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Vous vous en souvenez sûrement, dès les jours suivant le drame de Nice, l’avocat de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel était partout dans les médias.
Le même jour, une photo du suspect était diffusée par de nombreux médias. Médias qui nous listaient un à un les noms des victimes, comme ce buraliste mort en héros. Puis vint la conférence de presse du procureur pour relater la course folle de ce camion frigorifique.
Avocat, photo du suspect, victime héroïque, camion frigorifique, tous ces éléments avaient un point commun. Ils étaient faux… Voyons comment nos médias, dans leur course au sensationnel, vérifient les informations qu’ils diffusent. Cas concrets !
Le faux avocat de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel
Rappel des faits
Au lendemain du drame de Nice, donc, un avocat niçois avait très vite été présenté dans les médias comme l’avocat du suspect. Corentin Delobel, c’est son nom, avait ainsi longuement décrit le profil de son ancien client lors d’interviews accordés à de nombreux médias (comme le reconnaît Libération). « C’était le délinquant classique » témoignait-il sur I-Télé :
Obligé de reconnaître la méprise suite à l’intervention du barreau de Nice, l’avocat avait pourtant recommencé son forfait dès le lendemain comme le révélait l’agence 6Medias.
Les médias n’ont rien vérifié
Une fois le pot aux roses découvert, l’ensemble des médias ont bien été contraints de reconnaître leur erreur. Naturellement, ils se sont bien gardés d’avouer n’avoir rien vérifié, se présentant eux-mêmes comme des victimes de l’avocat.
Pudique, TF1 a très discrètement retiré la vidéo de l’interview de Corentin Delobel (interview diffusé dans l’émission « Sept à huit »). Sans donner la moindre explication, le replay de l’émission du 17 juillet a été supprimé du site web de la chaîne. Faut-il rappeler ici que la charte de déontologie journalistique impose que soit rectifiée toute information publiée qui se révélerait inexacte a posteriori ?
Mais la palme vient au journal Libération, qui, dans un article en date du 17 juillet, relate, très en détail :
Le casier judiciaire de Mohamed Lahouaiej Bouhlel ne présente que quelques lignes. « Deux ou trois mentions, pas plus », explique Corentin Delobel. Interrogé par Libération, cet avocat au barreau de Nice l’avait défendu en mars, alors qu’il était jugé après une altercation au volant. Lahouaiej Bouhlel avait alors écopé de six mois de prison avec sursis pour avoir attaqué un autre automobiliste avec une planche de palette de bois, suite à une dispute qui avait mal tourné. Commis d’office, l’avocat décrit un homme « dans la réserve, un peu nonchalant, du moins qui minimisait son geste et qui savait que cette affaire n’irait pas très loin ». Rien dans son comportement, assure-t-il, ne lui avait paru suspect à l’époque : « Il ne montrait aucun signe de troubles psychologiques éventuels. »
Avant d’ajouter, en date du 20 juillet, la mention : « [mise à jour le 20 juillet : Corentin Delobel s’était présenté à tort comme l’avocat du chauffeur] » tout en gardant l’intégralité de propos pourtant devenus factuellement et officiellement mensongers :
La fausse photo de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel
Une photo diffusée sur Tunis-Secret
Dès le lendemain de l’attaque, Tunis-Secret fut l’un des premiers médias à dévoiler l’identité de l’agresseur. Problème, la photo initialement diffusée dans cet article n’était pas celle du coupable. Il s’agissait de celle d’un parfait homonyme habitant également à Nice. Si l’erreur a été corrigée rapidement dans l’article incriminé, le mal était fait. La mémoire du net est persistante, très persistante (1). Et la photo initiale s’est répandue comme une traînée de poudre sur internet.
Par exemple, Breizatao (média lancé en 2010 par le militant nationaliste Boris Le Lay) continue à l’heure où nous écrivons ces lignes à diffuser la mauvaise photo. Plus de 15 jours passés et une vidéo de démenti réalisée par la victime elle-même de cette erreur d’identité, rien n’y fait. Si l’erreur s’est cantonnée ici à quelques médias alternatifs, ce ne fut pas le cas six mois plus tôt.
