoyens de seconde zone Les Arabes représentent 17% des médecins du pays, 24% de ses infirmières et 47% de ses pharmaciens, et sauvent des vies juives 24h/24 et 7j/7. Mais quand il s'agit de représentation au gouvernement, même à l'ère du coronavirus, Netanyahou les considère comme un danger. Source : Haaretz, le 17 mars 2020 Traduction : lecridespeuples.fr C'était un samedi soir, et elle venait de terminer un quart de 12 heures aux urgences du Centre Médical Sheba, à Tel Hashomer, soignant des patients suspectés de coronavirus qui étaient placés en isolement. Après être enfin rentrée chez elle pour se reposer un peu avant son prochain quart, le Dr Souad Haj Yihye Yassin s'est assise dans son salon pour regarder le Premier ministre Benjamin Netanyahou parler à la nation de la situation d'urgence avec laquelle elle est si familière. Souad a 31 ans. Elle est termine son internat en immunologie clinique. Elle et son mari, qui est chirurgien, vivent à Tel Hashomer, dans la banlieue de Tel Aviv, où ils élèvent leur fille de 3 ans entre leurs longs quarts de travail. « Je traite tous ceux qui viennent à l'hôpital. Ça n'a jamais eu d'importance et ça ne m'importera jamais de savoir s'ils sont Juifs ou Arabes ; chaque personne, peu importe sa race ou son sexe, recevra les meilleurs soins de ma part », dit-elle. « Quand je rentre des urgences, après avoir tout donné pour soigner tout le monde, et que j'entends le Premier ministre dire que nous devons former un gouvernement d'unité nationale pour faire face à la crise – mais sans les Arabes, comme si nous étions des citoyens de seconde zone – ça fait mal. Pourquoi est-il acceptable que nous soyons en première ligne dans les hôpitaux traitant le covid-19, mais pas légitime pour nous de faire partie du gouvernement ? » Au cours de la semaine dernière, elle est tombée sur un certain nombre de publications de Netanyahou sur les réseaux sociaux, qui a écrit à plusieurs reprises sur sa page Facebook qu'un gouvernement avec la Liste unifiée à prédominance arabe serait « un désastre pour Israël » ou un « danger pour Israël ». Dimanche, Netanyahou a ajouté : « Alors que le Premier ministre Netanyahou gère une crise mondiale et nationale sans précédent de la manière la plus responsable et la plus équilibrée, [le Président du parti Kahol Lavan] Benny Gantz galope vers un gouvernement minoritaire dépendant de [la liste arabe] Balad, de [la députée arabe] Heba Yazbak et des partisans du terrorisme, plutôt que de rejoindre un gouvernement national d'urgence qui sauvera des vies. » [Depuis, Gantz s'est uni à Netanyahou pour former un gouvernement d'union nationale excluant les Arabes]. « C'est triste d'entendre le Premier ministre me qualifier de menace rampante, alors qu'en fait c'est nous qui neutralisons le danger et sauvons les patients », dit Yassin. « Dans les hôpitaux, le travail commun des équipes judéo-arabes est un exemple de coexistence exemplaire ; nous travaillons tous ensemble, côte à côte, sans aucune distinction. » Ses propos ont mis en lumière une pièce manquante du puzzle politico-médical de ces dernières semaines que Netanyahou tente de masquer. Selon les chiffres officiels du ministère de la Santé et du Bureau central des statistiques fournis à la demande de Haaretz, 17% des médecins israéliens, 24% de ses infirmières et 47% de ses pharmaciens sont arabes. Si les médecins et infirmières arabes se mettaient en grève à cause du discours gouvernemental qui incite la population contre eux, ou s'ils se contentaient seulement de menacer de faire grève jusqu'à ce qu'ils soient correctement représentés au gouvernement, le système de santé ne serait pas en mesure de faire face à la crise du coronavirus et l'équation que Netanyahou essaie de présenter comme la vérité s'effondrerait. Mais des entretiens avec des médecins arabes dans divers hôpitaux israéliens révèlent invariablement qu'ils sont prêts à coopérer malgré la déconnexion dans le discours national entre la crise sanitaire et la crise politique. La plupart des médecins que Haaretz a approchés n'étaient pas seulement choqués par la perspective qu'ils pourraient refuser de traiter des patients pendant une crise à cause du racisme à leur encontre : beaucoup refusaient même de répondre à des questions sur leurs expériences d'intolérance ou de discrimination. « Nous nous sommes habitués au fait qu'ils disent que nous ne sommes pas des êtres humains dans ce pays, cela ne nous surprend pas », a déclaré une femme médecin qui ne voulait pas être identifiée. « Si nous disons quelque chose, ils pourraient nous virer ou nous considérer comme des fauteurs de troubles. Nous voulons faire le travail pour lequel nous avons étudié si dur, pour sauver des vies et essayer d'oublier le racisme. Dans les hôpitaux, tout le monde est également susceptible de mourir, et nous nous en souvenons. Peut-être que le coronavirus rappellera au public juif que nous sommes tous égaux. » Yassin témoigne que