Décodex : quand Le Monde s’estime lui-même être un média « plutôt fiable »

Rien ne va plus dans le microcosme médiatique. Mois après mois, la confiance des Français dans les médias traditionnels ne cesse de chuter pour atteindre des niveaux records. Les médias eux-mêmes s’en inquiètent de plus en plus ouvertement, comme Le Monde, qui, chafouin, reconnaissait ce jeudi 2 février : « La défiance envers les médias s’accentue » (à lire ici).
Cette semaine sortait également le baromètre annuel des médias du journal La Croix, en partenariat avec l’institut Kantar Sofres/Kantar Média. On pouvait y lire que l’enquête « montre une chute de l’intérêt pour l’information et de la crédibilité des médias ». Le journal s’est même fendu d’un second article, publié le même jour et curieusement titré : « Baromètre des médias, les Français veulent une information vérifiée ». Comme s’ils venaient là de faire une découverte majeure.
C’est donc dans ce contexte un peu morose pour nos amis journalistes professionnels que Le Monde, et plus précisément Les décodeurs (son site de fact checking), a décidé de lancer son nouveau service, le décodex. Autrement dit, LE site qui va enfin vous dire en qui avoir confiance ! Et devinez quoi ? Vous pouvez avoir confiance dans ce que dit Le Monde ! Ouf, nous sommes enfin rassurés ! Tout va pour le mieux… Dans le meilleur du Monde possible…

L’auto-satisfaction du Monde

Chose plutôt positive (et utile à notre compréhension), les auteurs (1) de l’outil ont pris soin de préciser leur méthodologie. Ainsi, peut-on lire pour les médias les mieux notés :

On y découvre donc que les trois critères utilisés sont :

  • la mesure
  • la transparence
  • la rectification des erreurs

Et à ce petit jeu, Le Monde s’estime lui-même être un média « plutôt fiable ». Évidemment, le simple fait que Le Monde se juge lui-même et décide de s’attribuer la meilleure note de la classe (2), suffirait à rendre caduque toute la démarche lancé par Les décodeurs. Cerise sur le gâteau, il parait « évident » aux auteurs que Le Monde soit dans cette rubrique. Mais nous avons souhaité aller plus loin dans l’analyse et confronter Le Monde à ses propres contradictions.
Qu’en est-il donc de la mesure, de la transparence et des rectifications du Monde ?
Chacun bien sûr a en mémoire la mesure du Monde sur le traitement médiatique du drame ukrainien, lorsqu’il relayait la vision manichéenne des néocons américains et de leurs soutiens atlantistes en France… Chacun se souvient aussi de la grande transparence sur la nature exacte de l’OSDH, leur source quasi-unique sur la guerre en Syrie, et dont la crédibilité a pourtant depuis été largement remise en cause (comme on peut le lire ici). Chacun enfin a en mémoire l’exemplaire mea culpa du Monde, après avoir relayé pendant des années et sans aucune vérification la prétendue présence d’armes de destruction massive en Irak que l’on sait aujourd’hui avoir été un vaste mensonge de l’administration Bush…
Manifestement, l’indépendance des rédactions n’est, elle, pas un critère pris en compte. Pas un mot en effet sur la soumission aux annonceurs (voir ici pourtant sur le sujet les révélations chocs de Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6) et aux aides publiques à la presse. Et une mention plutôt discrète concernant les actionnaires. Si leurs noms sont cités (ce qui, il faut le reconnaître, fait déjà presque figure de miracle) le problème majeur que cela pose est lui passé sous silence. Voici donc un média propriété de Xavier Niel (le fondateur milliardaire de Free), de Mathieu Pigasse (le richissime dirigeant en France de la Banque d’affaires Lazard) et de Pierre Bergé (qui a très bien su faire fructifier le talent d’Yves Saint-Laurent, l’homme de sa vie, et a récemment apporté son soutien à Emmanuel Macron), en toute indépendance éditoriale, bien sûr…
Alors évidemment, la réponse du Monde est déjà toute trouvée et tient dans cette phrase :

Attention : il peut tout de même y avoir des biais, erreurs, parti pris ou imprécisions dans les informations de ces sites.

Et voilà comment en un coup de baguette magique Le Monde se dédouane de toute nécessité de justification et fait l’économie de la moindre statistique sur les taux d’erreurs. Parmi le meilleur, il y a du mauvais, mais nous ne l’avons pas quantifié. Et parmi le pire, il y a du bon, mais nous ne l’avons pas quantifié. Le forfait est en fait avoué dès la phrase suivante :

Vous trouverez dans cette rubrique (…) la plupart des médias généralistes, mais aussi des blogs reconnus.

