Syrie : la coalition américaine permet à des centaines de combattants de DAECH de s’enfuir de Raqqa

« Le secret honteux de Raqqa », un reportage de la BBC
Nous vous proposons la traduction d’un reportage écrit réalisé par la BBC. Il y est question de la ville de Raqqa, dans le nord de la Syrie. La coalition dirigée par les Etats-Unis, qui comporte les forces kurdes du FDS, mène un siège contre cette ville. Cependant, elle a autorisé les combattants de DAECH présents à Raqqa à quitter la ville pour rejoindre d’autres zones contrôlées par DAECH. Mais en échange quelle contrepartie ?
Raphaël Berland
Traduction : Claire Fighiera

Le secret honteux de Raqqa

Par Quentin Sommerville et Riam Dalati (source)
La BBC dévoile les détails d’un accord secret qui aurait permis à des centaines de combattants de Daesh et à leurs familles de s’enfuir de Raqqa, sous le regard de la coalition dirigée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni et les forces menées par les kurdes qui contrôlent la ville.
Un convoi comptait quelques-uns des membres les plus tristement célèbres de Daesh et, malgré les démentis, des dizaines de combattants étrangers. Certains se sont déployés sur toute la Syrie, se retrouvant jusqu’en Turquie.
Le chauffeur poids lourd Abou Fouzi pensait qu’il s’agissait seulement d’un autre travail.
Il conduit un 18-roues dans les endroits les plus dangereux du nord de la Syrie. Ponts bombardés, sables profonds du désert, même les forces gouvernementales et le soi-disant Etat Islamique ne font pas obstacle à une livraison.
Mais cette fois-là, son chargement se trouvait être une cargaison humaine. Les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), une alliance de combattants kurdes et arabes opposés à Daesh, exigeait qu’il dirige un convoi qui transporte des centaines de familles déplacées par les combats de la ville de Tabqa située sur l’Euphrate jusqu’à un camp plus au nord.
La mission lui prendrait 6 heures maximum, du moins c’est ce qu’on lui avait dit.
Mais lorsque lui et ses collègues routiers ont formé le convoi le matin du 12 octobre, ils réalisèrent qu’on leur avait menti.
Au lieu de cela, ils en ont eu pour trois jours de conduite difficile, transportant un chargement mortel, des centaines de combattants de Deaesh, leurs familles et des tonnes d’armes et de munitions.

On a promis à Abou Fouzi et à des dizaines d’autres routiers des milliers de dollars pour ce travail, mais il devait rester secret.
L’accord qui laissait s’échapper des combattants de Daesh de Raqqa, capital de facto du califat auto-proclamé, avait été conclu par des responsables locaux. Il aboutit après quatre mois de combat qui ont laissés la ville anéantie et quasiment vidée de sa population. Cet accord épargnerait des vies et mettrait fin aux combats. Les vies de combattants arabes, kurdes et autres opposants à Daesh seraient épargnées.
Mais il permettait aussi à plusieurs centaines de combattants de Daesh de fuir la ville. A ce moment, ni la coalition américano-britannique, ni les FDS, qu’ils soutiennent, ne voulaient admettre leur responsabilité dans cet accord.
Est-ce que ce pacte, qui était comme le secret honteux de Raqqa, a déclenché une menace sur le monde extérieur, celle qui a permis aux militants de se disperser à travers toute la Syrie et au-delà ?
D’immenses efforts ont été mis en œuvre pour le cacher au monde. Mais la BBC a pu parler à des dizaines de personnes qui se trouvaient dans le convoi, ou qui l’ont observé, ainsi qu’aux hommes qui ont négocié cet accord.