Un précédent notoire
Une erreur d’une troublante similitude avait eu lieu en novembre dernier suite à l’assaut, à Saint-Denis, de l’appartement où logeait Abdelhamid Abaaoud. Présenté comme l’un des organisateurs des attentats du 13 novembre, Abaaoud s’y trouvait en compagnie de sa cousine, Hasna Aït Boulahcen.
Très rapidement de prétendues photos de la jeune femme avaient été diffusées par le Dailymail. Problème, là encore, il ne s’agissait pas des bonnes photos. Le Dailymail avait certes rapidement rectifié le tir dans son article, mais les photos s’étaient déjà répandues sur internet, relayées dans tous les médias.
Une femme, dénommé Nabila Bakkatha et vivant au Maroc, s’était reconnue sur les photos et avait pu alerter de l’erreur. L’affaire était relatée en détail par France 24 dans les jours suivants. La vidéo de démenti diffusée a l’époque dans les médias a depuis été supprimée. Nous avons malgré tout pu retrouver le témoignage de la jeune femme dans une autre vidéo réalisée par AJ+.
La diffusion des photos en question
Tout cela pose clairement la question de la responsabilité des médias dans la diffusion de l’identité ou des photos de prétendus suspects. La course au scoop les pousse à la surenchère. L’indigence est toujours plus criante. Plus rien ne semble vraiment vérifié. La diffusion d’une information par un média concurrent devient parole d’évangile, digne d’être répétée les yeux fermés.
Alors, une fois n’est pas coutume, nous pourrions presque abonder dans le sens de Bernard-Henri Lévy ! Le philosophe en chemise blanche en appelait (2) très récemment à un accord entre les médias pour ne plus diffuser ni nom ni photo de terroristes. Nous mettrons un léger bémol à cette proposition (BHL est parfois un peu excessif comme chacun sait…) en précisant que les photos pourraient être diffusées… mais après vérification ! Tant qu’à faire…
Un faux buraliste « mort en héros »
Plus anecdotique certes, mais très révélatrice aussi du fonctionnement de nos médias, l’histoire de ce buraliste mort en héros. Une histoire en fait inventée de toutes pièces, diffusée par l’AFP puis reprise dans tous nos médias.
L’erreur originelle de l’AFP
Ainsi pouvait-on lire, en date du 17 juillet, dans Nice Matin l’histoire de Timothée Fournier, 27 ans, buraliste à Paris. On y apprenait qu’il était en vacances à Nice le jour du drame, quand le camion a foncé sur lui et sa compagne enceinte. Le journaliste raconte :
Il l’a [sic] pousse juste avant que le camion ne le percute. Elle s’en est sorti [sic], pas lui. « C’était une crème de bonté (…), un jeune homme rêveur mais qui était toujours là pour sa femme et son futur enfant », a confié Anaïs, l’une de ses cousines à l’AFP.
Konbini, un média « pure player » a même consacré un article à ce héros ! On peut y lire exactement la même citation et la référence à la même source, l’AFP :
Anaïs, l’une des cousines de Timothé, a raconté l’histoire à l’AFP, déclarant que « c’était une crème de bonté […], un jeune homme rêveur mais qui était toujours là pour sa femme et son futur enfant ».
NB : notons que dans un sursaut d’indépendance éditoriale, les crochets ont remplacé les parenthèses.
En fait, nous avons pu retrouver cette histoire imaginaire dans à peu près tout ce que la France compte comme « grands médias ». Voici ainsi les articles du Parisien, de L’Express, de LCI, de BFM, ou encore du Figaro, À chaque fois la même source, l’AFP, à chaque fois la même citation, la cousine Anaïs. Au grand jeu du copier-coller, c’est une fois de plus l’information et la crédibilité des médias qui sortent grandes perdantes. L’AFP est devenue le grossiste de l’information française. Diffusant une information prémâchée, mais dont on ne sait plus, comme pour la « malbouffe », ce qu’il y a dedans, ni qui a vérifié quoi.