Pourquoi ? Parce qu’il s’agit de médias et de blogs reconnus ! Argument ultime… Ils disent la vérité car ils sont reconnus.
Et évidemment, dans ces conditions, les médias « du camp d’en face », ceux qui ne sont pas rentrés dans les rangs du système pour se soumettre à son diktat sont moins bien notés. Voilà comment d’excellents médias tels que Les éconoclastes, Les-crises.fr, Fakir, ou encore RussEurope subissent-ils les foudres du décodex. Là ou d’autres, comme Thinkerview, Ballast ou Bastamag en sont tout simplement absents. (3)

Le Cercle des Volontaires, vu par Le décodex

Et voici en avant-première la notation réservée au Cercle des Volontaires :

Décodex, sed lex ! Ainsi le Cercle des Volontaires diffuserait :

  • de nombreuses fausses informations
  • des articles trompeurs
  • conspirationnistes
  • diffamatoires
  • ou de mauvais conseils pour la santé

Écartons tout de suite la question des conseils de santé, il s’agit, à tort ou à raison, d’un sujet que le Cercle des Volontaires n’a pour ainsi dire que très peu abordé. Sur près de 1800 articles, nous n’avons pu retrouver que deux articles sur ce thème. Une conférence avec Gilles Lartigot (ici) sur la nécessité d’une bonne alimentation et une conférence de Corinne Gouget sur les dangers des additifs alimentaires (ici).
Le Cercle n’a évidemment jamais tenu non plus de propos diffamatoires à l’égard de quiconque. Nous serions d’ailleurs naturellement poursuivis pour cela si tel était le cas, comme nous poursuivons nous-mêmes actuellement pas moins de trois médias pour des propos diffamatoires à notre égard.
Concernant les informations conspirationnistes, une question se pose. De quelles conspirations parlent les journalistes du Monde ? Du soutien de nos élites aux néo-nazis ukrainiens lors de la révolution du Maïdan (voir ou revoir cette vidéo et relire ceci) pour renverser un régime trop peu européiste ? Du soutien de nos élites aux jihadistes syriens pour renverser le régime de Bachar el-Assad (à relire par exemple ici) ? Ou de la dénonciation de la destruction de la Libye sans aucun mandat international et sans le moindre souci des conséquences sur l’avenir du Sahel et des crises migratoires ? Alors oui, nous avons dénoncé tout cela et à la vérité nous en sommes plutôt fiers.
Pour le reste, qu’il s’agisse de prétendues fausses informations ou pire, d’articles trompeurs (ce qui nous prêterait de plus de mauvaises intentions qui ne peuvent être avancées sans arguments), c’est le grand vide. Impossible de savoir de quoi il est question. Mais si évidemment, être dans le faux, c’est être en désaccord avec Le Monde, peut-être est-ce bien là la plus belle des médailles. Mais le plus simple est de demander aux auteurs de nous lister les éléments en question. Aussi leur avons-nous envoyé une demande officielle d’éclaircissements qui, n’en doutons pas, ne tarderont pas à venir.
Les décodeurs, probablement conscients du peu de crédit d’une accusation lancée sans preuves, précisent :

« La plupart des fiches consacrées aux sources renvoient ainsi vers des articles détaillés qui donnent de plus amples informations sur les sources citées, pour vous aider à en approfondir votre connaissance. »

Et en effet, peut-on lire trois références sous la fiche du Cercle des Volontaires :

Un article des Inrocks :

On y apprend pêle-mêle que… rien… rien ou du moins, pas grand-chose concernant notre affaire. Que Raphaël, l’un des fondateurs du Cercle, porte un T-shirt Lion of Judah, qu’il aime le reggae, qu’il pense que 90 à 99 % des infos dans les médias traditionnelles sont justes (sous-entendant que les 1 à 10 % restantes, fausses, posent un réel problème), qu’il prépare un reportage en Syrie (à présent tourné et en cours de montage) et que ses parents ont la chance d’avoir une belle maison en très grande banlieue.
On y apprend aussi que Rudy Reichstadt, le chasseur français officiel de complotistes (comme au bon vieux temps du maccarthysme) considère le Cercle des volontaires comme conspirationniste, sans bien sûr étayer son propos. Et que pour Bruno Fay (auteur de Complocratie) les attaques à l’égard des médias comme le nôtre seraient souvent confuses et riches d’amalgames. Alertant sur le fait qu’il faudrait cesser à notre encontre morgue et suffisance. Autant dire qu’avec des « ennemis » comme lui, nous n’avons pas besoin d’amis… Mais peut-être les décodeurs n’ont-ils pas ouvert l’article.

Un article de l’Express :

L’indigence de ce second article ferait passer le précédent pour une analyse détaillée. On y lit de nouveau que nous considérons que les médias ne font pas correctement leur travail (ne serait-ce finalement pas cela qui les chagrine tant ?) et que, du fait de leurs calomnies à notre égard, nous avons appris à nous méfier de leurs interviews, en les enregistrant ou en les contre-filmant… C’est vrai.
Et si, avec modestie, Raphaël confie que nous n’apportons pas beaucoup de réels scoops (ce qui peut malgré tout arriver, comme dans cet article) nous estimons malgré tout remplir un travail salutaire en relayant les informations oubliées par nos grands médias, ou en nous faisant les porte-voix de ceux qui n’ont jamais accès aux plateaux.