Hors de la ville

Dans une cour parsemée d’huile à Tabqa, sous un palmier, trois garçons s’activent à la réparation d’un moteur poids lourd. Ils sont couverts d’huile de moteur. Leurs cheveux, noirs et graisseux, se tiennent droits sur leur tête.
Près d’eux se trouve un groupe de routiers. Abou Fouzi se tient au centre, remarquable à son blouson rouge vif. Il est assorti à son 18-roues bien-aimé. Il est nettement le leader, prompt à offrir du thé et des cigarettes. Au début il dit ne pas vouloir parler, mais il change d’avis rapidement.
L’un des conducteurs trace la route du convoi
Lui et les autres chauffeurs sont en colère. Des semaines sont passées depuis qu’ils ont risqué leur vies pour un voyage qui a détérioré les moteurs et cassé des essieux mais ils n’ont toujours pas été payés. Ce fût un aller-retour en enfer, dit-il.
« Nous avons eu peur dès que nous sommes entrés à Raqqa », raconte-t-il. « Nous étions supposés entrer avec les FDS, mais nous y sommes allés seuls. Dès que nous sommes entrés, nous avons vu des combattants de Daesh portant des armes et des ceintures d’explosifs sur eux. »
Les FDS menées par les kurdes ont fait disparaître Raqqa des médias. La fuite de Daesh de sa base ne serait pas télévisée.
Les FDS ont publiquement déclaré que seuls quelques dizaines de combattants avaient pu s’enfuir, tous des locaux.
Mais un routier nous affirme que ça n’est pas vrai.
« Nous avons pris environ 4000 personnes dont des femmes et des enfants, nos véhicules et les leurs mis ensemble. Quand nous sommes entrés à Raqqa, nous pensions qu’il y avait 200 personnes à récupérer. Dans mon véhicule seulement, j’ai pris 112 personnes. »
Un autre chauffeur nous dit que le convoi faisait six à sept kilomètres de long. Il comprenait presque 50 camions et plus de 100 véhicules appartenant à Daesh. Des combattants de Daesh, visage caché, se sont assis d’un air de défi sur le toit de certains véhicules.
Des images filmées secrètement nous sont parvenues, montrant des camions tractant des remorques bourrées d’hommes armés. Malgré une autorisation de ne prendre que des armes personnelles, les combattants de Daesh ont pris tout ce qu’ils pouvaient transporter. Dix camions ont été chargés avec des armes et des munitions.

