« Irak : de Babylone à l’État islamique », par Myriam Benraad

Voilà près de deux ans que la France a lancé l’opération Chammal, visant l’État islamique en Irak et, à partir de 2015, en Syrie. Depuis, nous avons été frappés de plusieurs attentats liés de près ou de loin à l’EI, suscitant d’innombrables articles, émissions de télé et de radio. Pourtant, ce phénomène qui fit soudainement irruption dans la sphère médiatique en 2014 demeure largement incompris. Sa couverture par la presse est souvent superficielle et bornée à l’histoire très récente, voire obnubilée par l’actualité la plus brûlante.
Si ce focus est compréhensible d’un point de vue émotionnel, il occulte les causes profondes de la crise irakienne. Myriam Benraad (politologue, chercheuse associée à l’Iremam, et spécialiste de l’Irak) s’attache à les dévoiler dans Irak : de Babylone à l’État islamique – Idées reçues sur une nation complexe. Cet ouvrage est publié dans la collection Idées reçues des éditions Le Cavalier bleu, et ce n’est pas un hasard.

L’Irak et ses idées reçues

En effet, l’Irak est un pays méconnu du grand public, qui ne l’appréhende qu’à travers les clichés égrenés par les journalistes, au gré de courtes chroniques pas toujours bien informées. L’analyse de sa situation actuelle passe donc nécessairement par la déconstruction d’idées reçues. Myriam Benraad en dénombre vingt, et les voici, avec, en gras, les titres des chapitres correspondants :

De la Mésopotamie à l’ère moderne
– « L’Irak, c’est Babylone, les Mille et Une Nuits et Saladin. »
– « Le clivage opposant chiites et sunnites d’Irak est ancestral. »
– « L’Irak est une création territoriale artificielle. »
– « La guerre Iran-Irak était un conflit religieux. »
– « L’embargo a affaibli le régime de Saddam Hussein. »
Une société en constante mutation
– « La construction d’une nation irakienne a échoué. »
– « La dictature baasiste a anéanti toute société civile. »
– « La condition féminine s’est améliorée avec la chute du Baas. »
– « L’Irak était un pays laïc avant l’occupation américaine. »
– « Les tribus irakiennes sont toujours très influentes. »
De l’occupation étrangère à l’État islamique
– « La guerre américaine en Irak n’a pas été préparée. »
– « Les États-Unis ont envahi l’Irak pour son pétrole. »
– « Les combattants du jihad en Irak sont étrangers. »
– « Les rangs de l’insurrection sunnite sont solidaires. »
– « La stratégie militaire du Surge a porté ses fruits. »
– « L’Occident ne pourra venir à bout de l’état islamique. »
Une arène politique plurielle
– « Les chiites d’Irak forment la cinquième colonne de l’Iran. »
– « Le Kurdistan irakien revendique son indépendance. »
– « Les sunnites sont nostalgiques de l’époque baasiste. »
– « L’Irak s’est scindé en trois entités géographiques. »

Accepter la complexité pour comprendre

Si le premier chapitre introductif, De la Mésopotamie à l’ère moderne, est court, il a néanmoins le mérite de replacer l’Irak de 2015 (date de publication du livre) dans le temps long, même très long, puisque l’on parle d’une civilisation multimillénaire. On ne saurait l’étudier sans tenir pleinement compte de son histoire, de ses spécificités ethniques, géographiques, économiques, religieuses, politiques, et des subtiles interactions entre ces facteurs.
Le lecteur averti trouvera peut-être cette liste d’idées reçues hétérogène. On peut effectivement être surpris que soient mis sur le même plan « L’Irak, c’est Babylone, les Mille et Une Nuits et Saladin » et « Les États-Unis ont envahi l’Irak pour son pétrole ». Si certaines de ces idées sont clairement fausses, d’autres ont une part de vérité, mais sont simplistes, ou réductrices. Il convient donc de balayer les premières, et de nuancer les secondes. C’est en acceptant cette complexité, en sortant des raisonnements convenus, et en n’épargnant personne, comme le fait Myriam Benraad, que l’on peut s’approcher du réel, fût-il terrible.
Alexandre Karal
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