Voici une conférence passionnante sur la question de l'autorité donnée par Yann Martin professeur agrégé de philosophie à Strasbourg. Au cours de cette conférence, Yann Martin va établir une distinction entre « autorité » et « pouvoir ». Bien que ces deux notions se manifestent par l'excercice de la « puissance » (la capacité à « faire » soi même et à « faire faire » aux autres), cette puissance ne s'excerce pas de la même façon suivant le cas. Le pouvoir Le pouvoir est le commandement structuré socialement et partagé en fonction hiérarchique. Il est l'exercice de la volonté de puissance d'un acteur sur un autre et institue une relation de domination entre le supérieur et l'inférieur hiérarchique qui aboutit à la soumission et à l'assujettissement de ce dernier. Deux outils permettent d'obtenir le pouvoir à celui qui y aspire :
- La force : être dominé, c'est subir l'emprise de plus fort que soi, le dominant va donc exercer sa volonté de puissance sur le dominé par la coercition et ainsi assoir son pouvoir.
Cependant, la force a sa propre fragilité : tout pouvoir en tant qu'exercice de la volonté de puissance vient buter sur la volonté de puissance de ceux sur qui il s'exerce, par conséquent, il a toujours à conjurer le risque de la critique, de la contestation, de la révolte , du retournement de rapport de force et de la révolution. Le détenteur du pouvoir ne peut indéfiniment garder le monopole de la coercition avec lui et il ne peut rester éternellement le plus fort. Celui qui exerce le pouvoir ne peut donc jamais se maintenir que de sa propre force justement parce que face à lui, il y'a d'autres volonté de puissance qui peuvent le subjuguer, il doit donc faire intervenir un autre outil.
- La persuasion : le pouvoir ne se satisfait jamais de l'obéissance crue, il faut que la relation de domination soit acceptée comme juste. La force est si fragile que pour se transformer en pouvoir, elle demande à être légitimée. La stratégie de celui qui aspire à exercer le pouvoir est donc de transformer sa force en droit et l'obéissance de ceux qu'il domine en devoir.
Ce processus de légitimation s'appuie sur la croyance : il y a croyance lorsqu'il y a une affirmation non vérifiable qui est considérée comme l'expression d'une vérité indiscutable. Le pouvoir n'existe que si on croit que celui qui l'exerce est celui qui doit l'excercer. C'est ainsi que le fonctionnement politique permet de déguiser les rapports de force en processus de légitimation par l'intermédiaire de la théâtralisation du pouvoir : en effet, il n'ya pas de pouvoir sans signes qui représentent le pouvoir, il n'y a de pouvoir que mis en signe à travers des symboles qui vont frapper l'imagination et qui supposent une mise en scène théâtrale de ces symboles. Les représentations humaines sont puissantes et gouvernent les hommes davantage que ceux qui croient gouverner, ils ne peuvent d'ailleurs gouverner que tant que la représentation que les gouvernés se font d'eux coïncide avec la représentation qu'ils espèrent que ces derniers aient d'eux. C'est un jeu d'illusion et de mystification. Cependant la légitimité de celui qui gouverne (qu'elle soit religieuse, traditionnelle, charismatique etc.) n'est jamais totale, par conséquent aucun pouvoir n'est absolument légitime, une fois que la croyance sur laquelle elle se fonde est considérée par le gouverné comme une imposture, cette légitimité s'évanouit et le détenteur du pouvoir est contesté. L'autorité L'autorité substitue aux relations de domination propre au pouvoir, des relations de subordination : être subordonné, c'est recevoir sa place d'un ordre surplombant. Elle exclut la contrainte et la persuasion cependant sa puissance est plus grande que celle du pouvoir, il n'y a d'autorité réelle que là ou la puissance est telle qu'il n'est point besoin de la forcer. Celui qui parle avec autorité est celui qui n'a pas besoin d'élever la voix, celui qui agit avec autorité est celui qui n'a pas besoin de forcer les événements, il suffit qu'il parle et on écoute sa parole, il suffit qu'il oriente, qu'il dise ce qu'il faut faire et on fait comme il dit. L'autorité ne s'institue pas, elle est une caractéristique non transférable qui existe en vertu des exploits et des succès réalisés par son détenteur ainsi que de compétences et de vertus reconnues en lui, on peut transférer et recevoir le pouvoir et mais on ne peut transférer et recevoir une autorité. Alors que le pouvoir s'exerce de haut en bas puisque le dominant impose son pouvoir au dominé, l'autorité quant à elle s'exerce de bas en haut puisqu'elle n'existe que si elle est reconnue par celui sur qui elle s'exerce : n'a autorité que celui à qui on donne autorité en reconnaissant l'autorité qui est la sienne, la subordination et la domination ne doivent donc pas être confondue ! La source de l'autorité transcende son détenteur : celui sur qui elle s'exerce reconnait des qualités particulières à celui qui détient l'autorité mais éprouve en même temps quelque chose qui le dépasse, qui le déborde, quelque chose de plus grand que lui. Elle implique le respect c.à.d. la reconnaissance de l'inaliénable dignité de ceux qui la détiennent. L'autorité n'est pas un don naturel, on ne nait pas avec l'autorité, elle est ce qui advient avec la compétence, le savoir faire, la prudence, l'expérience, la distance critique, la hauteur de vue, elle a à voir avec une certaine sagesse reconnue. L'autorité a rapport au temps : au passé car elle y enracine son expérience, au présent car elle s'exerce maintenant et au futur car l'autorité véritable est celle qui n'est pas menacée d'être liquidée. La relation autorité-pouvoir L'ordre autoritaire est toujours hiérarchique mais sa hiérarchie ne calque pas et ne double pas la hiérarchie du pouvoir, il se dispense des effets de théâtralisation. En effet, l'autorité s'ignore elle-même comme autorité, elle n'est jamais aussi puissante que lorsqu'elle est ignorée de son détenteur, l'autorité revendiqué c.à.d. celle que l'on pose comme étant la sienne se déprave en autoritarisme et sombre dans le ridicule, le risque de perdre l‘autorité est grand lorsqu'on la met en scène. L'autorité implique le refus des postures. Le pouvoir aussi fort soit il ne suffit pas à ordonner une société, il ne peut ordonner qu'en donnant l'ordre mais cet ordre qu'il donne n'aboutit pas à l'institution d'un ordre stable quand bien même il serait obéit. Pour instituer un ordre durable, il faut le recours de l'autorité qui va transformer une mise au pas en mise en ordre. Cependant, pouvoir et autorité ne s'excluent pas forcément : pour fonctionner de façon optimale et durable, le pouvoir a besoin de l'autorité qui peut même être ce qui assure le pouvoir de l'exercice du pouvoir en l'accroissant et en l'augmentant. Le pouvoir institué, s'il ne correspond pas à une autorité réellement reconnue, est celui qui s'affirme par les abus de pouvoir. Yann Martin va conclure son exposé en postulant que toute société a besoin d'un pôle de pouvoir institué (la capacité à contraindre) et un pôle d'autorité (la capacité à mobiliser). Source : Nicolas Clément
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