Le mea culpa des médias
Suite à l’annonce de ce mensonge, de nombreux médias ont du fait leur mea culpa en revenant sur les faits. C’est par exemple le cas ici de 20 minutes. Mais la palme en la matière revient à BFM, qui explique :
« Ce buraliste de 27 ans avait été présenté comme un héros et une victime de l’attentat de Nice le 14 juillet, mort en sauvant sa femme enceinte. L’AFP avait fait témoigner sa cousine. Pourtant, Timothé Fournier n’est pas mort. Il n’était même pas à Nice ce soir-là. Et pourrait même ne jamais avoir existé. »
Phrase surréaliste où le journaliste affirme que Timothé n’était pas à Nice, avant d’écrire qu’il n’a peut-être jamais existé. Et investiguer pour savoir si cette personne existe oui ou non, c’est possible ? Plutôt que d’employer un conditionnel, certes bien pratique, mais qui ne fait que cacher la misère.
Les explications de l’AFP
L’AFP a naturellement tenté une explication. Elle s’est déclarée : « victime d’un faux de la part d’une personne (…) donnant un luxe de détails qui ont induit le journaliste en erreur ». Avant de préciser que celle-ci « a fermé le compte twitter via lequel l’Agence avait été en contact avec elle ». Difficile de s’enfoncer d’avantage. On apprend ainsi qu’une histoire « détaillée » est considérée par l’AFP comme un argument de véracité. Mais pire encore, que l’AFP croit sur parole des personnes anonymes cachées derrière des comptes Twitter.
La directrice de l’information en personne, Michèle Léridon, a donné des explications :
« Notre journaliste, par un excès de délicatesse et d’empathie vis-à-vis des victimes de l’attentat, n’a pas procédé à suffisamment de recoupements et de vérifications. C’est très regrettable et dommageable pour l’Agence et pour ses clients qui ont repris l’information. Mais nous avons été victimes d’un acte malveillant. »
Non Madame Léridon, vous n’avez pas été victime d’un acte malveillant. Vous avez juste enfreint une règle élémentaire du journalisme qui consiste à vérifier ses sources. Il s’agit pourtant là de l’une des dix règles déontologiques de la Charte de Munich.
Le faux camion frigorifique
« Last but not least » de cette liste… le dernier exemple évoqué ici concerne François Molins, himself ! Procureur de la République de Paris, il est le seul procureur compétent en matière d’antiterrorisme. « Compétent » — entendons-nous bien ! — nous parlons bien évidemment ici de compétence en droit.
Ainsi pouvait-on l’entendre, durant sa Conférence de presse du 15 juillet (à 5 min 10), présenter le camion conduit par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, comme étant un camion frigorifique. Ce point est contredit par Patrick Mortigliengo, le Président de la Fédération nationale des transports routiers des Alpes-Maritimes. Interrogé par France Bleu Azur, ce professionnel du secteur des transports est ferme sur la question. En aucun cas, et au vu des nombreuses photos disponibles, ce camion n’était un camion frigorifique. Ni les parois du camion, ni l’absence de bloc réfrigérant ne peuvent en effet laisser de doute en la matière (3), comme l’explique Patrick Mortigliengo.
Ce point est pourtant capital car il a été utilisé comme argument pour justifier que le camion n’ait pas été arrêté avant son arrivée sur la promenade des anglais. Erreur coupable ou tentative de manipulation, ce qui est sûr c’est que l’idée qu’il s’agissait d’un camion frigorifique s’est très rapidement répandue dans la presse et dans l’opinion, donnant un argument inespéré (mais fallacieux) à ceux qui prétendaient que ce camion pouvait être autorisé à circuler ce jour-là.
Nico Las (TDH)
(1) : On peut voir ici le résultat d’une recherche Google après correction de la photo par Tunis-Secret. La photo était toujours l’ancienne (et mauvaise) photo.
(2) : Oui, BHL fait partie de ces gens autorisés à lancer ce genre d’appel. Et le plus fort, c’est qu’il est entendu ! Ainsi BFM, Europe 1 et Le Monde ont-ils accédé à cette requête, comme on peut le lire ici.
(3) : On pourrait noter également cette étrange photo de l’intérieur du camion où l’on distingue un canapé dans la remorque.
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Cet article À Nice, « vrai faux » avocat et autres erreurs, les médias ne vérifient-ils rien ? est apparu en premier sur Cercle des Volontaires.