Film du convoi quittant Raqqa (probablement filmé par des membres des FDS le 12 octobre)
Les chauffeurs nous montrent du doigt un camion blanc en train d’être réparé dans un coin de la cour. « Son essieux a cassé sous le poids des munitions » nous dit Abou Fouzi.
Ça n’était pas vraiment une évacuation, mais plutôt l’exode du soi-disant Etat Islamique.
Les FDS ne voulaient pas battre en retraite de Raqqa pour ne pas avoir l’air d’échapper à la victoire. Aucun drapeau ou étendard n’était autorisé à apparaître sur le convoi alors qu’il quittait la ville, stipulait l’accord.
Il était aussi entendu qu’aucun étranger ne serait autorisé à quitter Raqqa vivant.
En mai dernier, le secrétaire étatsunien à la Défense James Mattis a décrit le combat contre Daesh comme une guerre d’ « annihilation ». « Notre projet est que les combattants étrangers ne survive pas au combat pour retourner en Afrique du nord, en Europe, en Amérique, en Asie, en Afrique. Nous n’allons pas le permettre », a –t-il affirmé à la télévision étatsunienne.
Mais les combattants étrangers (non originaires de Syrie ni d’Iraq) ont aussi été autorisés à joindre le convoi, selon les chauffeurs. L’un d’eux explique :
« Il y avait un très grand nombre d’étrangers. France, Turquie, Azerbaïdjan, Pakistan, Yémen, Arabie Saoudite, Chine, Tunisie, Egypte… »
D’autres chauffeurs interviennent avec les noms de nationalités différentes.
A la lumière de l’investigation de la BBC, la coalition admet désormais le rôle qu’elle a joué dans cet accord. Quelques 250 combattants de Daesh ont été autorisés à quitter Raqqa, avec 3 500 membres de leur famille.
« Nous ne voulions autoriser personne à partir » déclare Col Ryan Dillon, porte-parole de l’opération Inherent Resolve, la coalition occidentale contre Daesh.
« Mais cela va au cœur de notre stratégie, « par, avec et à travers´´ les dirigeants locaux sur le terrain. Cela revient aux syriens, ce sont eux qui combattent et meurent, ce sont eux qui prennent les décisions concernant les opérations » a-t-il déclaré.
Alors qu’un officier occidental était présent lors des négociations, ils n’ont pas eu un « rôle actif » dans les discussions. Col Dillon maintient cependant que, seulement quatre combattants étrangers ont fui, et qu’ils sont maintenant en captivité chez les FDS.
Des proches de Daesh s’apprêtent à partir
En quittant la ville, le convoi passe par les champs de coton et de blé bien irrigués au nord de Raqqa. De petits villages laissent place au désert. Le convoi a quitté la route principale et prend des pistes à travers le désert. Les camions trouvent la route difficile, mais c’est encore plus difficile pour les hommes au volant.
Un ami d’Abou Fouzi retrousser la manche de sa tunique. Dessous, on peut voir des brûlures sur sa peau. « Regardez ce qu’ils ont fait » dit-il.
D’après Abou Fouzi, il y avait trois ou quatre étrangers avec chaque chauffeur. Ils les ont frappés et traités d’ « infidèles », de « porcs ».
Ils ont peut-être aidé les combattants à s’enfuir, mais les routiers arabes ont été maltraités sur tout le trajet, disent-ils. Et menacés.
« Ils ont dit « fais-nous savoir quand vous reconstruisez Raqqa, on reviendra´´ » raconte Abou Fouzi. « Ils étaient provoquants et ne se souciaient de rien. Ils nous accusaient de les chasser de Raqqa ».
Une femme combattante étrangère l’a menacé avec un AK-47.
Carte indiquant le trajet emprunté par les forces de DAECH