contrairement aux bonnes relations entre le personnel médical juif et arabe qui, selon elle, constituent un modèle de coopération judéo-arabe, en ce qui concerne les attitudes des patients, la politique et le racisme pénètrent fréquemment à l'hôpital. Elle dit qu'au cours des dernières années, elle a régulièrement été victime de racisme de la part de patients juifs qui refusaient d'être traités par elle parce qu'elle était Arabe. « J'ai eu une patiente qui est venue me voir d'un autre service et qui m'a dit qu'elle avait refusé d'y être admise parce que les médecins sont Arabes », se souvient-elle. « Je l'ai regardée et lui ai dit que je suis aussi Arabe et elle avait l'air surprise. Elle a dit que je ne ressemblais pas à une Arabe et a demandé à un autre médecin de la soigner. » « Je suis fière d'être Arabe, d'être médecin et de sauver des vies », dit-elle. « Une fois, j'ai eu une patiente qui souffrait de douleurs à l'estomac et j'ai été retardée avec une autre patiente dont l'état était plus urgent, et [la première patiente] et son mari ont commencé à me crier dessus, disant que j'étais une sale Arabe et que je ne devrais travaillant dans un hôpital. J'ignore ce genre d'attaques et je soigne tout le monde. » Yassin travaille dans le système de santé depuis un peu moins de dix ans, mais le professeur Jihad Bishara, directeur de l'unité des maladies infectieuses au centre médical Rabin, à l'hôpital Beilinson de Petah Tikva, soigne des juifs et des arabes depuis 30 ans. Au cours des derniers jours, il a fait partie de l'équipe de traitement des malades atteints de coronavirus à l'hôpital. « Au sein de l'hôpital, je me désengage de la politique, et je fais mon travail sans aucun lien avec ce qui se passe à l'extérieur ; cela ne m'influence pas pendant mon travail quotidien », dit-il. « Nous faisons face à une situation d'urgence, une épidémie de coronavirus, et je traite moi-même les patients ; nous nous mettons tous en danger pour traiter tout le monde. Les médecins n'ont pas entendu parler du racisme ; depuis des décennies, je sauve des vies juives chaque jour. « En tant que citoyen, je dois admettre que l'incitation anti-arabe me dérange vraiment ; ils disent des choses intolérables à propos de notre communauté, mais malheureusement, nous nous sommes habitués à cela », dit Bishara. « Ils disent que je ne suis pas digne d'être citoyen, que mes représentants ne sont pas des êtres humains et ne peuvent donc pas être partenaires du gouvernement – mais pourtant, je suis digne d'être au sommet de la pyramide qui sauve des vies. » Bishara se souvient qu'à son retour d'un de ses voyages à l'étranger, il a été arrêté pour un contrôle de sécurité à l'aéroport international Ben Gourion et a tenté d'expliquer à la jeune femme au contrôle frontalier qu'ils étaient partenaires et non ennemis. « ‘Pourquoi m'arrêtez-vous ?, lui ai-je demandé ? Est-ce pour des raisons de sécurité ? Pour sauver des vies juives ?' Elle a répondu que oui. J'ai rétorqué : ‘Super – je fais ça depuis des décennies, 24h/24 et 7j/7.' Je l'ai dit avec beaucoup de fierté et de persuasion. Je suis médecin avant tout. » Le centre médical Hillel Yaffeh à Hadera a inauguré cette semaine un nouveau service d'hospitalisation : le département des maladies infectieuses A, qui est dédié au traitement des patients atteints du nouveau coronavirus. L'unité compte 30 lits ; elle a été rénovée et adaptée pour héberger les patients en isolement et a été équipée de nouveaux équipements et technologies. Le département est dirigé par le Dr Jamel Mohsen, spécialiste en cardiologie et en médecine interne, qui travaillait auparavant dans l'unité de soins intensifs cardiaques de l'hôpital. Interrogé sur la discrimination et le racisme contre le public arabe qui ont récemment augmenté avec la propagation du coronavirus, il a également précisé qu'il se déconnectait totalement de la politique. « Il n'y a pas de tension entre les patients juifs et arabes ; la politique n'entre pas ici », dit-il. « Je n'ai jamais pensé à l'origine ethnique d'un patient ; la seule chose qui m'intéresse, c'est que le patient, en tant que personne, se remette. Nous, médecins, nous nous sentons comme des émissaires dans cette situation de détresse et d'urgence ; nous nous engageons pour la santé de chaque personne dans le pays. Nous tous, Juifs et Arabes, devons combattre cette épidémie ensemble pour que tout le monde se rétablisse. Peut-être que la politique pourrait prendre exemple sur la fraternité entre Arabes et Juifs dans les hôpitaux. J'espère vraiment que ce sera le cas. » Voir également Histoire juive, religion juive : le poids de trois millénaires (1, 2 et 3) ainsi que notre dossier sur le coronavirus. Pour ne manquer aucune publication et soutenir ce travail censuré en permanence, partagez cet article et abonnez-vous à la Newsletter. Vous pouvez également nous suivre sur Facebook et Twitter.

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