Voici une brève chronique d’une ré-édition des Mémoires du général Toussaint-Louverture, réalisée par Mercvre de France. Vous connaissez peut-être le nom du premier général noir de la République Française et de l’Empire, né esclave, et qui sut unifier par les armes l’île d’Haïti pour le compte de la France, avant de se faire finalement arrêter par l’empereur Napoléon qui craignait le pouvoir grandissant de ce général trop brillant et jugé trop indépendant.
Alors que Toussaint-Louverture avait su rendre la colonie prospère (certes en usant d’une main de fer), l’empereur envoie le général Leclerc en 1802 pour l’arrêter. Après plusieurs jours de combats, Toussaint-Louverture tente de négocier sa reddition et donc l’arrêt des combats. Il sera finalement arrêté après être tombé dans un traquenard, puis jeté en prison en métropole, dans le Jura. C’est là qu’il écrivit ses mémoires, avant de mourir de maladie et de froid.
Voici un passage particulièrement éloquent, dans lequel l’auteur s’interroge sur l’injustice du traitement qui lui a été réservé :
Si l’on n’avait plus besoin de mes services et qu’on avait voulu me remplacer, n’eût-on pas dû agir avec moi comme on agit dans tous les temps à l’égard des généraux blancs français ? On les prévient avant que de les dessaisir de leur autorité ; on envoie une personne chargée de leur intimer l’ordre de remettre le commandement à tel ou tel ; et dans le cas où il refuse d’obéir, on prend alors de grandes mesures contre eux ; on peut alors avec justice les traiter de rebelles et les embarquer pour la France.
J’ai vu même quelques fois des officiers généraux criminels pour avoir manqué à leurs devoirs ; mais en considération du caractère dont ils étaient revêtus, on les ménageait, on les respectait jusqu’à ce qu’ils fussent devant l’autorité supérieure.
Le général Leclerc n’aurait-il pas du m’envoyer chercher et me prévenir lui-même qu’on lui avait fait des rapports contre moi sur tel ou tel objet, vrai ou non ? N’aurait-il pas dû me dire : « Je vous avais donné ma parole et promis la protection du gouvernement ; aujourd’hui, puisque vous vous êtes rendu coupable, je vais vous envoyer auprès de ce gouvernement, pour rendre compte de votre conduite. » Ou bien : « Le gouvernement vous ordonne de vous rendre auprès de lui, je vous transmets cet ordre. » Mais point du tout : il a au contraire agi envers moi avec des moyens qu’on n’a jamais employés même à l’égard des plus grands criminels. Sans doute je dois ce traitement à ma couleur ; mais ma couleur… ma couleur m’a-t-elle empêché de servir ma patrie avec zèle et fidélité ? La couleur de mon corps nuit-elle à mon honneur et à ma bravoure ?
À supposer même que je fusse criminel et qu’il y eût des ordres du gouvernement pour me faire arrêter, était-il besoin d’employer cent carabiniers pour arrêter ma femme et mes enfants sur leurs propriétés, sans égard pour le sexe, l’âge et le rang ; sans humanité et sans charité ? Fallait-il faire feu sur mes habitations, sur ma famille, et faire piller et saccager toutes mes propriétés ? Non. Ma femme, mes enfants, ma famille ne sont chargés d’aucune responsabilité. Ils n’avaient aucun compte à rendre au gouvernement ; on n’avait même pas le droit de les faire arrêter.
La présente édition a l’avantage d’être accompagnée du journal du général Caffarelli qui fut chargé d’interroger Toussaint-Louverture lors de son incarcération, ce qui permet de mieux cerner l’attitude de l’empereur vis-à-vis de son général déchu. De fait, l’ensemble se lit vraiment rapidement, avec en prime l’impression captivante d’être aux premières loges de l’Histoire…
Raphaël Berland
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