Des débats vraiment faux ou faussement vrais. Réflexions sur les « débats télévisés », par Pierre Bourdieu

Source : LMSI.net, Pierre Bourdieu, 25-01-2019
Alors qu’Emmanuel Macron lance un grand « débat » en guise de réponse au mouvement des gilets jaunes, il nous a semblé utile de reproduire ce texte paru dans Sur la télévision, et consacré aux « débats de société » tels que les médias audiovisuels les conçoivent et les mettent en scène. Certains des « invités permanents » (et notamment Luc Ferry et Alain Finkielkraut…) sont, vingt ans après, hélas les mêmes que ceux qu’évoque Pierre Bourdieu. Mais ce qui a hélas encore moins changé, c’est la structure et la scénographie de ces débats doublement « faux » : par leur objet (des faux problèmes, ou pire : des vrais problèmes mal posés) et par leurs dispositifs de verrouillage de la parole… auxquels s’ajoutent désormais les milliers de policiers mobilisés à chaque moment de ce « grand débat national ».

Il y a d’abord les débats vraiment faux, qu’on reconnaît tout de suite comme tels. Quand vous voyez, à la télévision, Alain Minc et Attali, Alain Minc et Sorman, Ferry et Finkielkraut, Julliard et Imbert…, ce sont des compères. (Aux États-Unis, il y a des gens qui gagnent leur vie en allant de fac en fac faire des duos de ce type…). Ce sont des gens qui se connaissent, qui déjeunent ensemble, qui dînent ensemble. Lisez le journal de Jacques Julliard, L’Année des dupes, qui est paru au Seuil cette année [1], vous verrez comment ça marche.

Un monde clos d’interconnaissance [2]

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