Un article de Buzzfeed (4) :

Cet article traite exclusivement de notre émission du Dîner du Cercle sur les Youtubers (soit l’une de nos 600 vidéos). Et en vérité il y est bien plus question de Kévin Razy, l’un de nos invités ce soir-là (et dont nous pouvons évidemment certifier, pour l’avoir rencontré dans le cadre de la préparation de l’émission, qu’il n’est en aucun cas complotiste) que du Cercle. L’auteur de l’article va jusqu’à prendre au premier degré une boutade de l’humoriste sur les Illuminati, alors qu’il a lui-même consacré un sketch entier de son dernier spectacle à ce sujet pour s’en moquer ouvertement (comme nous l’avons toujours fait nous-mêmes au Cercle, à voir ici). De même pour l’humoriste Greg Tabibian qui, à en lire l’article, ferait passer l’intégralité de la population française des années 90 pour complotiste, au prétexte que l’on y regardait X-Files ou Jacques Pradel
La seule attaque à l’égard du Cercle est le regret formulé par Raphaël (toujours lui, décidément) de l’interdit de douter imposé de nos jours par la police de la pensée. Les deux faits historiques pris en exemple l’étaient naturellement à dessein, car justement particulièrement sensibles et à cet égard la réaction de l’auteur de l’article le révèle parfaitement.

Le décodex choque jusque chez Europe 1

Point plutôt rassurant, la démarche des décodeurs a choqué jusque dans les rangs des médias traditionnels. Ainsi, ce samedi 4 février, dans l’émission Mediapolis de Natacha Polony, Claire Hazan consacrait-elle sa rubrique net d’infos à ce sujet :

On y entend Natacha Polony s’étonner à juste titre :

N’y a-t-il pas un problème quand un média se met à labelliser d’autres médias et choisit qui dit vrai et qui dit faux ? (…) Il faudrait qu’on s’entende sur ce que signifie un fait, dans quelle mesure on peut évaluer la véracité d’un fait, et puis, est-ce que tout simplement c’est utile, est-ce que cela ne prêche pas des convaincus déjà ?

Puis, un peu plus tard, Carl Meeus (rédacteur en chef au Figaro Magazine) :

Au nom de quoi ils décodent ? En fonction de quels critères ? C’est très compliqué. Les internautes qui vont voir les sites en question qui auraient cette pastille rouge, c’est déjà qu’ils n’ont plus confiance. C’est le foisonnement de l’information qui fait que si on peut aller sur plein d’autres sites pour voir les informations et les contrôler, en tout cas les confronter, c’est ça qui fait que c’est intéressant, ça ne sert à rien de faire un label à mon sens.

Tout le problème est là en effet. Les médias traditionnels s’effraient de voir leurs lecteurs (ou leurs spectateurs) se détourner d’eux. Ils pensent (ou tentent de se convaincre) que cela vient d’un prétendu élan populiste, de l’essor des réseaux sociaux (où tout pourrait être dit) ou encore de la bêtise de leurs lecteurs. Mais ils ne veulent pas voir que le problème vient avant tout des médias traditionnels eux-même. Que la population a uniquement trouvé des palliatifs à leur indigence et face au constat amer d’avoir été abusée durant des années.
Toujours pas de remise en question, toujours pas de mea culpa… Nos médias en sont sûrs, leur travail est honnête, ils ne sont soumis ni à leurs actionnaires ni à leurs annonceurs… Tout va bien sous le soleil ! Et donc, nous pouvons d’ores et déjà le dire, la longue descente aux enfers va se poursuivre pour eux.
« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » (attribué à Bossuet)
Nico Las (TDH)

(1) : D’après la page Découvrir l’équipe,  Les décodeurs comptent un coordinateur (Samuel Laurent) et une équipe de cinq journalistes et rédacteurs, parmi lesquels Adrien Sénécat, un ancien de Buzzfeed (un site jugé également « plutôt fiable » par le Décodex, comme on peut le voir ici), et passé aux Décodeurs il y a un peu moins d’un an.

(2) : Le Décodex attribue principalement une couleur :

  • vert (plutôt fiable),
  • orange (régulièrement imprécis),
  • ou rouge (régulièrement faux et trompeur)

mais ne propose aucune analyse ou statistique sur ces taux d’erreurs prétendues.

(3) : A noter que Reporterre a reçu la notation « plutôt fiable » ce qui fait de lui une quasi exception parmi les médias alternatifs.
(4) : écrit par Adrien Sénécat, à présent journaliste aux Décodeurs
 
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