Dans le désert

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Le commerçant Mahmoud ne se laisse pas facilement intimider.
Il était environ quatre heures de l’après-midi lorsqu’un convoi des FDS est passé par sa ville, Chanine, et on a dit à tout le monde de rentrer chez lui.
« Nous étions ici et un véhicule des FDS s’est arrêté pas loin pour dire qu’il y avait un accord de trêve entre eux et Daesh », raconte-t-il. « Ils voulaient que nous vidions les lieux ».
Il n’est pas supporter de Daesh, mais il ne pouvait pas manquer une opportunité de faire des affaires, même si quelques-uns des 4 000 clients-surprise traversant son village étaient armés jusqu’aux dents.
Le magasin de Mahmoud
Un petit pont dans le village a créé un encombrement, et les membres de Daesh sont sortis et partis faire des courses. Après des mois de combat et à se cacher dans des bunkers, ils étaient pâles et affamés. Ils se sont alignés dans la boutique et, dit-il, ont vidé les étagères.
« Un tunisien borgne m’a dit de craindre Dieu », dit-il. « D’un ton très calme, il m’a demandé pourquoi j’étais rasé. Il a encore dit qu’il reviendrait et appliquerait la Charia. Je lui ai dit que nous n’avons pas de problème avec la Charia. Nous sommes tous musulmans. »
Nouilles instantanées, biscuits et casse-croûtes, ils ont pris tout ce qu’ils pouvaient tenir dans leurs mains.
Ils ont laissés leurs armes à l’extérieur de la boutique. Le seul problème qu’il ait eu s’est produit lorsque trois des combattants ont aperçu des cigarettes, de la contrebande à leurs yeux, et ont déchiré les emballages.
« Ils n’ont rien volé, rien du tout » dit-il.
« Seuls trois d’entre eux ont voulu faire les malins. Et d’autres membres de Daesh les ont châtiés. »
Il affirme que Daesh a payé pour ce qu’ils ont pris.
« Ils ont vidé le magasin. Je me suis trouvé débordé par leur nombre. Beaucoup m’ont demandé des prix, mais je ne pouvais pas leur répondre parce que j’étais trop occupé à servir les autres. Alors ils m’ont laissé l’argent sur le comptoir sans que je le leur demande. »
Malgré les violences qu’ils ont subies, les chauffeurs routiers ont confirmé : quand de l’argent est en jeu, Daesh paye ce qu’il doit.
« Les membres de Daesh peuvent avoir été des psychopathes homicides, mais ils ont toujours été corrects avec l’argent. », déclare Abou Fouzi avec un sourire.
Au nord du village, le paysage est différent. Un tracteur solitaire laboure un champ, laissant dans l’air un nuage de poussière et de sable qui reste visible sur des kilomètres. Il y a peu d’habitants, et c’est là que le convoi a tenté de disparaître.
Dans le petit village de Muhanad, les gens ont fui à l’approche du convoi, craignant pour leur maison, et pour leur vie.
Mais soudainement, les véhicules ont tourné à droite, quittant la route principale pour emprunter une piste du désert.
« Deux hummers menaient le convoi », raconte Muhanad. « Ils le géraient et ne laissaient personne leur passer devant ».
A mesure que le convoi disparaissait dans le brouillard du désert, Muhanad ne s’est pas senti immédiatement soulagé. Quasiment tous les gens à qui nous avons parlé nous ont dit que Daesh les avait menacés de revenir, les combattants passaient un doigt sur leur gorge en les croisant.
« Nous avons vécu dans la terreur pendant les quatre ou cinq dernières années. » confie Muhanad.
« Il nous faudra du temps pour nous débarrasser de cette terreur psychologique. Nous avons l’impression qu’ils vont revenir pour nous, ou vont envoyer des agents dormants. Nous ne sommes toujours pas sûrs qu’ils soient partis pour de bon. »
Le long de la route, plusieurs personnes à qui nous avons parlé ont dit avoir entendu des avions de la coalition, parfois des drones, suivant le convoi.
Depuis la cabine de son camion, Abou Fouzi a vu, alors que des avions de combat de la coalition volaient au-dessus d’eux, tomber des feux d’éclairage qui illuminaient le convoi et la route en avant.
« Au moment où le dernier du convoi allait traverser, un jet américain s’est mis à voler très bas et a déployé des feux d’éclairage pour éclairer la zone. Les combattants de Daesh ont chié dans leur froc. »
La coalition affirme maintenant que bien qu’elle n’avait pas de personnel au sol elle a suivi le convoi de près depuis les airs.
Le dernier checkpoint FDS passé, à l’intérieur du territoire contrôlé par Daesh, un village situé entre Markada et Al-Souwar, Abou Fouzi est arrivé à destination. Son camion était plein de munitions et les combattants de Daesh les voulaient cachées.
Alors qu’il revenait enfin en sécurité, les FDS lui demandèrent où il avait déchargé les marchandises.
« On lui a montré le lieu sur la carte et il l’a marqué, comme ça tonton Trump pourra les bombarder » explique-t-il.
La libération de Raqqa s’est faite avec du sang, des sacrifices et des compromis. L’accord a libéré les civils pris au piège et a terminé la bataille pour la ville. Plus aucune force FDS n’aurait à mourir en se confrontant au dernier bastion de Daesh.
Mais Daesh n’est pas resté longtemps caché. Libérés de Raqqa, où ils étaient encerclés, certains des membres les plus recherchés du groupe se sont maintenant dispersés partout en Syrie et au-delà.

