Une bactérie mangeuse de plastique

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Des chercheurs japonais ont découvert une nouvelle bactérie, Ideonella sakaiensis, capable de dégrader le polytéréphtalate d’éthylène, ou PET, un plastique de type polyester que l’on retrouve dans de nombreux produits de consommation… et donc dans les décharges publiques, voire en pleine nature.

Polytéréphtalate d’éthylène, ou PET

Le PET est un matériau très utilisé pour fabriquer des bouteilles de soda, mais aussi des emballages alimentaires, des fibres textiles, des revêtements à usage industriel, etc. En 2013, environ 56 millions de tonnes de PET furent produites. Or, si le recyclage mécanique du PET est possible (notamment pour en faire des fibres textiles, voire pour refaire des bouteilles) son recyclage chimique, consistant à décomposer le PET en ses précurseurs, est difficilement rentable. Mais surtout, étant inerte, il résiste particulièrement bien à la dégradation microbienne. De fait, sa durée de vie dans la nature est de plusieurs dizaines d’années [1].
C’est pourquoi un groupe de chercheurs japonais s’est intéressé à la décomposition enzymatique du PET. Leurs travaux, que nous allons examiner ici, on fait l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue Science A bacterium that degrades and assimilates poly(ethylene terephthalate), par Yoshida et al.

Méthode

Identification de la bactérie Ideonella sakaiensis

D : des bactéries Ideonella sakaiensis sur le film de PET ; E : les bactéries semblent connectées entre elles par des appendices ; F : des appendices connectent également les bactéries au film, et délivrent peut-être les enzymes qui en permettent la décomposition.
Les auteurs ont récolté 250 échantillons de « boue » contaminés par du PET, et y ont cherché des organismes capables de dégrader le PET. Pour ce faire, ils ont cherché des films de PET sur lesquels des colonies de micro-organismes apparaîtraient, manifestant la capacité de s’en nourrir. Ils réussirent à trouver un tel échantillon, contenant sur son film de PET un « consortium » de micro-organismes d’espèces très différentes. En procédant par dilutions successives, ils parvinrent à identifier l’espèce responsable de la décomposition du PET : Ideonella sakaiensis. Quoique le genre Ideonella fût déjà connu, l’espèce sakaiensis ne l’était pas. D’après leurs mesures, la décomposition quasi-totale du film de PET par Ideonella sakaiensis prend environ six semaines à 30° C.

Identification du gène de l’enzyme hydrolysant le PET

L’analyse du génome de la bactérie permit aux chercheurs japonais d’identifier un gène d’intérêt : ISF6_4831. Celui-ci code une protéine apparentée à une hydrolase connue pour sa capacité à dégrader le PET (du moins à 55° C). La protéine correspondante, ISF6_4831, fut testée sur un film de PET. Elle le dégrada, essentiellement en acide mono(2-hydroxyéthyl) téréphtalique, ou MHET. Après avoir comparé l’action de cette protéine sur le PET avec celle de protéines similaires, les auteurs ont constaté que ISF6_4831 produit de loin les meilleurs résultats. Ils la considèrent donc comme une PETase.
La PETase a d’ailleurs le bon goût d’être efficace à basse température, ce qui en facilite l’utilisation. Les auteurs précisent que, bien qu’ils disposent de la séquences d’acides aminés constituant la PETase, sa structure tridimensionnelle leur reste inconnue. De fait, ils ignorent comment, exactement, la PETase se lie au PET et le dégrade. La comparaison de la séquence de la PETase aux bases de données n’a rien fourni, nous sommes donc face à une molécule proprement « nouvelle ».

Identification du gène de l’enzyme hydrolysant le MHET

En analysant le transcriptome de la bactérie Ideonella sakaiensis, c’est-à-dire les brins d’ARN transcrits à partir de l’ADN de la bactérie, les chercheurs japonais ont constaté que le gène codant la PETase était transcrit en quantité considérablement plus élevée en présence de PETase. Mieux, ils ont remarqué qu’un autre gène, ISF6_0224, était régulé de façon analogue. L’analyse de la séquence de la protéine correspondante a révélé une proximité marquée avec la famille des tannases, des enzymes connues pour leur capacité à hydrolyser les liaisons ester de composés aromatiques.
Les auteurs ont testé un échantillon purifié de la protéine ISF6_0224 sur du MHET, ce qui l’a hydrolysé. Ceci vaut à la protéine ISF6_0224 le titre de MHETase. Ideonella sakaiensis utilise donc la PETase pour dégrader le PET. Cette dégradation produit notamment du MHET, et la MHETase décompose le MHET en ses monomères : l’acide téréphtalique (TPA) et l’éthylène glycol. Ceux-ci sont bénins pour l’environnement, et utiles pour l’industrie, à condition d’être récupérables.

Impact et perspectives

L’équipe de chercheurs japonais a découvert une nouvelle espèce de bactérie capable de dégrader le PET. Mieux, les enzymes responsables de la décomposition de ce plastique ont été clairement identifiées. Il est donc tentant d’envisager l’application industrielle de ce procédé biotechnologique pour le recyclage chimique du PET. Cependant, les auteurs de l’article publié dans Science n’en font pas mention. Le passage du laboratoire à l’usine reste donc sujet à caution.
Suffit-il de cultiver Ideonella sakaiensis dans un milieu riche en PET, par exemple sous forme broyée ? La récupération des monomères est-elle aisée, ou seulement faisable ? Quid du passage à l’échelle ? Le procédé est-il rentable ? Si oui, à partir de quelles quantités de PET ? Cette nouvelle bactérie peut-elle survivre dans l’eau de mer, et contribuer au nettoyage des océans ? Une version génétiquement modifiée pourrait-elle être plus efficace ? Selon les réponses à ces questions, les retombées environnementales de ces découvertes pourraient être très positives.
Et ces découvertes, justement, en appellent au moins une autre. La structure 3D de la PETase étant inconnue, il pourrait être fort utile de la déterminer, afin de mieux comprendre son mode d’action, voire de l’améliorer. Gageons qu’une équipe scientifique est déjà sur le coup…
Alexandre Karal
[1] Biodegradation of polyesters containing aromatic constituentsRJ Müller, I Kleeberg, WD Deckwer – Journal of Biotechnology, 2001 – Elsevier
(803)
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