Les passeurs

Les hommes qui coupent des clôtures, grimpent des murs et prennent des tunnels qui mènent hors de Syrie signalent une forte augmentation de personnes en fuite. L’effondrement du califat est bon pour le commerce.
« Durant les dernières semaines, nous avons eu beaucoup de familles qui quittaient Raqqa et voulaient passer en Turquie. Rien que cette semaine, j’ai personnellement supervisé le passage de 20 familles », nous dit Imad, un passeur à la frontière turco-syrienne.
« C’était des étrangers pour la plupart, mais il y avait aussi des syriens ».
Il faut désormais payer 600 dollars par personne et un minimum de 1 500 dollars pour une famille.
Dans cette affaire, les clients n’apprécient pas beaucoup d’être questionnés. Mais Imad dit qu’il a eu des « français, européens, tchéchènes, ouzbeks ».
« Certains parlaient en français, d’autres en anglais, d’autres en d’autre langue étrangère » raconte-t-il.
Walid, un autre passeur à une différente partie de la frontière turque, raconte la même histoire.
« Nous avons eu un afflux de familles au cour des dernières semaines. » explique-t-il. « Il y avait des familles nombreuses à passer. Notre travail est de les faire passer. On a eu beaucoup de familles étrangères à faire appel à nos services. »
A mesure que la Turquie a augmenté sa surveillance aux frontières, le travail est devenu plus difficile.
« Dans certaines zones nous utilisons des échelles, dans d’autres nous traversons la rivière, dans d’autres encore on utilise des sentiers de montagne très inclinés. C’est une situation malheureuse. »
Pourtant, Walid dit que la situation est différente pour des personnages de Daesh haut-placés.
« Ces étrangers haut-placés ont leur propre réseau de passeurs. Ce sont en général les mêmes personnes qui organisent leur passage en Turquie. Ils sont coordonnés avec un autre passeur. »
Abou Moussab
La contrebande n’a pas marché pour tout le monde. Abou Moussab Houtaïfa était l’une des personnalités les plus connues de Raqqa. Le chef des renseignements de Daesh se trouvait sur le convoi sortant le 12 octobre.
Mais il se trouve maintenant derrière les barreaux, et son histoire reflète les derniers jours du califat en ruines.
L’Etat Islamique ne négocie jamais. Intransigeant, cruel, c’est un ennemi qui joue avec différentes règles du jeu.
C’est du moins ce que dit le mythe.
Pourtant à Raqqa, il n’a pas agi différemment d’une autre faction perdante. Pris au piège, épuisé et craignant pour leur familles, les combattants de Daesh ont été bombardés à la table des négociations le 10 octobre.
« Des frappes aériennes nous ont mis la pression pendant au moins 10 heures. Elles ont tué environ 500 à 600 personnes, combattants et familles », raconte Abou Moussab Houtaïfa.
Une vidéo de la coalition frappant un quartier de Raqqa le 11 octobre montre une catastrophe humaine derrière les lignes ennemies. Parmi les cris des femmes et des enfants, c’est le chaos entre les combattants de Daesh. La bombe a l’air particulièrement puissante, particulièrement efficace. Des militants déclarent qu’un bâtiment hébergeant 35 femmes et enfants a été détruit. C’était assez pour briser leur résistance.
« Après 10 heures, les négociations reprennent. Ceux qui ont rejeté la trêve au départ changent d’avis. Alors nous avons quitté Raqqa » raconte Abou Moussab.
Il y avait eu trois accords préalables pour négocier un accord de paix. Une équipe formée de quatre membres, y compris des fonctionnaires de Raqqa, mènent maintenant des pourparlers. Une âme courageuse traverse la ligne de front à moto pour faire passer les messages.
« Nous ne devions partir qu’avec nos armes personnelles, et laisser les armes lourdes derrière nous. Mais de toute façon nous n’avions pas d’armes lourdes » raconte Abou Moussab.
Emprisonné à la frontière turco-syrienne, il a révélé les détails de ce qui est arrivé au convoi lorsqu’il est arrivé sain et sauf en territoire de Daesh.
Il dit que le convoi s’est rendu dans la campagne à l’est de la Syrie, non loin de la frontière iraquienne.
Des milliers de personnes se sont échappées, décrit-il.
La tentative d’évasion d’Abou Moussab est un avertissement à l’Occident, de la menace de ceux qui ont été libérés de Raqqa.
Comment l’un des chefs les plus connus de Daesh a-t-il pu fuir le territoire ennemi et a presque échappé à la capture ?
« Je suis resté avec un groupe qui avait décidé d’aller jusqu’en Turquie », raconte Abou Moussab.
Les membres de l’Etat Islamique étaient recherchés par toute personne en dehors de la zone restreinte contrôlée par le groupe ; ce qui veut dire que cette petite troupe devait traverser des bandes de territoires hostiles.
« On a engagé un passeur pour nous emmener hors des zones contrôlées par les FDS » explique Abou Moussab.
« Au début tout s’est bien déroulé. Mais les passeurs sont des gens peu fiables. Nous avons été laissés livrés à nous-mêmes dans une zone FDS. A partir de là nous nous sommes dispersés et c’était chacun pour soi », confie Abou Moussab.
Il serait peut-être arrivé à destination s’il avait payé la bonne personne ou peut-être pris une autre route.
L’autre route mène à Idlib, à l’ouest de Raqqa. D’innombrables combattants de Daesh et leurs familles ont trouvé refuge là-bas. Des étrangers aussi s’y sont rendus, y compris des britanniques, d’autres européens et des gens d’Asie centrale. Le prix va de 4000 dollars par combattant à 20 000 dollars pour une famille nombreuse.
Un combattant français
Abou Basir al-Faransy, un jeune homme français, lâché avant le départ, s’est beaucoup endurci à Raqqa. Il est maintenant à Idlib, où il affirme vouloir rester.
Les combats à Raqqa étaient intenses, même avant, dit-il.
« Nous étions combattants en première ligne, luttant presque constamment (contre les kurdes), la vie était dure. Nous ne savions pas que Raqqa était sur le point d’être assiégée. »
Déçu, lassé du combat incessant et inquiet pour sa santé, Abou Basir a décidé de quitter Raqqa pour la sécurité d’Idlib. Il vit désormais dans la ville.
Il faisait partie d’un groupe presque exclusivement français au sein de Daesh, et avant qu’il ne parte, plusieurs de ses compagnons combattants se sont vus attribuer une nouvelle mission.
« Il y a des frères français de notre groupe qui sont partis pour la France pour mener des attaques qui seraient appelées un « un jour de reconnaissance´´. »
Beaucoup de choses ont été ensevelies sous les décombres de Raqqa et les mensonges entourant cet accord seront facilement restés enterrés là-bas aussi.
Le nombre de départs est bien plus grand que ce que les anciens des tribus locales veulent bien admettre. La coalition a d’abord refusé d’admettre l’ampleur de l’accord.
Les Forces Démocratiques Syriennes menées par les kurdes, d’une manière invraisemblable, continuent à maintenir qu’aucun accord n’a été passé.
Et cela n’aurait peut-être même rien à voir avec la libération d’otages civils. D’après la coalition, il n’y a pas eu de transfert d’otages de Daesh chez les FDS.
Et malgré les démentis de la coalition, des dizaines de combattants étrangers se sont, selon des témoins oculaires, joints à l’exode.
Il s’agissait avec cet accord, de maintenir de bonnes relations entre les kurdes menant le combat et les communautés arabes qui les entourent.
Il s’agissait également de minimiser les victimes. Daesh était bien implanté dans l’hôpital de la ville et le stade. Les efforts pour les déloger de front auraient été longs et sanglants.
La guerre contre Daesh a un double objectif : d’abord détruire le soi-disant califat et reconquérant le territoire et le second, empêcher des attaques terroristes dans le monde au-delà de la Syrie et de l’Iraq.
Raqqa était effectivement la capitale de Daesh mais c’était aussi une cage, les combattants y étaient piégés.
L’accord pour sauver Raqqa pourrait avoir valu le coup.
Mais cela signifie aussi que des combattants aguerris se sont répartis sur la Syrie et plus loin, et nombre d’entre eux n’en ont pas fini avec le combat.
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